Google
This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project
to make the world's bocks discoverablc online.
It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject
to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books
are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover.
Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the
publisher to a library and finally to you.
Usage guidelines
Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing technical restrictions on automatcd qucrying.
We also ask that you:
+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for
Personal, non-commercial purposes.
+ Refrain fivm automated querying Do nol send aulomated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help.
+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project andhelping them find
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it.
+ Keep il légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other
countries. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search mcans it can bc used in any manner
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite seveie.
About Google Book Search
Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders
discover the world's books while hclping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web
at |http : //books . google . com/|
Google
A propos de ce livre
Ceci est une copie numérique d'un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d'une bibliothèque avant d'être numérisé avec
précaution par Google dans le cadre d'un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l'ensemble du patrimoine littéraire mondial en
ligne.
Ce livre étant relativement ancien, il n'est plus protégé par la loi sur les droits d'auteur et appartient à présent au domaine public. L'expression
"appartenir au domaine public" signifie que le livre en question n'a jamais été soumis aux droits d'auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à
expiration. Les conditions requises pour qu'un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d'un pays à l'autre. Les livres libres de droit sont
autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont
trop souvent difficilement accessibles au public.
Les notes de bas de page et autres annotations en maige du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir
du long chemin parcouru par l'ouvrage depuis la maison d'édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.
Consignes d'utilisation
Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages apparienani au domaine public cl de les rendre
ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.
Il s'agit toutefois d'un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les
dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des
contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.
Nous vous demandons également de:
+ Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l'usage des particuliers.
Nous vous demandons donc d'utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un
quelconque but commercial.
+ Ne pas procéder à des requêtes automatisées N'envoyez aucune requête automatisée quelle qu'elle soit au système Google. Si vous effectuez
des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer
d'importantes quantités de texte, n'hésitez pas à nous contacter Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l'utilisation des
ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile.
+ Ne pas supprimer l'attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet
et leur permettre d'accéder à davantage de documents par l'intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en
aucun cas.
+ Rester dans la légalité Quelle que soit l'utilisation que vous comptez faire des fichiers, n'oubliez pas qu'il est de votre responsabilité de
veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n'en déduisez pas pour autant qu'il en va de même dans
les autres pays. La durée légale des droits d'auteur d'un livre varie d'un pays à l'autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier
les ouvrages dont l'utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l'est pas. Ne croyez pas que le simple fait d'afficher un livre sur Google
Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous
vous exposeriez en cas de violation des droits d'auteur peut être sévère.
A propos du service Google Recherche de Livres
En favorisant la recherche et l'accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le français, Google souhaite
contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet
aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer
des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l'adresse fhttp: //books .google. com|
I
NH& 5fe ^ 3
Vet.Gor. m, Ji, S-J.O
f\i^\ 3 fai< fr 3
\
» 1
' I
/
ŒUVRES
DRAMATIQUES
DE F. SCHILLER.
.^
TOME TROISIEME.
IMPRIMËKIË DE FAIN, PUCE DE L'ODÉON
ŒUVRES
DRAMATIQUES
DE F. SCHILLER.
TRADUITES DE L'ALLEMAND;
j_ f »
PRECEDEES
d'ORB ITOTICE BIOGRAPHIQUE ET UTTiHAI&E SUR SCHILLER.
TOME III.
A PARIS,
CHEZ LADVOCAT, LIBRAIRE,
AU PALAIS-ROYAL.
M. DCCC. XXI.
i —
,«,«PMHP*^
LA
PU CELLE D'ORLÉANS,
TRAGÉDIE ROMANTIQUE.
ToH. 111*.
♦ 'm •» •*
PROLOGUE.
PERSONNAGES.
CHARLES VII , roi de France.
LA REINE ISABELLE , sa mëre.
AGNÈS SOREL , sa maîtresse.
PHILÏPPE-LE-BON , duc de Bourgogne.
LE COMTE DE DUNOÏS , bâtard d'Orléans.
LAHIRE, ) -A • j 1» r j •
DUCHATEL, } ^«P^*«^^« ^« ^ *™^« ^'^ '•^*-
L'ARCHEVÊQUE de Rheims.
CHATILLON , chevalier Bourguignon.
RAOUL, chevalier lorrain.
TALBOT , général des Anglais.
LIONEL, )
FALSTOLF, } <^P^t^^^« «"glais.
MONGOMERY , chevalier du pays de Galles.
DES CONSEILLERS de la ville d'Orléans.
UN HÉRAUT anglais.
THIBAUT D'ARC , riche paysan.
MARGUERITE,
LOUISE, y ses filles.
JEANNE ,
ETIENNE ,
CLAUDE MARIE, \ leurs amoureux.
RAYMOND ,
BERTRAND , autre paysan.
UN CHEVALIER NOIR, ( apparition ).
UN CHARBONNIER et sa femme.
SoldaU, peuple, serviteurs de la maison du roi, évéques , ecclé-
siastiques , maréchaux de France, magistrats , courtisans et
autres personnages muets forment le cortège du sacre.
LA
PUCELLE D'ORLEANS.
M«MAlMMfMMAAWMMIlAAA%M««M*««l[««MA%%'««%%'%W*«^«%«AiV^W^Mf^MWVM«MI^W%Wtl«%«%%<««MWWM«%«
PROLOGUE.
Le théâtre représente un paysage. Sur le devant , à droite , on
voit nn petit oratoire ; à ganche , un grand bois.
SCÈNE PREMIÈRE.
THIBAUT D'ARC, avec ses trois filles et trois jeunes
paysans leurs amoureux.
THIBAUT.
Oui^ mes chers voisins, aujourd'hui nous sommes
encore Français ; nous sommes de libres citoyens ,
possesseurs des champs que nos pères ont autrefois
labourés; qui sait à qui demain nous aurons à
obéir ? Car l'Anglais commande partout , partout il
déploie ses bannières victorieuses, et ses chevaux
foulent aux pieds les campagnes fleuries de la
France. Paris l'a déjà reçu en vainqueur , et a donné
l'antique couronne de Clovis au rejeton d'une tige
étrangère; le fils de nos rois, dépouillé et fugitif,
est errant dans ses propres états; son parent le
/
6 PROLOGUE,
plus proche , le premier pair de son royaume, com-
bat dans l'armée de ses ennemis, et sa mère déna-
turée les excite. Autour de nous , les villes , les vil-
lages sont consumés par les flammes ; Tincendie
terrible s'aVance toujours de plus en plus vers ces
vallées encore paisibles. C'est pourquoi , mes chers
voisins , j'ai résolu , avec la permission de Dieu , de
marier mes filles, pendant que je le puis encore. Ja-
mais un protecteur n'est plus nécessaire à la femme
qu'au milieu des horreurs de la guerre , et l'amour
aide à supporter toutes les misères. ( Au premier
paysan. ) Venez, Etienne, vous voulez obtenir Mar-
guerite ; les champs sont voisins et les âmes se con-
viennent, voilà de quoi fonder un bon ménage.
( Au second. ) Claude-Marie, vous vous taisez, et
ma Louise baisse les yeux. Séparerai-je deux cœurs
qui sont unis , parce que vous n'avez pas de trésor à
m'offrir ? Qui possède maintenant des trésors ? Mes
biens et ma maison seront peut-être demain la proie
des flammes ou des ennemis qui approchent; le
cœur d'un brave homme est dans ce moment le plus
sur de tous les asiles.
LOUISE.
Mon père !
Ma Louise !
Chère sœur !
THIBAUT.
Je donne à chacune trente arpens de terre, une
maison, une étable et un troupeau; Dieu m'a béni
jusqu'à présent, qu'il vous bénisse de même.
SCÈNE II. 7
MARGUERITE, emhraasant Jeaima.
Contente mon père ^ suis notre e:$:emple , et que ce
jour voie trois mariages heureux.
THIBAUT.
Allez, occupez-vous des pr^aratifs : à demain
les noces ; il faut que tout le yiUage les célèbre avec
nous.
SCÈNE IL
THIBAUT, RAYMOND, JEANNE.
THIBAUT.
Jeanne, tes soeurs vont se marier; elles réjouissent
ma vieillesse par leur bonheur. Toi, ma plus jeune
enfant , veux-tu me causer des regrets et de la dou-
leur?
RAYM0I7D.
Quelle est votre idée? ne faites pas de reproches à
votre fille.
THIBAUT.
Tu vois devant toi un excellent jeune homme; il
n'en est aucun dans le village qui soit plus aimable
que lui ; il t'aime , il s'est donné à toi ; depuis trois
ans , il te montre le plus tendre empressement et
les désirs les plus humbles ; sa soumission ne trouve
en toi que froideur et réserve ; , et pourtant aucun
autre, parmi tous les jeunes gens, na pu obte-
nir de toi seulement un sourire de bienveillance :
je te vois briller de tout l'éclat de la jeunesse; te
voici dans ton printemps, cette saison de l'espé-
8 PROLOGUE,
rance; ta beauté est dans sa fleur, et cependant
j'attends toujours en vain que cette délicate fleur
dépouillée son calice , pour se changer ensuite en
des fruita dorés. Oh! cela ne me plait point , et
me fait craindre une cruelle bizarrerie de la na-
ture; le cœur qui ,* dans l'âge des sentimens, se
renferme dans ï austérité et dans la froideur, ne
saurait s'entendre avec le mien.
RAYMOND.
Laissez^ Thibaut; qu'elle m'exauce librement;
l'amour de mon adorable Jeanne est un fruit noble
et divin , il ne peut mûrir que peu à peu ; mainte-
nant elle aime encore à vivre sur la montagne;
elle craint de quitter les vastes bruyères pour s'a-
baisser dans l'humble séjour des hommes , au mi-
lieu des soins vulgaires qui les occupent. Souvent
du fond de la vallée , surpris et immobile , je la re-
garde s'avancer dans quelque prairie élevée. Je la
vois au milieu de son troupeau avec sa noble conte-
nance et abaissant son regard imposant sur l'humble
sol que nous habitons ; elle m'apparait comme un
être supérieur ; il me semble qu'elle appartient à
un autre monde.
THIBAUT.
Et c'est cela qui ne me plait point. Elle fuit la
douce société de ses sœurs; elle cherche les sommets
déserts; long-temps avant l'aube ^ elle se dérobe de
sa couche, et pendant ces heures d'effroi où l'homme
s'enferme près des autres hommes , telle qu'un oi-
seau solitaire , elle s'échappe vers les lieux sombres
et terribles que fréquentent les fantômes. Elle s'é-
SCÈNE II. 9
carte des chemins traces et converse secrètement
avec Tesprit de la montagne. Pourquoi cherche-
t-elle toujours ce lieu? pourquoi y conduit-elle tou-
jours son troupeau ? Je la vois pendant des heures
entières y rêreuse ^ sous cet arbre antique des
druides qu'évitent toutes les créatures heureuses ;
c'est là que reviennent les esprits; un malin es-
prit fait sa demeure dans cet arbre depuis les siè-
cles antiques de Tidolàtrie. Les anciens du village
racontent sur cet arbre des histoires effrayantes.
Souvent du milieu de ses sombres rameaux ^ des
accens funèbres^ des voix terribles se sont fait
entendre; moi-même, en passant une fois à l'entrée
de la nuit auprès de cet arbre , j'aperçus un spectre
de femrme qui y était assis. Elle tira de son ample
vêtement une main desséchée qu'elle étendit len-
tement vers moi comme pour me faire signe : je
pressai ma marche et je recommandai mon âme à
Dieu.
B A Y MO M D , montrant l'image qui orne Toratoire.
La protection bienfaisante de cette sainte image
qui répand ici la paix du ciel autour d'elle , attire
ici votre fille ; ce n'est pas l'œuvre de Satan.
THIBAUT.
Non , non , ce n'est pas en vain que je suis averti
par des songes et par d'inquiètes visions. Par trois
fois , je l'ai vue assise- sur le trône de notre roi à
RheimSy un diadème de sept brillantes étoiles or-
nait sa tête ; elle avait en sa main un sceptre où
fleurissaient trois lis blancs; et moi son père ^ ses
deux soeurs, et auissi tous les princes, les barons,
lo PROLOGUE,
les archevêques , le roi même s'inclinaient devant
elle. Et comment des prodiges si éclatans vien-
draient-ils me chercher dans ma cabane? Ah ! ils
présagent cpielqrue chute profonde ; ils m'instruisent^
par ces emblèmes^ des rêveries insensées oii son
cœur ose se livrer. Elle rougit de son état obscur.
Farce que Dieu Fa douée de la beauté ^ qu'il a bien
voulu lui accorder des dons célestes par -dessus
toutes ses compagnes , elle nourrit dans son cœur
un orgueil coupable. C'est par cet orgueil que les
anges de ténèbres sont tombés et qu'ils entraînent
les hommes dans l'enfer.
RAYMOND.
Qui pourrait avoir des pensées plus vertueuses et
plus pures que votre pieuse fille ? N'est-ce pas elle qui
sert avec plaisir ses sœurs aînées ? Malgré les avan-
tages qu'elle a sur toutes les autres^ ne la voyez-vous
pas s'acquitter , comme une humble servante , avec
une soumission muette des devoirs les plus pénibles ?
vos troupeaux et vos cha^mps ne semblent-ils pas pro-
spérer sous ses mains comme par miracle? Un bon-
heur inespéré et surnaturel se répand sur tout ce
qui reçoit ses soins.
THIBAUT.
Il est vrai , un bonheur inconcevable ; mais cette
prospérité même m'inspire une terreur secrète. N'en
parlons plus^ je me tais, je dois me taire. Est-ce donc
à moi d'accuser ainsi ma chère enfant? Je lui donnerai
des conseils seulement et je prierai pour elle. Cejîen—
dant je dois te le dire, ne va plus sous cet arbre , n y
demeure pas seule^ n'arrache plus aucune plante , ne
SCÈNE III. Il
prépare aucun breuvage , ne trace pas des carac-
tères sur le sable; on pénètre facilement dans l'em-
pire des esprits ; ils sont toujours là et se tiennent
prêts dans q^uelqùe embuscade voisine; au moindre
bruit I ils s'élancent tout à coup. Ne demeure pas
seule ; car c'est dans le désert que Satan osa s'atta-
quer au souverain des cieux lui-même.
SCÈNE IlL
BERTRAND entre avec un casque à la main ;
THIBAUT, RAYMOND, JEANNE.
RAYMOND.
Silence ! Voici Bertrand qui revient de la ville :
voyez ce qu'il tient à sa main.
BERTRAND.
Vous me regardez avec surprise , et vous êtes
étonnés de me voir porter ce casque?
THIBAUT.
En effet, dites -nous comment il est venu entre
vos mains ? Qu'annonce cette triste armure dans le
séjour de la paix ?
( J«auine, qui dans les deux tcèpes pxecédentts ittàt demeurée un peu & Técart sans
prendre part au dialogue , se montre attentive et s'approche.
BERTRAND.
C'est à peine si je pourrai vous dire comment il
se trouve en ma main. J'étais allé à Vaucouleurs
pour acheter des instrumens de labour : une foule
nombreuse se pressait sur la grande place ; des fugi-
12 PROLOGUE,
tifs venaient d'Orléans y apportant de funestes non-
Telles; tout le peuple était en tumulte , et j'essayais
de me faire jour à travers lapresse^ lorsqu'une bohé-
mienne, au teint basané, est venue à moi avec ce cas-
que. Elle m'a regardé fixement y et m'a dit : Mon ami^
vous cherchez un casque; je le sais, vous en cher-
chez un : prenez celui-ci ; à un prix modique je vous
le donnerai. Adressez-vous à un homme d'armes ,
lui répondis- je; je suis un laboureur, un casque
me serait inutile. Mais , au lieu de me quitter , elle
continua ainsi : Aucun homme ne peut dire à pré-
sent qu'un casque lui soit inutile : la tête est plus
en sûreté maintenant sous cet abri d'acier qu'entre
les murs d'une maison. Parlant ainsi, elle me suit
dans les rues, me forçant d'accepter ce casque, que
je refusais. Je regardais cette armure éclatante et
polie , digne d'orner la tête d'un chevalier ; dans
mon hésitation je l'avais prise en ma main, songeant
à cette singulière aventure : cette femme s'était dé-
robée à ma vue , et s'était perdue dans la foule du
peuple. C'est ainsi que le casque m'est demeuré.
JE AN lïE, saisissant le casque avec empressement et curiosité.
Donnez-moi ce casque.
BERTRAND.
Qu'en pouvez-vous faire ? ce n'est pas une parure
de jeune fille.
J E A N N E f lui arracliant le casque.
Ce casque est à moi ; il m'appartient.
THIBAUT.
A quoi songe cette enfant ?
SCÈNE IIL i3
RAYMOND.
Laissez-Ia faire : cet ornement guerrier lui sied
bien , car son sein renferme une âme virile. Sou-
venez-vous comment elle sut vaincre ce loup^ ce
féroce animal qui semait la terreur et dévastait nos
troupeaux ; seule , la jeune fille au cœur de lion
lui arracha Tagneau que , dans sa gueule ensan-
glantée, il emportait déjà. Ce casque ne saurait
orner un front plus noble que le sien.
THIBAUT.
Parlez j quelles tristes nouvelles avez-vous sues?
Que racontaient ces fugitifs ?
BERTRAND.
Dieu secoure notre roi , et prenne pitié du pays !
Nous avons été vaincus dans deux grandes batailles :
l'ennemi occupe le centre de la France ; il a déjà
conquis toutes les provinces jusqu'à la Loire. Main-
tenant il a réuni toutes ses forces autour d'Orléans ,
qu'il assiège.
THIBAUT.
Dieu sauve le roi !
BERTRAND.
Une artillerie innombrable s'est rassemblée de
toutes parts. Tels que des essaims d'abeilles qui se
pressent en nuages obscurs autour de leur ruche
pendant un jour d'été ; tels que ces milliers de sau-
terelles qui, poussées par un vent funeste, four-
millent sur nos champs et couvrent des lieues entières
à perte de vue ; telles se sont assemblées vers les cam-
pagnes d'Orléans les armées de toutes les nations , et
v
i4 prologue;
le bruit connus dé leurs langages divers retentit sour-
dement dans leur camp. Le puissant duc de Bour-
gogne y a conduit toutes les forces de ses vastes
domaines ; Liège , Luxembourg , le Hainaut y ont
envoyé leurs soldats : les peuples qui habitent l'heu-
reux Brabant , ceux qui , dans l'opulente cité de
Gand , s'enorgueillissent de leurs vêtemens de soie ;
les villes élégantes qui ^ dans la Zélande , s'élèvent
au milieu des flots ; les Hollandais qui s'enrichissent
du lait de leurs troupeaux; Utrecht, la lointaine
Ost-Frise , et même les contrées voisines des glaces
du pôle , ont recruté cette armée : tous suivent les
vassaux du redoutable seigneur de la Bourgogne , et
veulent soumettre Orléans.
THIBAUT.
Oh ! quelle odieuse et déplorable discorde tourrife
contre la France des armes françaises ?
BERTRAND.
On dit que la reine-mère elle-même, l'orgueilleuse
Isabelle, cette étrangère, parcourt les camps à cheval,
couverte d'une armure. Par des paroles envenimées,
elle excite tous ces peuples contre le fils qu'elle a
porté dans ses flancs.
THIBAUT.
Qu'elle soit maudite ! Et puisse le Seigneur la pti-
nir quelque jour comme une autre Jézab^l !
BERTRAI^D.
Salisbury, ce redoutable destructeur des villes ,
conduit le siège. Avec lui , on voit Lionel si digne
de son nom , et Talbbt dont l'épée meurtrière abat
les guerriers dans les combats. Dans leur rage exe-
SCÈNE m. i5
Crable , ils ont juré de déshonorer toutes les vierges
et de sacrifier à l'ëpée tout ce qui peut porter Té-
pée. Ils ont fait élever quatre hautes tours qui do-
minent la ville. De là Salisbury , d'un œil avide
de meurtres , observe tout, et compte jusqu'aux
habitans qui traversent rapidement les rues. Déjà
plusieurs milliers de pesans boulets ont été lancés
dans la ville ; les églises couvrent le sol de leurs
débris et la royale tour de Notre-Dame incline son
sommet élevé. Us ont aussi creusé de profondes
mines ; la ville maintenant repose sur ces cavernes
infernales, et dans son anxiété craint à chaque
heure de les voir s'enflammer avec le bruit de la
foudre.
( Jeaiui* écoute avec une avide attention, et place le casque sur sa tête. )
THIBAUT.
Et que sont devenues les terribles épées de Sain-
trailles , de Lahire , de ce bâtard au cœur héroïque,
le boulevard de la France? S'ils étaient-là, l'ennemi
pourrait-il ainsi pénétrer partout sans obstacle? et
le roi lui-même reste-t-il oisif en voyant les mal-
heurs de ses états et la chute de son royaume ?
BERTRAND.
Le roi tient 9a cour à Chinon ; il n'a plus de soldats,
et ne peut tenir la campagne. Que sert le courage des
chefs et le glaive des héros , quand la pale frayeur a
glacé les soldats? Une terreur, qui semblerait envoyées
par Dieu même , a saisi le cœur des pluB braves. En
vain les princes convoquent leur arrière-ban. Die
même que les brebis timides se pressent l'une con-
tre Vautre , quand le hurlement des loups se fait
i6 PROLOGUE,
entendre ; de même les Français , oubliant leur an-
tique gloire, courent s'enfermer dans les villes pour
y chercher leur sûreté. Cependant on m'a conté
qu'un chevalier va encore amener au roi le faible
secours de quelques hommes, qui marchent sous
seize bannières.
JEANNE, vivement.
Comment se nomme ce chevalier?
BERTRAND.
Baudricourt. Encore échappera-t-il difficilement à
la recherche de l'ennemi qui le suit de près avec
deux corps de troupes.
JEANNE.
Où est ce chevalier ? Dites-le moi si vous le savez ?
BERTRAND.
Il est à peine à une journée de Vaucouleurs.
THIBAUT, à Jeanne.
Que t'importe cela? Tu fais des questions, ma fille^
qui ne te conviennent point.
BERTRAND.
Voyant l'ennemi si puissant , et le roi si peu ca-
pable de se défendre, ils ont formé à Yaucouleurs le
dessein unanime de se livrer aux Bourguignons;
ainsi , nous ne passerons pas sous un joug étranger ^
nous resterons unis à notre antique monarchie, et
peut-être pourrons-nous revenir à nos anciens maî-
tres , si un jour la Bourgogne et la France se récon-
cilient.
JEANNE, avec inspiratioi^
Non , point de capitulation ! point de traité ! Le
SCÈNE III. 17
libérateur va venir; il s'apprête déjà au combat. De-
vant Orléans échouera la fortune des ennemis ; la
mesure est comblée , et la saison est arrivée où ils
seront moissonnés. La vierge va prendre la faux
pour trancher leurs tiges orgueilleuses : elle est
envoyée du ciel pour détruire leur gloire qu'ils
croyaient avoir élevée jusqu'aux nues. Ne craignez
plus , cessez de fuir; avant que les épis aient jauni,
avant que le disque de la lune soit rempli , les cour-
siers anglais ne s'abreuveront plus dans les flots de
la riche et majestueiise Loire.
BERTRAND.
Hélas ! le temps des miracles est passé.
JEAÎSI^E.
Non, vous verrez encore des miracles. Une blan-
che colombe, avec l'audace d'un aigle , attaquera,
dans son vol , ce vautour qui est venu déchirer no-
tre patrie : elle triomphera de cet orgueilleux duc de
Bourgogne, traiti'e à son pays, de ce Talbot terrible
et infatigable, de ce Salisbury le profanateur des
temples, et de tous ces arrogans insulaires , aussi fa-
cilement qu'elle chasse devant elle un troupeau d'a-
gneaux. Le Seigneur, le Dieu des armées sera avec
elle ; il choisira une tremblante créature , il se glor
rifiera par une faible jeune fille, car il est le tout-
puissant.
THIBAUT.
Un esprit se serait-il emparé de cette enfant?
RAYMOND.
C'est ce casque qui lui a inspiré ce transport guer*-
ToM. m*. 2
i8 PROLOGUE,
rier. Regardez votre fille ^ son oeil étincelle | un feu
subit a animé tous ses traits.
JEANNE,
Ce royaume doit-il tomber? Cette contrée glo-
rieuse, la plus belle que le soleil éternel éclairé
dans sa course, ce paradis sur la terre, que Dieu
chérit comme la prunelle de ses yeux , pourrait por-
ter les chaînes d'un peuple étranger ! N'est-ce pas
celle qui la première abjura l'idolâtrie ? C'est là que
fut plantée la première croix , et qu'on commença
a révérer les saintes images; n'est-ce pas là que re-
posent les cendres du saint roi Louis IX ? N'est-ce
pas de là qu'on est parti pour conquérir Jérusalem ?
BERTRAND, avec surprise.
Écoutez-vous ses discours ? D'où lui viennent ces
hautes révélations? Thibaut, Dieu vous a donné une
étonnante fille.
JEANNE.
Eh quoi ! nous n'aurions plus de roi à nous , de
souverain né sur notre sol ! le roi qui ne meurt ja-
mais disparaîtrait de notre pays ! lui, qui protège la
charrue sacrée, qui défend nos pâturages et rend
nos terres fertiles , qui rend les serfs à la liberté , qui
entoure son trône de cités florissantes , qui secoure
les faibles et effraie les méchans , qui ne connaît
pas l'envie parce qu'il est le plus grand, qui est
homme et qui cependant est un ange de miséricorde
parmi les animosités humaines ! Ce trône royal , qui
étincelle d'or , est l'asile des infortunés : la force et
la miséricorde y sont assises : le coupable n'en ap^
proche qu'en tremblant; mais le juste y aborde avec
71
SCÈNE lY. 19
confiance^ et les lions qui entourent ce trône ne
l'épouvantent pas. L'étranger qui veut régner sur
nous pourrait-il aimer une terre oh ne reposent pas
les dépouilles de ses ancêtres? Notre langage pour-
rait-il être entendu de son cœur? A-t-il passé ses
premières années au milieu d'une jeunesse fran-
çaise , et peut-il être le père de nos enfans ?
THIBAUT.
Dieu sauve la France et le roi. Nous sommes
de paisibles paysans ; nous ne savons ni manier
l'epée , ni guider uji coursier belliqueux : attendons
avec obéissance celui que la victoire nous donnera
pour roi. Le destin des combats est dans la main de
Dieu ; notre roi c'est celui qui recevra l'huile sa-
crée et qui placera la couronne sur sa tête à Rheims.
Retournons à nos travaux ; allons , et que chacua
ne songe qu'à ce qui le touche de près. Laissoiis
les princes et les grands de la terre se la disputer
entre eux : nous pouvons tranquillement contempler
les ravages de la guerre ; ils ne peuvent détruire
cette terre que nous cultivons. Si la flamme réduit
notre village en cendres , si nos moissons sont fou-
lées aux pipds des chevaux , un nouveau printemps
nous rendra de nouvelles moissons , et nos cabanes
seront promptement reconstruites.
( Ili •'» font, et IwMmt Jmum wnl*. )
ztt PHOLOGUE,
• . . »
SCÈNE IV.
JEANNE.
Adieu montagnes, et vous prairies que j'aimais ;
vallée tranquille et solitaire , adieu ! vous ne me
verrez plus promener ici mes pas : Jeanne vous dit
un éternel adieu. Plantes que j'arrosais , arbres que
j'ai plantés ; conservez votre douce verdure. Adieu,
grotte chérie , et vous sources transparentes , et toi
écho dont la voix a si souvent répété mes chansons !
Jeanne part, et elle ne reviendra jamais.
Lieux témoins de mes innocens plaisirs , je vous
quitte, et pour toujours. Agneaux, dispersez-vous
sur la bruyère : vous êtes maintenant sans* pasteur j
je vais guider d'autres troupeaux à travers les périls,
au milieu des champs du carnage. Ainsi l'ordonne
la voix qui s'est fait entendre à moi ; une passion ,
qui n'a rien de terrestre ni d'illusoire, m'y en-
traine.
Car celui qui, sur le sommet de FHoreb, des-
cendit aux yeux de Moïse dans le buisson ardent
pour lui ordonner de se présenter à Pharaon; celui
qui jadis envoya au combat ce jeune berger, pieux
enfant d'Isaï; celui qui fut toujours favorable aux
bergers , celui-là m'a parlé à travers les branches
de l'arbre : « Va , a-t-il dit , tu dois témoigner pour
» moi sur la terre.
» Tu enfermeras tes membres dans un rude vête-
;) ment d'acier , et tu couvriras ton sein d'une ar—
» mure. Que jamais l'amour d'un homme n'ose ap-
SCÈNE IV. 21
» procher de ton cœur ; repousse ses flammes cou-
)) pables et ses plaisirs terrestres et vains : jamais la
» couronne nuptiale n'ornera ta tête ; jamais ton sein
» ne nourrira un doux enfant : cependant je répan-
» drai sur toi la gloire des armes ; tu seras illustre
» pàr-^lessus toutes les autres femmes.
)) Quand les plus braves seront décourages au
» milieu du combat y quand le destin de la France
» semblera toucher à son terme , alors tu élèveras
» mon oriflamme, et, comme les moissonneurs abat^
)) tent les épis , tu terrasseras les vainqueurs orgueil-
» leux ; alors tu abaisseras la roue de leur fortune ,
» tu ranimeras les héros de la France , et tu cou-
» ronneras ton roi dans Rheims délivré. »
Le ciel m'a averti par un signe : c'est lui qui m'en-
voie ce casque ; c'est de là qu'il me viei^t. En le tou-
chant j'ai senti une force divine , et le courage des
milices célestes a enflammé mon cœur. Je me sens
entraînée dans le tumulte des armes ; j'entends
qu'on m'appelle au milieu des orages de la guerre :
la trompette sonne , et le coursier frappe la terre
de son pied.
( Elle sort. )
/
LA
PUCELLE D'ORLEANS
iw» w m mm %%tÊ0t/9M ■ *m%%»nnmitn»^nn*^/^i*^ w nM n ) *n t *^* n/tmwvk w¥t mivtiw*^/ym*/m/wk wv^ %»»■»»%»%»%%<» «»%<
ACTE PREMIER.
La scène est à Ghinon , résidence du roi.
SCÈNE PREMIÈRE.
DUNOIS et DUCHATEL.
DUNOIS.
JNoNy je ne le supporterai pas plus long-*temps.
Je TOUS le répète , je suis quitte envers ce roi qui, se
laisse ainsi détruire sans gloire. Le cœur me saigne,
et je pleure de rage en voyant des brigands se parta-
ger, avec le glaive , le royaume de France ; en voyant
nos nobles cités, contemporaines de la monarchie,
présenter à l'ennemi leurs antiques clefs, pendant
qu'au milieu du repos et de l'oisiveté , nous laissons
passer le temps précieux qui pourrait nous sauver.
J'apprends qu'Orléans est menacé , j'accours aussitôt
des frontières de la Normandie , pensant que j'allais
trouver le roi occupé de préparatifs guerriers à la
tête de son armée; et je }e trouve ici entouré de
24 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
bouffons et de troubadours » cherchant le sens cache
d'une énigme , et donnant de galantes fêtes à Agnès;
comme si le royaume jouissait de la plus profonde
paix, he connétable est parti , il n'a pu supporter
plus long-temps ce spectacle révoltant. Je l'aban-
donne aussi • et le livre à son malheureux sort.
/ » • • • • ■ •
DDCHATEL.
Le roi vient.
SCÈNE IL
Les précédensy LE ROL
LE ROI
Le connétable m'a renvoyé son épée, et refuse de
me servir. Grâce à Dieu , nous voici délivrés de cet
homme orgueilleux qui voulait dominer ici avec
tant d'arrogance.
DUNOIS.
Un homme est précieux dans ce temps, et je ne
vois pas sa retraite avec tant de légèreté.
LE ROL
t
Vous parlez ainsi pour me contredire; tant qu'il
a été ici, vous n'ayez jamais été son ami.
nuNOis»
Il esXi, Qf^gueillai^x. et diiilcile à vivre, et jamais il
n'a su se. décider ; m^is enfin , cette fois il a pk*is une
résolutip'h. au bon moment; il part, lorsqu'il n'y
^vait aucune gloire à acquérir.
LE rol'
VomBétes de belle humeur aujourd'hui, et je ne*
ACTE I, SCÈNE IL 25
veux pas la traubler. Duchâtel j les envoyés du vieux
roi René sont ici. Ce sont de fort habiles ckanteuts^
et de grande réputation ; il faut les bien traiter , et
donner à chacun d'eux une chaîne d'^r. ( A Danois.)
D'où vient que vous souriez ?
DUNOIS.
C'est à cause de ces chaînes d'or dont vaus disposez
si facilement.
DUGHAT^t.
Sire y il n'y a point d'argent dand totre épajngtiè.
LS ROI.
Il faut s'en procurer. De nobles chanteurs ne peu-
vent sortir de chez moi sans avoir été récompensés.
Ils ornent de fleurs le sceptre trop pesant , et tressent
un rameau immortel dans ta couronne stérile ; ils
régnent à côté du monarque , assis sur un trône
construit par leur imagination riante ; et leur pai-
sible empire est fondé plus haut que le sol térr-
restre; ainsi , ïh doivent ntarcher (ha pair avec les
rois : les uns comme les autres habitent au««deS6ud
de l'humanité.
DUCHATEL.
mon royal seigneur , j'ai épargné votre oreille
tant que j'ai pu trouver des secours et des expédiens;
mais enfin la nécessité me force à rompre le silence.
Vous n'avez plus rien à donner ; il ne vous reste pas
même de quoi suffire à la dépense de demain. Le
cours de vos richesses s'est écoulé ,• et votre épargne
est restée vide. La solde des troupes n'est pas payée;
elles murmurent et menacent de se retirer; à peine
puis-^je me procurer ce qui est njécessaire pour teniy
â6 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
Totre propre maison , et encore d'une manière iné-
gale à votre rang.
LE ROI.
Engagez mes revenus royaux^ et empruntez de
Fargent aux Lombards.
nUGHATEL.
Sire , vos revenus royaux sont jdëjà engagés pour
trois ans.
DUNOIS.
Et cependant le gage et la terre vont se perdre.
LE ROL
Il nous reste encore de riches contrées.
DUNOIS.
Oui , tant qu'il plaira à Dieu et à l'épée de Talbot.
Quand Orléans sera pris^ vous pourrez aller garder
les troupeaux avec votre roi René.
LE* ROI.
Vous exercez toujours votre esprit sur le roi René;
cependant ce prince dépouillé^ aujourd'hui encore,
m'envoiedes présensd'une magnificence toute royale.
DUNOIS.
Sur mon honneur , ce n'est pas sa couronne de
Naples , car il cherche à la vendre depuis qu'il s'est
mis à garder les troupeaux.
LE ROL
C'est un plaisir y un doux amusement, une jouis-
sance qu'il .accorde à son cœur et à ses goûts. Au
milieu de la réalité grossière et barbare , il s'est
créé un moAde dégagé de soucis.et.de souillures :
ACTE I, SCÈNE II. 27
c'est un projet grand et royal que de vottloir rap-
peler ces temps antiques où régnaient les tendres
sentimens^ oii l'amour animait le cœur héroïque
des chevaliers ; où de nobles dames , siégeant sur
un tribunal y prononçaient sur mille subtilités avec
un sens délicat. Ce yieillard aimable habite encore
dans ces temps-là ; tels que nous les représentent
ces antiques chansons^ tels il veut les établir^ comtne
une cité céleste sur des nuages d'or au-dessus de la
terre : il a institué une cour d'amour où doivent
comparaître les nobles chevaliers^ où les chastes
dames doivent régner en souveraines , où les purs
sentimens doivent reparaître , et il m'a élu prince
d'amour.
DDNOIS.
Je ne suis pas assez dénaturé pour insulter au
pouvoir de l'amour : je tiens mon nom de lui ; je
suis son fils f et mes droits sont établis sur son em-
pire. Le duc d'Orléans fut mon père : le cœur d'au-
cune femme ne fut invincible pour lui ; mais les
remparts des ennemis ne lui résistaient pas noil
plus. Voulez-vous mériter le nom de prince d'amour?
soyez aussi le plus brave parmi les braves. £t moi
aussi je connais ces vieux livres : on y lit que l'amour
s'associait toujours aux actions chevaleresques ; c'é-
taient des héros et non pas des bergers qui étaient
assis à la table ronde. Celui qui ne saiirait pas dé-
fendre courageusement la beauté^ ne mérite pas les
précieuises récompenses quelle distribue. La lice
vous est ouverte ; combattez pour la couronne de
vos aïeux ; défendez ^ avec l'épée des chevalier^ , et
vos droits et l'honneur des nobles dames : quand
a8 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
yo.os aUfezi nu milieu des flot$ du sang ennemi ^
reconquis courageusement le sceptre paternel, alors
il sera temps de couronner votre tête royale des
myrtes de Tamour.
ti£ HOÏ, à uA ^uyer qni èiitf^.
Qu'est-ce ?
L'àCtJYBA.
Des magistrats d'Orléans sollicitent une audience.
tE ROI.
Faites -les entrer. (Vécujer sort.) Us viennent
implorer des secours. Que puis-je faire pour eux ,
moi qui suis sans secours ?
SCÈNE III.
Les pr^cëdens , TROIS MAGISTRATS.
1^9 ROI.
Soyez les bienvenus , messieurs les envoyés d'Or#
leans. Que devient ma bonne ville ? coDtinue-*t-ell€
à résister avec son courage accoutumé aux ennemis
qui l'assiègent? : ^
Hélas \ sire , elle est daiïs la plus grande détresse.
Chaque heure avance la ruine dé la ville. Nos ou*»-
vrages extérieurs sont détruits. A chaque combat^
l'ennemi s'empare d'an nouveau poste. Les murs
n'ont plus de défenseurs : la garnison combat sans
relâche 7^ elle essuie la &tigue d^nn combat conti-
nuel : quelques-uns gardent encore les portes in-
térieures. La ville est a^nssi menacée des faorreafs
ACTE I, SCÈNE III. 29
de la faim : dans cette extrême nécessite y notre gou-
verneur, le noble comte de Rochepierre, a promis,
suivant l'ancienne coutume, de rendre la ville, si,
dans Fespace de douze jours , une armée capable de
la délivrer ne se montrait pas dans la campagne.
( Dusoia laitie Toir une vive ^mplion. )
LE ROI.
Le terme est court.
LE MAGlSTilAT.
Maintenant nous venons ici , avec un sauf-conduit
des ennemis, supplier votre âme royale de délivrer
notre ville , et de lui envoyer du secours avant le
délai fatal; autrement, dans douze jours elle sera
rendue.
DUN0I9.
Saintrailles a-t-il pu donner sa voix à ce traité
humiliant?
LE MAGISTRAT.
Non , monseigneur ; tant que ce brave chevalier
a vécu , personne n'eût osé parler de se rendre , ni
de traiter.
DW0I9.
Ainsi , il est mort ?
LE MAGISTRAT.
Ce noble héros a succombé sur nos murs , en dé-
fendant U <sa\ii^ dis son roi*
LE ROL
Saintrailles mort ! La mort d'une armée entière
ne me serait pas plus rude.
( Un cli«T«lter «ntra, «1 dit un mat i Toix banc à Dunoi», ^ partît affecté. )
3o LA PUCELLE D'ORLÉANS,
DUNOIS.
Et encore cela ?
LE ROI.
Qu'est-ce ?
DUNOIS.
Le comte de Douglas envoie ici ; les soldats écos^
sais se soulèvent et menacent de s'en aller , parce
qu'ils n'ont pas reçu leur solde.
LE ROL
Duchâtel?...
DUGHATELt pliant let tfpaidM.
Sire , je ne sais aucun moyen.
LE ROL
Promettez , engagez tout ce que vous pourrez , la
moitié de mon royaume.
DUCHATEL.
Ressource inutile ; on les a bercés trop souvent
d'espérances trompeuses.
LE ROL
Ce sont les meilleures troupes de mon armée.
Elles ne m'abandonneront pas ; non , elles ne peuvent
m'abandonner.
LE MAGISTRAT se proitenuiat.
Sire , secourez-nous ! Songez à notre situation.
LE ROI, avec désespoir.
P.uis-jë faire sortir une armée de la terre en frap-
pant du pied ! Les moissons peuvent-elles naître
dans mes mains ? Déchirez-moi en; morceaux j arra-
ACTE I, SCÈNE IV. 3i
chez-moi le cœur , si cela peut vous donner de l'or.
Mon sang est à vous, mais je n'ai pas de trésor, ni
même de soldats.
( n Toit entrer Agnès, et s^trance f ert elle en loi tendant les brae. );
SCÈNE IV.
Les prëcédens , AGNÈS SOREL une cassette à
la main.
LE ROI.
mon Agnès , ma chère âme , tu viens m'arracher
au dësepoir. Tu es à moi, ton cœur est mon asile.
Rien n'est perdu puisque tu es encore à moi.
AGNÈS.
Cher prince ( elle regarde autour délie d'un œil
curieux et inquiet). Dunois , est-il vrai? Duchàtel !
DUCHATEL.
Hëlas !
AGNES.
La détresse est-elle si grande ? Ne peut-OQ payer
la solde? Les troupes veulent se retirer?
DUCHATEL.
Hëlas, oui, cela est ainsi.
AGNES, lai présentant la caawtte.
Voici de l'or , voici des joyaux j faites fondre
mon argenterie. Engagez , vendez mes châteaux ,
empruntez sur mes terres de Provence , faites tout
pour avoir de quoi apaiser les troupes ; allez , ne
perdez pas de temps.
32 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
LE ROI.
Eh bien, Dunois ! Eh bien, Duchâtel ! Vous parais-jé
encore si misérable , quand je possède le trésor de
toutes les femmes ? N'est-elle pas aussi noble que
je le suis par la naissance ; le sang royal des Valois
est-il plus pur que lé sien ^ et le premier trône de
l'univers ne serait-il pas embelli par elle? Cependant
elle le dédaigne , et ne veut régner que sur mon
cœur. Jamais elle n'accepte de moi un présent
plus précieux que quelque fleur nouvelle , ou quel-
que fruit , lorsque l'hiver leur donne le prix de la
rareté. Elle ne reçoit rien de moi. et elle me donne
tout. Elle risque généreusement ses richesses et ses
biens pour rétablir ma fortune.
DUNOIS.
Elle n'a pas plus de raison que vous. Elle jette
tout son bien dans une maison en feu. C'est vouloir
remplir le tonneau des Danaïdes. Elle lïe pourra
sauver ni vous, nielle-même. Seulement elle périra
avec vous.
AGNÈS.
Ne l'écoutez pas. Il a dix fois risqué sa vie pour
vous, et il ne veut, pas que j'expose mes richesses.
Comment! ne vous ai-je pas sacrifié sans peine
ce qui est plus estimé que l'or et les perles? puis-
je maintenant songer seulement à mon propre bon-
heur? Viens, renonçons à tous les agrémens super-
flu» de la vie. Laisse-moi donner le noble exemple
de la résignation. Change ta com^ en un camp, quitte
l'or pour le fer , sacrifie tout pour ravoir ta cou-
ronne. Viens, viens, nous partagerons le$ priva-
ACTE I, SCÈNE IV; è^
lions et tes dangers. Je monterai un belliqueux
coursier, et je livrerai la délicatesse de u^on teint
aux ardeurs ëtincelantes du, soleil ; nous dormirons
sur la pierre sans autre abri que le ciel , et le robuste
soldat supportera ses maux ayec résignation , quand
il verra son roi exposé comme lui aux fatigues et
aux misères.
LE ROI, souriant.
Ainsi , je vois s'accomplir les paroles d'une vieille
prédiction qu'une religieuse me prononça , d'un es-
prit prophétique , autrefois dans Clermont : Une
femme j disait cette religieuse , le, donnerez la vic-
toire sur tous tes ennemis , et te rendra la couronne
de tes pères. Long-temps j'ai cherché cette femme
dans les rangs ennemis : j'espérais un jour adoucir
le cœur d'une mère ; mais c'est ici qu'est l'héroïne
qui doit me conduire à Rheimfi , et c'est l'amour
d'Agnès qui me rendra victorieux.
AGNES.
Le glaive de tes braves amis te donnera la vic-
toire.
LE ROL
Je compte aussi sur les discordes intestines de nos
ennemis. J'ai eu la nouvelle assurée que mon cousin
le duc de Bourgogne et ces orgueilleux seigneurs
d'Angleteire n'étaient plus aussi bien unis qu'aupa-
raTant. J'ai donc envoyé Lahire en message vers le
duc , pour ramener, s'il est possible, ce vassal irrité
à «on devoir ,.et le rappeler à sa foi. J'attends à cha-
que heure le retour de Lahire.
DUGHATEL, k la fenêtre.
s U entre à Finstant même dans la cour.
ToM. m*. 3
^ LA PUCELLE D'ORLÉANS,
lA ROI-.
Qu'il soit le bienvenu ! nous allons savoir sur-le-
okamp s'il bous faut céder ou combattre.
SCÈNE V.
Les precédens , LAHIRE.
liE ROI, altint à s« rencoiitre.
Lahire , nous apportez-vous quelque espérance ?
expliqiieK<**vous sans retard. Que dois-je attendre ?
LAHIRE.
Vonji ue deve^ plu^ r^^U: aittm^ ^t( dft votre
épee.
LS loz.
L'orgueilleux dui; iH veiit polnltde rëconcilM^oii !
Ah ! parlez ; comment art^il reçu mon message ?
L<ÀItIRB.
Avant tout, avant même de prêter l'oreillç à vosf
propositions , il demande que Ducbâtel lui soit livré :
3 dît qu'il est ïe meurtrier de son, père.
L& %(ns
Et si 90U6 ^ou% |^«fi(MKS à eetM hcm teito eotti-*
4itiaQ?
Alc(rstlfi trmié 6s6 Boa»pa «mit a^êteQ dfétm CM»-^
mencé.
LE ROI.
Lui avezrvous , aijm q^ i% imii»:l'4t%k pTMCtit ,
ACTii I, SCÈNE V. 35
prc^M)^ de eomb^ttp^e aT^c moi- sur ie poM dé Moii'^
tereau > au lîeix au s&ii' pèrs a pet*! ?
J'ai jefë ^ottû gaffl* (fevant M , é€ fuî ai dit (jae,
deseenidsEÉftf de Votre i^afng sttpï-éïùé , Vous vouliez ^
ainsi qu'un chevalier, défendre vos droits et dis-
puter votre royaume. Il m'a repondu iqpi'il n'était
pas btssorn de dôMbatfre pour ce çpii était de^à eo
soft pttûVbîr j (Jue , si cependant tel était votre désir,
il vous donnait rendez-- VcWs sous les murs d'Or-
léw^ i o^ kxi-^n^nm vélff a)1^ âèà déinaiii ; ptijUà il
&^t djétcnrné de nidi éil' sQhêÈÉ'iénf .
LÉ ROL
Et ià tôÎ3^ dé là justîiée se f*àît-eUe entendre ijfans
mon parlement?
Elle se tait df^vaoltla fofem^ desr purtîs^ Vùiî^ë par-
lement vous a déclaré déc)iu 4^ trône , vous et votre
race.
Ï)TÎ50ÏS.
<
Iffepildèiicé d^giiëillévise de ces bourgeois dey ejDitô
i^ttvéi^insf T . ,
Ht itoï.
El tt'aVeîÈ-^ôTb f itetf téïité' auprès dé ma mère?
• «
Votre mère \ '
Oiû ; f^e vpus..Mt-^^ AphiUo à cdiletidffe 2
Lorsque je suis enti^é^A Shint-Denis , c^ prépa-
rait la cérémonie du couroilâl^rfC Pal^i^eKH'orné
.1
• 1
'"Vy
36 LA PUCELLE D'ORLÉAHS,
comme pour un jour de fête : on avait élevé des arcs
de triomphe dans les rues où passait le roi des Ân^-
glais ; les chemins étaient jonchés de fleurs , et la
populace ^ pressée autour du cortège , poussait des
cris de joie ^ comme si la France célébrait la plus
belle victoire.
AGNÈS.
Ils se réjouissaient ! ils se réjouissaient de déchirer
le cœur du meilleur des rois, d'un roi qui les aime !
LAHIRE.
Jai vu le jeune Henri de Lancastre , cet enfant ,
assis sur le trône de Saint-Louis ; ses oncles , les or-
gueilleux Bedfort et Glocestre, se tenaient près de
lui , et le duc Philippe , à genoux devant le trône ,
lui rendait hommage pour ses états.
LE ROI.
O déloyal seigneur ! indigne parent!
LAHIRE.
L'enfant, en montant les degrés élevés du trône,
chancelait , et n'avait pas une marche assurée. Mau-
vais présage , a murmuré le peuple ; déjà le rire
commençait à se faire entendre ; la reine, votre
mère s'est alors avancée^ et.... j'ai peine à finir ce
récit.
LE* ROI.
Hé bien?
LAHIRE.
Elle a pris l'enfant datas ses bi^s, et elle-même
l'a placé sur le trône de votre pèr^»
L£ ROI.
O ma mère ^ ma inière I .
ACTE I, SCÈNE V. St
LAHIRE.
Les Bourguignons eux-mêmes , malgré leur rage
et leur férocité^ rougissaient de honte en cet instant;
elle s'en est aperçu , et se retournant vers le peuple^
elle a dit d'une voix élevée : Français , remercieis-
moi; je* remplace une tige dégénérée par un plus
noble rameau, et je vous délivre d'un roi qui puisa
son sang dans les veines d'un père insensé.
( Le roi se couvre le visage ; Agnès va à lui , et le terre dans se» bnis. Tout les assistant
témoignent leur exécration et leur horreur. )
DUNOIS.
Cœur de tigre ! détestable Mégère.
LE ROI, après un instant de silence, s^adresse Jttx. magistrats.
Vous avez entendu , vous voyez ce qui se passe
ici. N'attendez pas plus long-temps; retournez à
Orléans , et racontez ce dont vous ave? été témoins ;
j'acquitte ma bonne ville du serment qu'elle m'avait
prêté ; qu'elle cherche son salut ; qu elle se livre au
duc de Bourgogne; il porte le surnom de bon^ il se
montrera humain.
DUNOIS.
Quoi, sire! vous voulez abandonner Orléans?
LE MAGISTRAT.
mon royal seigneur , ne retirez pas votre main
de nous; ne livrez pas votre fidèle cité à la tyran-
nique seigneurie des Anglais. N'est-elle pas un des
ornemens de votre couronne? en est-il aucune qui
ait aussi religieusement gardé sa foi à ses maîtres , à
Tos aïeux?
DUNOIS.
Sommes«nous donc vaincus? Est-il permis d'aban-
38 LA PPCELIiE D'ORfJlAI^^S,
donner cette ville avant d'avoir tiré l'e'pée pour la
de'fendre. Voujez-vou$ donc, d'iw mot, prrâ(Ji^rà
la France cette glQjrii|e],iise cité f ay^ml; qW le sang ait
coulé pour la défejadre?
LE KOI.
•
ti a déj&cpulé assez de sang inutilement. La main
da cif 1 e^l appesantie sur inoi ; hion armée est vain-
cue dans chaque combat; mon parlement me rc-
nonce ; xa» capitale , mon peuple , reçoivent mon
rival avec des cris de joie. Ceux qui me sont le plus
près par le sang m'abandonnent, mç trahissent.
Ma propre mère nourrit dans son sein le rejeton
d'une race étrai^gère et ennemie; retirons-nous de
laiitre côtié ^e Ifi I^î^^e ,- §t ^éfloiifi k la main toute-
puissftote du cl^l qui epmha4i{M>ur lies Anglais.
AGNÈS.
Que IKeu nous préserve de nous livrer au déses-
poir et d'abandonner ce^oyaun^ç-Une telle parole n^
peut sortir de ton âme généreuse. Cette action bar-
bare d'une mère dénaturée a brisé le cœur héroïque
den^onroi; mais il v^ se reconnaître^ il va reprendre
son mâle courage, et résister avec une noble fer-
meté au destin qui s'acharne cruellement sur lui«
Oui , cela est assuré ; un sort funeste, np sert teiv
rible s'est attacha' k la race dm Valois; DieA l'arejetee.
Les crimes d'une mçre oi)} guidé les furies dams notre
famille ; mon père a vécu vingt-ans privé de la raison .
La mort a moissonné trois frères avant moi. C'est un
décret du ci^, la famille deCharlesVI doit succomber .
ACTE I, SCÈNE V. 89
AGNES.
Elle sera par toi rege'nére'e et relevée. Prends
confiance en toi-même ; non y ce n'est pas en yain
qu'an destin lavorable t'a éparjgnë parmi tous tes
frères , et t'a conduit au trône que tu ne devais }}as
espérer. Le ciel a réservé ton àme bienfaisante pour
gumr tous les maux^ et pour chasser du royaume
la fureur des partis ; tu éteindras ia flamme de la
guerre civile ; oui , mon cœur me le dit y tu rétabli-
ras la paix^ tu seras le nouveau fondateur du
royaume de France.
LE ROI.
Non ; il fa^t pour ce temps cruel et orageux un
pilote doué de la force. J'aurais rendu heureux un
peuple paisible; je ne puis dompter un peuple féroce
et rebelle. Je ne sais point m'ouvrir avec le glaive
des cœurs jaliénés et fermés par la haine-
À611ÈS.
Le peuple est aveuglé ; une fausse opinion l'é-
garé ; mais le jour n'est pas loin où cet enivre-
ment se dissipera. L'amour que les Français ont
pour leur roi légitime est profondément gravé dans
leurs cœurs y et il se réveillera. L'antique haine ^ la
rivalité qui a toujours divisé dent peuples ennemis
se ranimera. Ces orgueilleux vainqueurs seront dé-
truits par leur propre succès. N'abandonnez pas le
champ de bataille avec précipitation ; disputez le
terrain pied à pied; défendez Orléans, comhie si
c'était votre propre vie; que tous les bateaux soient
submergés; que tous les ponts soient rompus; ne
vous réservez aucun moyen de passer dans une au-
\
4o LA PUCELLE D'ORLÉANS,
tre partie de votre royaume , et de traverser la Loire
qui serait pour vous le Styx.
LE ROI.
Ce que j'ai pu faire , je l'ai fait. J'ai proposé de
combattre corps à corps pour la couronne , j'ai été
refusé. Je prodigue en vain le sang de mon peuple ,
et je réduis mes villes en poudre. Dois-je, semblable
à la mère dénaturée, laisser partager mon enfant
par le glaive? Non, je dois plutôt lui laisser la vie
et renoncer à lui.
DUNOIS.
Comment! sire, est-ce là le discours d'un roi?
Abandon ne-t-on ainsi une couronne? Le dernier de
vos sujets refuse-t-îl de risquer son bien et sa vie
pour son opinion, pour sa haine, pour son amour?
Quand s'élève l'étendard sanglant de la guerre civile,
chacun ne voit plus que'sôn parti : le laboureur aban-
donne sa charrue, et la femme ses fuseaux; l'enfant
et le vieillard prennent les armes ; le bourgeois
brûle sa ville de sa propre main , et le. paysan ses
moissons , pour le servir ou pour te nuire , enfin
pour assurer le succès aux vœux de son cœur. Quand
il s'agit de l'honneur , quand on combat pour son
dieu ou pour son idole , on n'épargne rien et l'on ne
s'attend pas à être épargné. Chassez donc cette pitié
de femme, qui ne sied pas au cœur d'un roi; laissez
cette guerre répandre sa flamme , puisqu'elle est
allumée, et que vous n'avez pas à vous reprocher de
l'avoir légèrement provoquée. Le peuple doit .se
sacrifier pour son roi : c'est la loi , c'est le destin du
monde qui l'ordonnent; le Français le sait; et il y
.A€TE I, SCÈNE V. 4i
consent. Une nation qui ne saurait pas tout sacrifier
avec joie pour son honneur ^ ne serait digne que de
mépris.
LE ROT, aux magûtrau.
N'attendez point d'autre réponse. Que Dieu vous
protège ! je ne puis rien de plus.
DUNOIS.
£h bien , le dieu de la victoire vous renoncera
peur toujours y comme vous renoncez votre royaume
paternel. Puisque vous vous abandonnez vous-
même y moi aussi je vous abandonne. Ce ne sont
pas les forces réunies de la Bourgogne et de l'Angle-
terre qui vous reiiv«rsent du trône , c'est votre fai-
ble courage. Si^ comme tous les rois de France,
vous étiez né pour , être un héros ; mais vous n'avez
pas été enfanté pour la guerre. {Aux magistrats.)
Votre roi vous abandonne ; mais moi je vais me
jeter dans Orléans, dans cette ville de mon père,
et je m'ensevelirai sous ses ruines.
( Il vent sortir, Agnès le retient.)
AGNÈS, au roi.
Oh !'De le laissez pas partir. dans son dépit : ses
paroles sojnt rudes, mais son cœur, ce trésor de
fidélité , est ^encore le même : il vous aime avec
tendresse; sen sang a coulé souvent pour vous.
Revenez , Dunois ; arrêtez : la chaleur d'une noble
colère vous a emporté trop loin ; consentez à l'avouer.
Et vous, pardonnez à un fidèle ami l'âpreté de ses
discours. Arrêtez, arrêtez; laissez-moi réunir vos
coeurs avant qu'un ressentiment vif et terrible se
soit allumé entre vous pour ne plus s'éteindre.
( Puttois a les yeax fix^s sur le roi , et semble attendre une r^pon«;o. )
4a la ÏUCELLE S'ORLÉANS,
LE ROI, à Dachâtd.
Nous traverserons la Loire ; faites tout préparer
pour s'embarquer.
Adieu.
(Il sort brulquemcnt, les inagistrats le suivent. )
AGNES joint les mains avec désespoir.
Oh ! il part ; ainsi nous sommes entièrement aban-
donnes. Suivez-le, Lahire; ah ! cherchez à l'adoucir.
SCÈNE VI.
LE IlOl, AGNÈS, DtfCHATEL.
LE ROI.
La coiuroni!^ est^elle donc un si rare bonheur 7
est-il donc si dur et si amer de s'en aëparer? Nen^
je sais quelque chose de plus difficile à supporter :
se laisser maîtriser par ces guerriers arrogans et
dominateurs ; vivre pur la gribce d'un vassal orgnbeil-
leux et insoumis , eek est plus, irvide et plu$ amer
p^ur un noble coeur, que de suceomber à.Ia des-
tinée. (^ Duehééel qui hésite encore. ) Fai{:e6 ce que
j'ai prescrit.
DUCHATJSL sejetteàsespieds.
Oh ! mon roi ?
LE RO^,
Cela est résolu ; n'ajoutez pas un mot.
DUCHATEL.
Taites la paix avec le duc de Bourgogne ; autre-
4CTB I, SCÊÏl VT. 43
ment ^ je ne vois pas d'autre moyen de salut pour
vous.
LE ROI.
Vous me le conluAUoà^ et c^efit a^4c votre sang seu-
lement que je puis signer le traité.
Voici m.a têtiS- /e J'ai 90^wmti /^p^e pcmr vcms
dans le$ bsitailles^ ^t la^^ilMt^apI ^ Ia porterai avec
joie sur nn écha£auii. Apai$te )^ diic.; iivrcECi-mot à
toiitf la |r}gui^iir d^ a^ ve9g$»M<^# H <fQue xftan sang
apaise sa yjiaiU^ inimitié*
LE ROI le regarde un mometit Aafu ^ Arfactp ^ré»
Est -il bien vrai? Suis ^ je «i misérable , que mes
^mis, içeuf qui Us^fit dsM jûmh ooeur, poissent me
proposer {d'obtenir mos salut par Finfieimie ? Ah !
c'est naiofteniiDt que je roâs combien ma chute est
profonde , piokque Tanû^tié ednspire contre mon
honneur.
DUCHATEL.
Songez > sire
liE ROI.
Pas un mot de plus , ce serait m'irriter. J'aurais
dix royaumes k pf^^nbre , que jamais j.e ne me rachè-
terais avec le sang d'un ami. Faites ce que j'ai près*
crit ; allez , faites embarquer mes équipages.
DUCHATEL.
Vous sqrez b^6ptô| obéi.
( n se retire et sort. Agnès pleure doalpur<{isctM9t. )
44 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
SCÈNE VIL
LE ROI, AGNÈS.
LE RO I , prenant la main d'Agnès.'
Ne t'afflige pas y mon Agnès ; de l'autre côte de la
Loire nous trouverons encore la France : là , nous
serons dans une terre plus heureuse , sous un ciel
serein et sans nuages : là^ souffle un air plus doux
et régnent des mœurs plus polies ; des chants har-
monieux s'y font entendre; la vie et l'amour y fleu-
* rissent avec plus d'éclat.
AGNÈS.
Ah ! sérai-je condamnée à voir ce jour de dou-
leur?, à voir un roi s'en aller en exil, un fik aban-
donner la maison de son père et fuir loin de son
berceau ?. Heureuse terre que nous quittons , nous
n'aurons plus désormais la joie de te retrouver sous
pas
nos T^QcT
SCÈNE VIIL
LE ROI, AGNÈS; LAHIRE rentre.
AGNÈS.
Il revient seul. Ne le ramenez-vous point? {^Elle
Rapproche de lui et le regarde, ) Lahire , eh bien !
que dois-je lire dans vos yeux? Y a-t-il quelque nou-
veau malheur ?
LAHIRE.
Le temps du malheur est passé : un astre plus
heureux nous éclaire.
ACTE I, SCÈNE Vlli: 45
AGNÈS.
Qu'est-ce , je vous prie ?
LAHIRE, «uroi.
tl faut rappeler les enyoyés d'Orléans.
LE ROL
Pourquoi? Qu'est-il arrivé?
LAHIRE.
Qu'ils reviennent ; la fortune a changé. Il y a eu
un combat; nous avons eu la victoire.
AGNÈS.
Victoire ! Oh^ ^u'il est harmonieux le soti de cette
parole !
LE ROI.
Lahii'e^ quelque bruit fabuleux vous abuse. Vic-
torieux ! Je ne crois plus à la victoire.
LAHIRE.
Ah ! bientôt vous croirez à un plus grand miracle.
Voici l'archevêque qui entré ; il ramène le bâtard
d'Orléans dans vos bras.
AGNÈS.
O victoire , noble fleur dont la paix et la concorde
seront bientôt les célestes fruite !
46 LA rVCELLË D'OR&ÊANS,
SCÈNE IX.
LE ROI, L'ARCHEVÊQUi; KÉ RHEîMS , DUNOIS,
DUCHATEL, LAHIRE j RAOUL , cWàlier revêtu
de ses armes ; AGNÈS.
L'ARCHE Y EQUE conduit Danois au roi, et met leurs mains Tune dans Tautre.
Embrassez-vous , prîticcs ; abjurez toute colère et
toul resseiiftiiiidi^i éar' léGiel sedédlafef pt)6ï* ïtous.
( Dbàoi* etnitàssè le rôî. j
LE BOL
Tirez- moi de d<Hite et de supprime. %t# m'an-
nonce cette démarche solennelle ? D'où vient e^
changement subit ?
ÈAl^CMtyÉqO^ CMiaît lé «^«sValfér dfévSml lé rhi.
Parle^.
Nous conduisions seize b^nni^ies^oJbLottalÀeà
votre armée : le chevalier BaudridNavi^eYbùcbii^
leurs nous commandait. Nous! avions alteîirt lés
hauteurs de Vermanton^ et descendions dans la
vallée qu'arrose l'Yonne, lorsque, devant nous,
à l'endroit otr la plaîile â'élargjit , notus aperçûnies
les ennemis , et en mé^e temps' nous vîmes aussi
briller leurs armes derrière nous. Nous étions en-
fermés entre deux armées , et nous n'avions aucun
espoir de vaincre ni d'échapper. Le cœur des plus
braves était abattu, et, dans notre désespoir, nous
posions déjà les armes. Nos chefs tenaient conseil
entr'eux , sans pouvoir rien résoudre , lorsqu'une
merveille vient s'offrir à nos regards surpris. Du
ACTE I, SCÈNE IX. 4^
fond de la forêt sort tout à coup une jeune fille ; sa
tête est armée d'un casque : semblable à une divinité
guerrière , elle parait à la fois belle et terrible ; se&
cheveux noirs tombent sur son cou en longs anneaux;
un rayon du ciel semble descendre siir elle el éclai-
rer sa démarche majestueuse. Alors , élevant la voix ^
elle dit : Que craignez-voua, braves Français ? mar*
chez aux ennemis.^ fussent^ ils plus nombreux que
les sables de la mer i Dieu et Notre-Dame votis con-
duisent. Aussitôt elle arrache la bannière dçs maixift
de celui qui la portait j, et » d'un air audacieux , la
guerrière se place à notre tête. Nous^ muets d'étou'-
nemeMy iftous suivons la bannière et celle qui s'en
est saisie , et , comme involontairement , nous nous
précipitons sur les ennemis. Eux , immobiles et
sidsis d^étonnementy fixent leurs regards attentifs
sur le prodige qui s'offre devant eux : bientôt une
terreur surnaturelle les saisit ; ils prennent la fuite ,
jetant leurs armures et fetrrs lances , et ïeur armée
tonte entière se disperse dairs fa campagnfe. Les
exhortations, les cris de leurs chefs ne peuvent dis-
siper cette frayeur involontaiire ; stàn» regarder en
arrière y hommes et chevaux se précipitei^ dans le
courant du fleuve , ou se laissent égorger sans ré-
sistance» C'était un carnage plutôt qu'un combat.
Beux mille hommes restèrent sur le champ de.
bataille : on ne sait combien la' rivière en a en-
glouti , tandis que nous ne perdîmes aucun des
nôtres.
Grand Dieu, quel prodige ! jamais merveille fût-
elle plus surprenante?
48 LA PDCELLE D'ORLÉANS,
AGNÈS.
Et une jeune fille a fait ce miracle ? D'où vient-
elle ? Qui est-elle ?
RAOUL.
Cest ce qu elle ne veut rëve'ler qu'au roi lui-même .
Elle se dit prophétesse inspirée et envoyée de Dieu
même; elle promet qu'Orléans sera délivré avant
que la lune se renouvelle : le peuple la croit et de-
mande à combattre. Elle me suit avec notre troupe ,
et bientét elle sera ici. ( On entend le son des cloches
et le cliquetis des armes quon frappe Vun contre Vau-
tre. ) Entendez-vous ce tumulte et le bruit des clo^
ches. C'est elle, le peuple salue l'envoyée de Dieu.
LE ROIàDachàtel.
Conduisez-la ici. ( A Tarchevêque. ) Que dois-je
penser de ceci ? Au momeut où la main de Dieu
seule semblait pouvoir me sauver , une jeune fiUe
m'apporte la victoire ; cela est hors du cours de la
nature, et dois-je oser, archevêque. •• dois-je croire
à ce miracle ?
( Des Tois derrière la tcène. )
Salut, salut, à notre libératrice.
LE ROI.
Elle vient. ( A Dunoîs ) Prenez ma place, Dunois^
il faut éprouver cette fille merveilleuse. Si Dieu
l'inspii'e et l'envoie , elle saura bien distinguer qui
est le roi.
( Dunois s'assied ; ]e roi se tient debout i sa droite, «après de lui est Agnès ; TarcheTéqu*
tt les autres personnages sont de Tautre côté de la scène, dont.le milieu reste vide.)
ACTE I, SCÈNE X. 49
SCÈNE X.
*
Les précédens-, JEANNE accompagnée des magis-
trats et de plusieurs chevaliers qui occupent la
scène î elle s'avance avec une noble contenance, et
parcourt des yeux tous les personnages rangés
devant elle.
nUHOlS/ Avec une voix grave et solennelle.
Vous êtes cette jeune fille si étonnante.,..
JEANNE le regarde avec noblesse et tranquillité.
Bâtard d'Orléans , tous voulez tenter Dieu. Lais-
sez cette place qui n'est pas la Totre; je suis envoyée
à plus grand que vous.
( Elle mal-che d'un pas assuré vers le roi, fléchit le genou devant lui, se relève, puis s«
retire. Tous les assistans la regardent avee étonnement. Dunois quitte sou si^ge , et
fait plaee au rei. )
LE ROI.
Tu voyais mon vis*age aujourd'hui pour la pre-
mière fois; d'im vient que tu m'as reconnu?
JEANNE.
Je vous ai vu dans un moment oii Dieu seul vous
voyait. ( Elle s'approche du roi, et lui dit à iH>ix
basse :) Souvenez-vous que pendant la nuit dernière,
tandis que tout était enseveli autour de vous dans
un profond sommeil , \ous sortîtes de votre couche,
et que vous adressâtes à Dieu une ardente prière. Or-
donnez qu'on se retire , et je vous répéterai les pa-
roles de cette prière.
LE ROI.
Ce que je confie au ciel, je ne souhaite pas le ca-
TOM. IIÏ*. 4
I
5o LA PUCËLLE D'ORLÉANS,
cher aux hommes. Redis-moi les paroles de ma
prière, et alors je ne douterai plus que Dieu t'in-
spire.
JEANNE.
Vous fîtes trois prières; écoutez, dauphin , si je
les répète exactement. Vous demandâtes d'abord que
si quelque iniquité émanée de votre couronne , si
même quelque autre tort commis soùs le règne de
votre père et non encore expié, avait attiré cette dou-
loureuse guerre, vous fussiez choisi pour victime au
lieu de votre peuple, et vous suppliâtes le ciel de ré-
pandre sur vous seul tous les fléaux de sa colère.
LE ROI recule de surpriie.
Qui es-tu, être. surnaturel? D'où viens-tu?
(Chacun montre de réUmnement. )
JEANNE.
Puis, vous fîtes cette seconde demande : Que, si
par les décrets souverains et la volonté du ciel le
sceptre devait être enlevé à votre race , si tout ce
que vos pères avaient possédé en ce royaume devait
vous être enlevé , vous désiriez seulement que trois
choses vous fussent conservées : une conscience pai-
sible^ lecoeur de vos amis, et l'amour de votre Agnès.
( Le roi cache son visage pour dérober son émotion;
les autres personnages laissent voir un profond étonne^
ment. Après un instant de silence ^ Jeanne continue. )
Doîs-je vous répéter la troisième prière?
LE ROL
Assez! je te crois! cela passe le pouvoir des hom-
mes ! le Dieu tout-puissant t'a envoyée.
ACTE I, SCÈNE X. 5ï
. LARCHÈYiQDE.
Qui es-tu , étonnante et* sainte fille? quelle heu-
reuse terre ta vue naître ? Parle^ quels parens bénis
du ciel t'oj:it donné le jour ? .
JEANNE.
Honorable seigneur^ on me nomme Jeanne. Je suis
l'humble fille d'un berger de Donremi, d'un viljiage
qui appartient à mon roi dans le diocèse de Toul.
Depuis l'enfance , je gardais le troupeau de mon père,
j'entendais parler de ces insulaires^ qui étaient venus
sur leurs vaisseaux , pour nous faire reconnaître un
souverain étranger qui n'aime pointle peuple. On ra-
contait qu'ils s'étaient déjà emparés de la grande ville
de Paris et du royaume ; j'allais prier la saiilte mère
de Dieu de nous préserver de la honte du joug étran-
ger et de nous conserver notre roi français. Au de-
vant du village ou je suis née, est placée une anti-
que image de Notre-Dame que viennent adorer
beaucoup de pieux pèlerins , et non loin de là on
voit un chêne consacré que beaucoup de miracles
ont rendu célèbre ; j'allais souvent par un penchant
involontaire m'asseoir à l'ombre de ce chêne pen-
dant que mon troupeau paissait : si un de mes
agneaux s'égarait sur la montagne , toujours un
songé me le montrait revenant à moi, quand je
m'endormais sous cet arbre. Une fois que, pendant
une longue nuit, j'étais venue dans de saintes pensées
me placer sous ce chêne, sans ^'abandonner au
sommeil, la sainte Vierge se. montra à moi; elle
portait une épée et un drapeau ; du reste , elle était
comn^e moi vêtue en bergère ; elle me parla ainsi :
« Cest moi ; lève-toi , Jeanne , laisse ton troupeau ,
Wr^^'BfL' -. JiW _ >*
5» LA PUCELtE D'ORLÉANS,
)) le Seigneur t'appelle à d'autres soins ; prends cette
» bannière^ c^infi cette epée; tu t'en serviras pour
^ eiitermîner îles ennemis de mon peuple ; tu con^
» duiras à Rheims le fils de ton roi ^ et tu placeras
» la couronne royale sur sa tête. » Jere'pondis : Conji*
ment une jeuAe ûlle <jui ne connaît point l'art ter-
rible des btitailles pourra-t-elle accomplir de telles
choses? et elle ajouta ; « Une» vierge pure^ qui sait
» résister à l'amour terrestre, se rend digne d'un
>^ pouvoir suprême. Regarde-moi ! j'ai été comme
» toi une simple et chaste fille , et j'ai donné le
>\ jour au divin Sauveur ; moi-même je suis divine
» maintenant. ;> Elle toucha ma paupière ; alors, je
vis au-^essu9 d'elle le ciel rempli d'anges qui por-
taient dan^ leurs mains des lis éclatans, et j'enten*^^
dia ui\e douce harmonie se répandre dans les airs«
Pendant trois nuits consécutives la sainte Vierge se
montra à moi , toujours disant : « Lève-toi , Jeanne ^
>j le Seigneur t'appelle à d'autres soins. » La troi-
sième nuit qu'elle m'apparut , elle me parla avec re-
proche et sévérité , et me dit : « Le devoir d'une
n femme sur la terre ^ c'est l'obéissance; des devoirs
>i pénibles sont le lot qui lui est échu : elle doit être
» éprouvée par une pén-ible soumission ; mais celle
M qui obéit ici-bas sera grande dans l'autre vie. »
Ainsi disant , elle se dépouilla de ses vêtemens de
bergère , et , semblable à la reine du cidi , resplen—
dissante de lumière ,« ellC' s^éleva sur des nuage*
dorés > et regagna lentement le séj^ir de la féli-^
qité- ,» r^- ■
{ Toli5 les assr^t&ns âOBt éinus ; Â^nès ne peut retenir ses pleura, et cache son iisajj^e suri
• . . » .le »«$, du roi. )
/
\.
AinTE I, SCÈNE X. 53
L'ARCHEVÊQUE, «prè» m tsiM hMig sUmm.
Tous les doutes de la raison humaine doivent se
taire devant ce divin témoignage. L'événement con-
firme qu'elle dit vrai. Dieu seulpeut produire un tel
miracle.
DUHOI».
Ses yeux me persuadent plus que ee prodige.
Quelle pure innocence se montre dans ses traits !
LE ROI,
Et moi , pécheur , suis-je digne d'une t6Ue grâce?
Toi qui vois tout et dont l'œil ne j)e\it êtr? ir^Ompd p
tu connais mon cœur ^ tu sais quelle est mon humble
soumission.
JEANNE.
L'humilîtë de» grands de la ferre tst âgi'éatile au.
Seigneur , et il vous élève parce que. YOtts' vous
abaissez*
LE ROL^ ' J
Aiiksi ^ J6 pourrai résister' L me& ennemis?
JEANNE.
J'amènerai à vos pieds la France sounîisf . .
Et tu dis fju'OrM^^i^^ ^^ ' ^yx^cpmb^ra pas ?
: Vous îverwcsfc plutôt la Ijoire refnjrttoter k é^' sefurcfe*
LE ROI. ' • ' '
J'entrerai à Rheims eA vainqueur?
JEANNE.
Je vous V conduirai à travers des milliers d'enne-
r-f
54 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
( Tous les chevaliers agitent bruyamment leurs lances et leurs boucliers , en ttiontranC
une ardeur guerrière. )
jDUNOIS.
Que Jeanne se mette à la tête de larmée, nous
suivrons aveuglément cette guerrière céleste. Son
regard divin nous guidera, tandis que mon épée
sauta la. défendre. ;
LAHIRE. . , ' ■
Nous ne craindrions pas les armes de la terre en-
tière, si elle marchait devant nos bataillons; le
dieu des "batailles marche à ses côtés. Aux armes!
l'héroiïie nous conduit.
( Les cbevaliers font retentir leurs armes , et se réticent. )
LE ROI.
«
Oui, sainte fille , tu commanderas mon armée , et
les princ^^ obéiront à tes ordres. /C^te épée, signe
de la plus haute dignité militaire , cette épée , qiie
le connétable a quittée dans son dépit, passe dans
de plus dignes mains. Reçois-la , favorite de Dieu ,
et qu'à l'avenir....
jpANNE. .
Je ne le puis, noble dauphinf; ce n'est pas avec
ce signe d'uiie grandeur^ terrestre que Je dois obtenir
la victoire-poui^-monroi. 'Je sais linè'autré^épée avec
laquelle je dois combattre; je vais vous l'indiquer,
d'iiprès.c^ que l^prit ^^mt m'ac'^enteigiië^joirdonrfez
qu'on aille la chercher. . , , ,.
Dites, Jeanne. . ,^
,. JEANNE. , . .
Il y aune ancienne cité , nommée Fierbois. Là,
ACTE I, SCÈHE X. 55
dans un cayeau de l'église de Sainte-*Catherine , est
un amas d'armes, antiques dépouilles guerrières.
En ce lieu est l'épée que je dois porter; on la recon-
naîtra à trois fleurs de lis d'or gravées sur la lame.
Faites apporter cette arme , car c'est elle qui tous
donnera la victoire . é
LE ROI.
Qu'on y envoie , et qu'on se conforme à ce qu'elle
dit.
JEANNE.
Je voudrais aussi une bannière blanche entourée
d'une bordure de pourpre. La reine du ciel doit y
être représentée tenant l'enfant Jésus dans ses bras>
ets'élevant au-dessus du globe de là terre. Car telle
était la bannière que Notre-Dame m'a montrée.
LE ROL
Que cela soit comme tu le prescris.
j . » . ». . • j ♦ ' •
JEANNE, à rwh«Têq¥i«'
Respectable prélat, étendez sur moi votre main
consacrée , et donnez la bénédiction à votre fille.
( Elle se met k genoux. ) •
L*ARCHEVÊQtJE..
" Vous êtes venue apporter la bénédiction, non la
recevoir. Que la force de Dieu vous accompagne j
mais nous, nous sommes d'indignes pécheurs.
- . , , i / - • j • • . * i ' ■ * ' ' " ■ •
(Elle se lève.)
UN ÉCUYER.
Un héraut des capitaines anglais vient d'arriver.
< »
JEANNEl
• Faites^le eBtrei;,'t:a]i^ c'est .Dieu ^i l'envoie. ;
( Le roi fait un signe 4 Ncifyer ; il sort . ) .
56 LA PUCEltE H'OHLÉANS,
SCÈNE XI.
>
Les précedens, LE HÉRAUT.
LE ROI.
Héraut , , qu apportes-tu ? Dis , quelle est ta mis-
sionr -
LE HÉRAUT.
Quel est celui qui porte ici la parole pour Charles
âe V^loî§ , c(>mte de PontWeu ?
DUNOIS.
Iqsoleiit liémut^ pûaéraUe, oses-^u bien méeon^
naître le roi de Frçinp^i ({uaA4 tu pars^is dç^i^oft lui-
même ? L'habit que tu portes te protège ; autrement. . .
LEHÇRAUT.
La France ne reconnaît qu'un seul roi, et il est
dans le camp des Anglais.
. . LE RQI.
• • • ' ■ » •
Soyez calmé, mon cousin. Quelle est ta 'mission?
LE HERAUT.
, Moj4 noble ehef^ gémissant sur le sang qu^ a
coulé,, et qui peu); coi^v^r. encore, retîept dans le
fourreâif l^'^pée de s^p. soldats , et avant de donner
lassant à Orléans , il veut bien encore t oÔVïr dés con-
ditions indulgentes. ' i. ]
LE ROI. ,
Qu on 1 écoute.
J%A9NE. A
Sire , laissea9-mç à vofre place f parier» a^^er tolé-
rant, i ^
x
ACTE I, SCÈNE XI. 57
LÇ ROI.
Parlez , Jeanne ^ vous pouvez de'çic^çr ou U paii
ou I4 guerre.
JEANNE, au héraut.
Qui t'envoie, et au nom de <jui parles-tu?'
h^ ç#mb^ de SalWlmfy , général des Anglais*
JEANNE.
Tu te trompes, Héraut, tu ne peui parler au nom
du comte ; les vivans seuls peuvent parler, et noi|
pas tfes morts.
L« HÉRAtlT.
Afenr général est plein de force èf de santé, et il
vit pour votre perte à tous.
' ' JEANNE.
Oui, il vivait lors de ton départ; mais ce matin
un boulet l'a frappé devant Orléans , tandis qu'il
regardait du haut de la tour des Tournelles. Tu
souris parce que je t'annonce ce qui se passe loin
d'ici. Mais tu en croiras tes yeux, si tu ne te fies pas
à mes discours: tu rencontreras son convoi funèbre
à ton retour. Cep'CÎïdânt, parle; expose le sujet de
ta mission.
LE HÉRAUT.
Puisque tu sais bien découvrir ce qui est caché ,
tu dois, le savoir avant que je l'expose.
J^EANNE.
Je ne désire pas le savoir; mais, toi, écoute ce
que je vais te dire, et rapporte mes paroles aux
princes qui t'ont envoyé. Roi d'Angleterre, et voua
■
58 LA PUGELLE D'ORLÉANS ,
ducs de Bedford et de Glocester qui gouyernez en sa
place y faites raison au roi du ciel du sang qui a été
yersé ; rendez les clefs des ailles que tous possédez
contre le droit divin : la Pucelle vient de par le roi
vous proposer ou la paix ou une sanglante guerre*
Choisissez^ car je vous le dis pour que vous le sachiez;
jamais la possession de Motre belle France ne vous
sera accordée par le fils de Marie. C'est au dauphin
Charles, mon seigneur, que Dieu l'a donnée, et il
entrera dans Paris environné de tous les grands de
son royaume. Cependant, pars, héraut, et fais di-r
ligence ; car, avant que tu sois rentré dans ton cainip
pour rendre compte de ton message, la Pucellë
sera déjà à Onléanç , et y plantera l'étendard de la
victoire. • /^
( Elle sort ea laissant tous les assutant dans Fagitation. La toile tombe. ) \
, i *
I
% «
FIN DU PREMIER ACTE, »
:u
•t
t il « > J > ♦
? I • »• »> ;. M
■ . I « I - I »
»:.
« ^ 1 1 • •
.:),'. -../f f '^ ••• M ,<:;./ . •iicv/»;;- '>! r.\o\\ :.!
(T.
\\ ^i . vîi^S • -(i ')
l
ACTE II, SCÈNE I. 5g
««»%%««««%%%««»%%%%%«« V«'l«%M«»««««««%«\^M««»«f%%»%»V»«W««««»««l%%»%«WM/«M«»««%«>M'
ACTE DEUXIEME.
Le théâtre représente un paysage borné par des rochers»
SCÈNE^ PREMIÈRE. *
f
TALBOT et LIONEL, capitaines anglais; le duc
PHILIPPE de Bourgogne, le chevalier FASTOLF
et CHATILLON; des soldats, dçs porte -ban-
nières.
TALBOT. ,
Arrétons-nous ici. Il faut établir notre camp sous
ces rochers, pous y rassemblerons peut-être les
fuyards qu'une première- terreur a dispersés. Qu'on
place une bonne garde sur la hauteur. La nuit , il
est vrai, nous met à l'abri des poursuites; et les sur-
prises ne seraient à craindre que si l'ennemi avait
des ailes : n'importe , on doit user de précaution ;
nos ennemis sont audacieux, et nous sommes battus.
(Le chevalier Fastolf s'ëloigne avec quelques soldats. )
LIONEL.
Battus! ami, ne prononcez plus ce mot. Je n'ose
seulement y. penser;. les Françalis ont vu fuir les An^
glais. Orléans! Orléans! tolnbeau de notre gloire!
rhonneur anglais est tombé dqvftnt lès murailles!
Honteuse et méprisable défaite! L'avenir. pourr^-tTil
6« LA PUCELLE D'ORLÉANS,
le croire? les vaincjueurs de Crécy, de Poitiers,
d'Azincourt^ ont fui devant une femme.
LE DUC.
Cela doit nous consdler; ce n'est pas par des
hommes que nous sommes vaincus, c'est le démon
qui est auteur de notre défaite.
TALBOT.
Oui, le démon de notre inhabileté. Comment,
duc! les <;hiiiière$ qui .éppavanteiit le p^ple effraient
aussi les princes! La crédulité est une mauvaise
«xcuse de lâcheté. Vos troupes ont fui les premières.
LE riuc.
Personne n'a tenu pied; la fuite a été générale.
TALBOT.. ^
Non , seigneur , la déroute a commencé de votre
côté; vo« gens se sont précipités dans le camp en
criant : L'enfer est contre nous , Satan combat pour
les Français ; et c'est ainsi qu'ils ont mis le désordre
dans les autres bataillons.
LIONEL*
Vous ne pouvez le nier, votre aile a plié d'abord.
us ©ne.
Parce qu'elle a été attaquée la première.
TALBOT.
La Pucelle connaissait l'endroit faible de nôtre
c^tap; ejULe savait où la frayeur pouvait se répandre.
m
î LEDUC.
Gomment! les Bourguignons sont donc coupables
de ce malheur?
ACTE II, SCÈNE I. 6i
LIONEL.
Si les Anglais eussent été seuls^ certes ils n'eussent
jamais perdu Orléans.
LE DUC.
En effet, car Orléans n'eut jamais paru à vos yeux.
Qui vous a ouvert un chemin dans ce royaume? qui
vous a tendu une main amie quand vous avez voulu
descendre sur cette côte étrangère et ennemie ? qui
^. couronné votre Henri dans Paris , et lui a soumis
le cœur des Français ? Ah ! par le Ciel , si ce bras
puissant ne vous eût conduits ici, vous n^eussiez
jamais aperçu la fumée d'une ville française*
XIOMEL.
Duc , si les paroles pompeuses prouvaient les ac-*
tions , vous auriez conquis la France à vous seul.
LE DUC.
Vous êtes irrités de ce qu'Orléans vous échappe ,
et vouâ tournez votre dépit contre moi, cofitre votre
aâlié ; cependant si nous perdons Orléans , n'est-ce
pas votre avidité qui en est la cause ? La ville était
prête à se rendre à moi , mais vous et votre jalousie
l'avez empêché.
TALBOT.
. Ce n'était pas pour vous que nous l'assiégions.
LE DUC.
Et si j*emmenais mon armée , cela vous serait
indifférent sans doute ?
LIONEL.
Tout autant y croyez-moi, que lorsqu'à Azincourt
iious eûmes à combattre et vous et toute la France.
62 LA PCCELLE D'OULÉANS,
LE DUC.
Cependant mon alliance vous parut nécessaire ^
et votre régent l'a achetée chèrement.
TALBOT.
Oui chèrement^ et aujourd'hui plus chèrement
encore, car nous l'avons payée de notre honneur
devant Orléanâ.
LE DUC.
N'en dites p4s davantage , seigneur iTalbot , il
pourrait vous en repentir. J'ai abandonne la ban-
nière de mon légitime souverain ; j'ai chargé ma
tête du nom de parjure pour me voir ainsi traiter
par des étrangers ! Que fais-je ici, et pourquoi com-
battre la France ? puisque je suis destiné à servir des
ingrats , je préfère obéir à mon roi véritable.
TALBOT.
Vous négociez avec le dauphin, nous le savons;
mais nous trouverons un moyen de nous garantir
de la trahison.
LEDUC.
Par la mort et l'enfer ! on ose ainsi me parler î
Châtillon , faites préparer mes troupes pour le dé-
part, n<#as retournons dans nos provinces.
( Châtillon s^éloigne. )
LIONEL.
Je vous souhaite un heureux retour. Jamais la
gloire de l'Anglais n'éclate plus que lorsque, se
fiant à son épée seulement, il combat sans auxiliaire.
Chacun doit défendre sa propre cause; toujours il
en a été ainsi. Jamais l'Anglais et le Français ne
pourront sincèrement unir leurs cœurs.
1
1
ACÎE H, SCÈNE II. 63
SCÈNE II.
La reine ISABELLE accompagnée de plusieurs
pages; les prëcédens.
LA REINE.
Qu'enténds-je, chevaliers? arrêtez; quel astre
funeste égare votre raison ? Maintenant que la
concorde seule peut nous sauver , voulez-vous vous
livrer à la haine et préparer votre ruine par la
discorde? Je vous en conjure, noble duc, rétrac-
tez cet ordre donné dans votre colère; et vous, illus-
tre Talbot, apaisez un allié irrité. Lionel, aidez-
moi à calmer ces esprits orgueilleux , et à assurer
leur réconciliation.
LIONEL,
Non, madame ; j'ai les mêmes sentimens. Je pense
que, lorsqu'on ne peut vivre réunis, le meilleur
parti est de se séparer.
I4A REINE.
Eh quoi! les artifices déFenfer, après nous avoir
vaincus dans le combat, viennent-ils ici troubler nos
pensées et nous ôter la raison? Qui commença cette
querelle? parlez. (À Talbot.) Noble seigneur, serait-
ce vous qui, inéconnaissant les services d'un précieux
allié , auriez pu le blesser? que pourriez-vQus faire
sans le secours de son bras ? Il peut à son gré vous
élever ou vous détruire; son armée vous soutient,
et son nom bien plus encore; toute l'Angleterre,
\
64 LA PUGELLE D'flftLÉAHS ,
vomît-elle sur nos côtes tous ses concitoyens, ne
pourrait rien cont|*e ce royaume si l'union y régnait.
La France ne peut être vaincue que par la France.
TALBOT. *
' Nous savonsi honorer une alliée fidèle ; mais se
séparer d'un traître est une loi de la prudence.
LB DUC.
Celui dont la mauvaise foi s'affranchit de toute
reconnaissance, peut bien montrer le front auda«-
cieux du mensonge.
LA REINE.
Comment! noble duc, pourriez-vous ainsi, re-
nonçant à l'honneur, et abjurant toute honte,
unir votre main à la main qui fit périr votre père !
Seriez-vous assez insensé pour espérer une réconci-
liation sincère avec le dauphin, vous qui l'avez
poussé jusqu'au bord du précipice? Quand il est si
près de sa chute, vous voulez le retenir, et dans votre
transport insensé vous voulez détruire Votre ou-
vrage. Ici sont vos seule amis ; votre salut dépend
de votre étroite alliance avec l'Angleterre.
LE DUC.
Je suis loin de penser à faire la paix avec le dau-
phin; cependant je ne puis supporter l'orgueil et
l'indolence des superbes Anglais.
LA REINE.
Venez , calmez-le par des paroles douces ; vous le
savez , la colère d'un guerrier est toujours violente ,
et le chagrin rend injuste. Venez, venez, calmez-
vous^ laissez-moi fermer et guérir promptement
cette plaie avant qu'elle s'envenime pour toujours.
ms
ACTE II, SCÈNE IL 65
TALBOT.
. Duc, que vous en semble? un noble cœur cède
volontiers à la raison. La reine a parle sagement :
donnez-moi la main; et que cette blessure, pro-
duite par ma langue indiscrète , soit effacée.
LE DUC.
Oui, le discours de Madame est raisonnable, et
ma juste colère cède à la nécessité.
LÀ REINE.
Bien ! Qu'un fraternel embrassement scelle ce rc-
nouyellement d'alliance, et puissent les vents em-
porter le souvenir de ce différent !
( L« duc et Talbot s embrassent. )
LIONEL les regarde; et dit A part.
Honneur à cette paix conclue par une furie.
LA REINE.
• Chevaliers, noils avons perdu une bataille; le
bonheur nous a cette fois abandonnés, mais votre
noble courage ne doit pas en être abattu. Le dau-
phin , désespérant de la protection du ciel , a eu re-
cours aux artifices de Satan; cependant il aura^en
vain livré son âme à la damnation , et tout le secours
de l'enfer ne pourra le relever. Une femme victo-
rieuse guide l'armée ennemie, je veujX conduire. la
vôtre; je serai votre guerrière et votre prophAesse^
LIONEL.
Madame, retournez à Paris. Nous vaincrons avec
le secours de nos épëes , et non avec le «ecours des
femmes.
Ton. III. 5
m LA PUGELLE D'OALÉANS,
TALBOT.
RetourneaL, retournez. Depuis que vous êtes dans
le camp la fortune nous a quittes, et nos armes
sont noaudites.
LE DUC.
Votre présence n'est point utile ici , le soldat ne la
trouye pas convenable.
LÀ REINE, les regardant tous troU avec sorprÎM.
Vous aussi , duc , vous prenez contre moi le parti
de ces ingrats ?
LE DUC.
Retournez y madame , nos guerriers se découra-
gent quand ils croient combattre pour votre cause.
LA REINE.
J'ai à peine rétabli la pais entre vous , que vous
vous unissez contre moi.
TALBOT.
Au nom de Dieu ^ madame ^ quittez l'armée ;
quand vous serez partie nous ne craindrons plus
aucune malédiction»
LA REINV.
SJb quoi I Jie suisse pas rotre iidcle alliée? votre
M«M jn'est^e pas la mienne?
^ tALBOT.
' Cependaiit la vôtre diffère de celle que nous dé-
fendais. Nous' sommée engagés dans une bonne et
honorable guerre.
Je venge la mort sanglante de mon père; la
piété filiale a sanctifié mes armes.
ACTE ir, SCÈNE ÎL 67
TALBOT.
Allons plus loin. Votre conduite envers le dau-
phin est méchante aux yeux des hommes j injuste
aux yeux du ciel.
LA REÏNE.
Qu il soit maudit , lui et sa race, jusqu'à la dixième
génération ; il a osé outrager sa mère. •
LE DUC.
Il yengeait un père et un époux.
LA REINE.
11 s'est fait le juge de ma conduite.
LIONEL.
Cela est contraire au respect qu'un fils doit à sa
mère !
LA REINE.
Il m'a envoyée en exil.
TALBOT.
C'était obéir à la voix publique*
LA REINE.
Si je lui pardonne, que je sois maudite, et plutôt
que de le voir régner sur le trône de son père....
TALBOT.
Vous préférez immoler l'honneur de sa mère ?
■
LA REINE.
Vous ne savez pas, âmes faibles^ jusqu'où va le
courroux d'une mère offensée. J'aime celui qui me
fait du bien ; je hais celui qui me fait du mal ; et si ,
ce dernier est mon fils, lé fils que j'ai enfanté, ma
kaine est d autant plus grande. Il me doit l'exil
68 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
tence, je voudrais qu elle lui fût ravie; son insolence
impie n'a pas craint d'outrager le sein qui l'a porté.
Mais vous qui faites la guerre à ce fils , quel droit ^
quel motif avez-vous pour le dépouiller?. de quoi
le dauphin est-il coupable à votre égard? S'est-il
écarté de ses devoirs envers vous? L'ambition , une
secrète envie, vous excitent. Pour moi je le hais, par-
ce que c'est à moi qu'il doit le Jour.
tALBOT.
Ainsi , il reconnaîtra sa mère à ses fureurs.
LA REINE, ,
Misérable hypocrisie ! Combien je méprise ceux
qui veulent s'abuser eux-mêmes , en cherchant à
tromper le vulgaire! Vous, Anglais, c'est la rapine
qui vous attire dans ce royaume, où vous n'avez
ni droit ni prétexte plausible à posséder un pied de
terre. Et ce duc , qui se fait surnommer le Bon , il
a vendu sa patrie, le royaume de ses ancêtres, à
des maîtres étrangers, à des peuples ennemis; ce-
péndj^nt vous avez la justice sur les lèvres. Pour
moi je dédaigne l'hypocrisie. Ce que je suis , il m'est
indifférent de le paraître aux yeux du monde
LE DUC.
11 est vrai , vous avez soutenu votre renommée
avec fermeté d'âme.
LA REINE.
Comme une autre j'ai des passions et de la cha-
^leur dans le sang, et si je suis venue en ce pays
avec le nom de reine , c'est pour y être ce que je
suis, et non pour chercher d'autres apparences.
Quoi! parce que la malédiction du sort avait livré
m^^mmasss^m^maess^BSS^SSSSS!9r
ACTE II, SCÈNE HT. 69
à un époux insensé ma vive et ardente jeunesse»
devais-je mourir à tous les plaisirs? J'aime plus que
ma vie, mon indépendance , et quiconque veut y at-
tenter.... Cependant pourquoi disputer avec vous
sur mes droits? Un sang glacé coule lentement dans
vos veines ; vous ne savez ce que c'est qu'éprouver la
la joie ou le courroux. Ce duc, qui a passé sa vie à
hésiter entre le bien et le mal , ignore ce que c'est
que de haïr du cœur ou aimer du cœur. Je vais à
Melun (^montrant Lionel) : donnez-moi ce cheva-
lier , il me plaît , sa société me divertira. Faites ce
que vous voudrez. Je ne demande plus rien ni aux
Bourguignons, ni aux Anglais.
( Elle fait signQ à ses pages , et s'éloigne. )
LIONEL.
Comptez sur moi. Je vous enverrai à Melun les
beaux jeunes Français que je ferai prisonniers.
LA REINE se retourne.
Un Français sait aussi bien que vous combattre
avec son épée^ et de plus il a de la courtoisie dans
ses paroles.
SCÈNE IIL
LE DUC, TALBOT, LIONEL.
TALBOT.
Est-ce là une femme?
LIONEL.
Maintenant, chevaliers, quel est votre avis.
Continuerons-nous notre retraite > ou retourneronsr-
■h -T"
70 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
nous effacer promptement laffront d'aujourd'hui
par un combat audacieux?
LE DUC.
Nous sommes affaiblis , les troupes sont disper-
se'es. L'armée est encore frappée d'une terreur trop
récente.
TALBOT.
Une crainte aveugle y la rapide impression d'un
moment^ est la seule cause de notre défaite. Exami-
nés de plus près ^ les fantômes d'une imagination
effrayée s'évanouiront par les réflexions de la nuit.
Mon avis est donc qu'au point du jour nous rame-
nions l'armée au bord du fleuve pour combattre.
LE DUC
Réfléchissons-y.
Avet votre permission , il n'y a pas à réfléchir j
nous devons promptement réparer notre désastre ,
ou en subir la honte pour toujours.
TALBOT.
Cela est résolu; demain nous combattrons. Les
illusions de la peur qui aveuglaient et énervaient
nos soldats se dissiperont , et nous pourrons lutter
corps à corps avec ce démon qui a revêtu la forme
d'une jeune fille. Si elle ce trouve à portée de mon
épée , croyez qu'elle nous aura nui pour la dernière
fois ; si je ne puis la rencontrer c'est qu'elle évitera
le combat • et alors l'armée sera désabusée.
LIONEL.
Ainsi soit. Chevaliers ^ confiez*moi un combat
facile j et qui ne répandra pas de sang ; si je trouve
ACTE H, SCÈNE IV. 71
le fantôme encore vivant, je veux, sous les yeux du
Mtard y je veux , dans ses bras , enlever ses amours,
et les conduire dans le camp anglais pour divertir
nos soldats. '
LE DUC.
N'aye£ pas trop de présomption.
TALBOT.
Si je l'atteins , je ne compte pas la traiter si dou-
cement. Cependant allons, par un léger sommeil,
réparer nos forces épuisées , et demain nous parti-
rons dès l'aurore.
( Ils sortent. )
SCÈNE IV.
JEANNE avec sa bannière; elle a un casque et une
cuirasse; du reste elle est vêtue en femme. DU-
NOIS, LÂHIRE, Chevaliers et Soldats. Us parais-
sent sur un rocher, s'avancent en^ilence, et puis
arrivent ensemble sur la scène.
JEANNE, aux cbeYali«n ^i Tentourent, pendant «pie lea autres continuent toujours
à monter et à s'avancer.
Le mur est franchi, nous sommes dans le camp.
Il est temps de déchirer le voile qu'une discrète
nuit a jeté sur vous pour cacher votre troupe silen-
cieuse. Que des cris de guerre apprennent aux en-
nemis votre redoutable approche : Dieu et la Pucelle !
TOU s. Ils crient et font retentir lenra armes.
Dieu et la Pucelle !
< Bruit (le tambours et de trompette». )
7a LA PUCELLE D'ORLÉANS,
LA SENTII^ELLE , derrière le théâtre.
L'ennemi ! l'ennemi ! l'ennemi !
JFA.NNE.
Apportez des flambeaux^ embrasez les tentes; que
l'ardeur des flammes accroisse le désordre f et que
la mort menaçante les environne de tous côtes !
(Les soldats s'empressent , elle veut les suivre. )
DUNOIS la retient.
Jeanne y vous avez maintenant fait tout votre
devoir; vous nous avez conduits au milieu du camp,
vous avez livré l'ennemi en nos mains; à présent
demeurez en arrière de la mêlée, retirez-vous du
carnage.
LAHIRE.
Vous avez montré à l'armée le chemin de la vic-
toire; vos mains pures ont porté devant nous la
bannière : qu'elles ne se servent point du glaive
meurtrier. Ne tentez point le dieu des batailles ; il
est aveugle et infidèle, et dans sa course il n'épargne
personne.
JEANNE.
Qui ose me prescrire de m'arreter ? Qui ose com-
mander à l'esprit qui me guide ? La flèche ne doit-
elle pas frapper où on l'a dirigée ? Où le danger
est, Jeanne y doit être. Ce n'est ni en ce jour, ni en
ce lieu, que je suis destinée à succomber; je dois
voir la couronne sur la tête de mon roi. Tant que je
n'aurai pas accompli tout ce que Dieu m'a ordonné ,
aucun ennemi ne peut m'ôter la vie.
(Elle sort.)
LAHIRE. .
Viens, Dunois! suivons l'héroïne, et allons lui
faire avec courage un rempart de nos corps.
(Ils sortent. )
ACTE II, SCÈNE V. 7?
SCÈNE V.
DES SOLDATS ANGLAIS traversent le théâtre en
fuyant; TALBOT vient ensuite.
UN SOLDAT.
La Pucelle^ elle est au milieu du camp.
UN SECOND SOLDAT.
Impossible, comment y serait-elle venue? jamai&-
UN TROISIÈME.
A travers les airs. Le diable la protège.
UN QUATRIÈME ET UN CINQUIÈME.
Sauvons-nous , sauvons-nous ! Nous sommes tous
morts.
( Us s'en vont. )
TALBOT arrive.
Ils n'écoutent rien Je ne puis les arrêter; ils ne
reconnaissent pas plus le frein de la discipline y que
si l'enfer avait vomi contre eux toutes les légions
des esprits de ténèbres. Le vertige, l'égarement
pressent à la fois les braves et les lâches, et je ne puis
réussir à opposer la plus petite résistance au torrent
des ennemis, dont la foule pénètre à grands flots
dans notre camp. Suis-je donc le seul de sang-froid ,
et tout ce qui m'entoure est-il en proie à cette fré-
nésie? Eh quoi, faut-il fuir devant ces faibles Fran-
çais, après les avoir vaincus dans vingt batailles?
Quel est donc cette femme invincible , cette déesse
de l'effroi, qui change en un instant le sort des ba-
tailles f et qui fait une armée de lions d'un troupeau
74 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
'de cerfs timides. Une comédienne , à qui l'on ferait
jouer des rôles d'he'roïne , pourrait-elle épouvanter
des héros véritables? Comment, une femme me
ravira tout l'honneur de la victoire !
UN SOLDAT, en fuyant rapidement.
LaPucelle! fuyez, fuyez, chevalier.
TÀLBOT, le frappant.
«
Fuis aux enfers; cette épée punira quiconque
osera me proposer une indigne fuite et prononcer le
mot de frayeur.
(II se retire. },
SCÈNE VI.
(Le fond du théâtre s^onvre. On Toit le camp des Anglais en proie aux flammes; on
entend les tambours. On aperçoit des fuyards et ceuit qui les poursuivenL AprAa ofe
moment , Montgomery arrive. )
MONTGOMERY seul.
• Où dois-je fuir? L'ennemi et la mort nous envi-
ronnent : là, notre chef irrité nous ferme de sa
menaçante épée le chemin de la fuite, et nous
repousse vers la mort ; ici , une femme aussi ter-
rible , aussi impitoyable que l'ardeur des flammes >
nous poursuit. Je n'aperçois aucune caverne, au-
cun buisson qui puisse m'offrirun asile. Oh! pourquoi
ai-je traversé la mer pour venir en cette contrée?
Ah ! malheureux , une vaine présomption m'a en-
gagé à venir acquérir en France une gloire facile ,
et maintenant le sort implacable me conduit dans
cette sanglante mêlée. Ah ! que ne suis-je loin d'ici ,
sur les bords fleuris de la Saverne , dans la tran-
y
ACTE II, SCÈNE VII. 7$
cpiillé maison de mon père^ oii j'ai laisse dans le
chagrin ma mère et ma douc§ et tendrç fiancée!
( Jeanne parait dans h fond du théâtre. ) Malheur
à moi! qui Tois*-je Tenir? C'est la terrible guer*
rière? je distingue le sombte ëclat de ses armes
au milieu des flammes éclatantes , ainsi qu'on voit
un esprit nocturne se montrer à travers la lueur
ardente des portes de l'enfer. Où fuir? Elle a fixé
sur moi ses yeux enflammés, et déjà je me sens
saisi; je suis enchaîné par les regards qu'elle lance
sur moi! L'enchantement retient plus fortement
mes pas à chaque instant, et me rend la fuite impos-
sible; quoique mon cœur s'y oppose avec force,
ma vue ne peut se détourner de ce fantôme de la
mort. ( Jeanne Jait quelques pas- i^ers lui, puis s*ar^
Tête un peu en arrière. ) Elle approche! je ne veux
pas attendre qu'elle vienne à moi la première, je
vais en suppliant embrasser ses genoux et lui de^
mander la vie ; elle est femme , peut-être mes larmes
parviendront à l'attendrir.
{ Pendanl q[a*il Mturche pour Taliordftr, «Ue Ti«at k lui furieuse. )
SCÈNE VIL
JEANNE, MONTGOMERY.
JEANNE.
Tu appartiens à la mort! n'est-ce pas une mère
anglaise qui t'a donné le jour?
MONTGOMERY tooJ»* è «es pMs.
Arrête, guerrière redoutable. N'égorge pas un
76 LA PU€ELLE D'ORLÉANS^
malheureux sans défense : j ai jeté mon bouclier et
mon épëe; je tomly à tes pieds ^ désarmé et sup-
pliant. Laisse-moi la lumière du jour ; accepte
une rançon ; mon père , possesseur de riches dor-
maines, habite le beau pays de Galles ^ oà: la.
Saveme roule ses ilôts argçnti^s en serpentant dans
les prairies. Cinquante villages le reconnaissent pour
seigneur.» Sitôt qu'il apprendra que je vis encore ,
prisonnier dans le camp des Français, il rachè-
tera ^ au prix de beaucoup d'or , son fils chéri .
JEAI^NE.
Espérance vaine et insensée! Tu es tombé sous la
main implacable de la Pucelle; il ny a plus ni
délivrance, ni salut à espérer. Si le malheur t'avait
mis en la puissance du crocodile ou sous la griffe
du tigre impitoyable, si la lionne t'avait saisi après
t'avoir vu enlever ses petits , peut-être trouverais-tu
la. clémence ou la pitié ? La mort est assurée pour
celui qui rencontre la Pucelle. Une promesse ter-
rible et inviolable m'engage à l'esprit puissant et
invincible qui me conduit. Cette épée doit donner
la mort à tous ceux qfue l'arbitre suprême du sort
des combats envoie devant moi.
MONTGOMERY.
Tes paroles sont cruellçs ; cependant ton regard
est doux. De plus près ton œil n'inspire pas la
terreur, et mon cœur est attiré par cette aimable
apparence. Au nom de la tendre affection de tes
parens, laisse-toi fléchir ; prends pitié de ma jeu-
nesse.
^mwm^^mmm^^fmmmifm^mmmmmmi
ACTE II, SCÈNE VII. 77
JEANNE.
'N'implore pas le nom de mes parens; ne dis pas
que je suis une femme. Semblable à ces esprits
incorporels qui ont cependant une apparence
humaine^ je ne tiens à aucune famille parmi les
hommes , et sous cette cuirasse^ il n'est pas de cœur.
MONTGOMERY.
Oh! par cette loi sacrée et souveraine, par cette loi
d'amour à laquelle tous les coeurs rendent hom-
mage , je t'implore ; j'ai laisse dans ma patrie une
^aimable fiancée , belle comme toi, et brillante de
tous les charmes dé la jeunesse; elle attend dans
les pleurs le retour de son bien-aîmé. Oh ! si tu as
l'espoir ^de connaître un jour l'amour, si tu espères
y trouver le bonheur, ne sois pas assez cruelle pour
séparer deux cœurs qu'unit un lien sacré d'amour.
JEANNE.
Tu réclames des dieux terrestres et étrangers qui
n^ont rien de sacré ni de respectable pour moi. J'i-
gnore ce que sont les liens de l'amour , au nom des
, quels tu me conjures; jamais je ne connaîtrai ce vain
esclavage. Défends ta vie, car la mort t'appelle*
MONTGOMERY.
Ah 1 prends pitié du désespoir de mes parens ,
que j'ai laissés dans la maison paternelle. £t toi
aussi, sans doute, tu as abandonné des parens que
ton absence fait gémir d'inquiétude.
JEANNE.
Malheureux ! pourquoi viens-tu me rappeler que
dans ce royaume de nombreuses mères pleurent
78 LA PUCELLE D'ORLÉAMS,
leurs ènfans^ que de tendres enfans ont perdu leur
père, que des épouses chéries sont dans le reuvage,
et que vous en êtes la cause ! Les mères anglaises
éprouveront aussi le désespoir ; elle apprendront à
connaître les larmes qu'ont versées les tristes épouses^
françaises !
MONTGOMERY. i t
Ah ! qu'il est dijr de mourir , sans être pleuré , sur
une terre étrangère.
JEAMfE.
Qui vous a appelés dans cette terre étrangère pour
y détruire les travaux d'une heureuse industrie ^
pour nous enlever nos fidèles troupeaux , pour ré-*
pandre le feu de la guerre dans les asiles paisibles de
nos cités ? Dans les vaines illusions die votre cœur ^
vous songiez déjà à précipiter dans un honteux es-
clavage les libres habitans de la France ^ et vous
comptiez régir ce vaste royaume comme une barque
enchaînée à votre orgueilleux navire. Insensés ! les
lis de la France sont attachés au trône de Dieu , et
vous auriez plutôt arraché une étoile à la constella-*
tien du chariot céleste , qu'un seul village à ce
royaume dont le destin éternel est de ne pas être
divisé. Le jour de la vengeance est arrivé; vous né
repasserez plus vivans cette mer sacrée que Dieu a
placée comme barrière entre vous et nous ^ et que
vous aviez injustement traversée.
MONTOO MERY quitte la main de Jeanne qu'il avait saisie.
Il faut donc mourir ! Déjà la cruelle mort s'em-
pare de moi.
JEANNE.
Meurs ^ ami ! pourquoi se montrer ai timide^ et
ACTE II, SCÈNE VIIL 79
trembler devant la mort et Finévitable destin ? Re-
garde-moi! je ne suis qu'une jeune fille, qu'une
simple bergère ; ma main n'est pas accoutumée à'
porter le glaiye ; elle n'a jusqu'ici soutenu que la
douce et innocente houlette ; cependant , abandon-
nant les embrassemens de mes sœurs chéries*, les
caresses de mon père, et ma vallée natale, je suis
venue ici : il le faut; la voix de Dieu, et non pas mon
propre choix m'y a conduite^ Pressés par un fan-
tôme terrible, nous sommes venus, toi pour ton
malheur, et moi sans espoir de bonheur, répandre
la mort, et ensuite lui serrir de victime; car jamais
je ne verrai le jour heureux du retour. Je donnerai
le trépas à beaucoup d'entre vous encore. Je ferai
couler encore les larmes de plus d'une veuve, et
enfin , moi aussi , j'aurai achevé et accompli mon
destin. Achève aussi le tien. Prends ton épée, et
voyons à qui restera la vie, le plus doux prix des
combats.
MONTGOMERY se relevant.
Eh bien , puisque comme moi tu es mortelle ,
et que le glaive peut te blesser, c'est peut-être à
mon bras quHl est réservé de t'envoyer aux enfers
et de terminer le malheur des Anglais. Je confie
mon destin aux mains bienfaisantes de Dieu ; toi ,
réprouvée, appelle à ton secours tes esprits infer-
naux ; défends ta vie.
( n reprend son ëpëe et son bouclier, et fond sur elle. On entend dans le lointain les sons
d'une musique guerrière. Après un instant de combat, Montgomery tombe.)
8o LA PUCELLE D'ORLÉANS,
SCÈNE VIII.
JEANNE seule.
Tu chancelles vers la mort. C'en est fait. ( Elle
s'éloigne de lui et s'arrête penswe. ) Vierge divine f
tu as mis ta force en moi ; tu armes ce faible bras de
ta puissance; tu remplis ce cœur d'une inexorabl<&
rigueur. Mon âme se révolte de pitié, et ma main
tremble lorsqu'il faut détruire dans sa fleur la vie
d'un adversaire. Je frémis comme si j'allais violer
le sanctuaire d'un temple , et je suis émue même
avant de tirer l'acier étincelant de son fourreau.
Cependant s'il faut qu'il en soit ainsi , ta force s'em-
pare de moi , et le glaive , de lui-même , comme
animé d'un vivant esprit, guide ma main trem-
blante et frappe des coups certains.
SCÈNE IX.
UN CHEVALIER caché par sa visière , JEANNE.
LE CHEVALIER.
Fuis ! ton heure est venue ; je t'ai cherchée dans
tout le champ de bataille; fantôme terrible, re-
tourne aux enfers dont tu es sorti.
JEANNE.
Qui es-tu , toi que ton mauvais ange amène de-
vant moi.^ Ta démarche annonce un prince j je ne
vois rien d'Anglais en toi , et je reconnais les cou-
ACTE II, SCÈNE X. 8i
leurs du àiic de Bourgogne ; devant ces dignes j'a-
baisse* m6n ë{>ée:' •
« 'Fuis t^prcMiV^ ! tu ne mentes pas de mourir de la
noble main d'un prince. Ta tète infernale doit être
abattue par la hache du bourreau, et non par la re-
doutable ëpée du royal duc de Bourgogne.
JEANNE.
Ainsi, tu es le Duc lui-niéme.
LE CHEVALIER, levant sa visière.
Je le stiisy malheureuse ; tremble et n'espère plus.
Les artifices de Satan ne peuvent plus te secourir ,
tu n'as vaincu jiisqu ici que de timides enfans ; c'est
un hommie qui est devant toi.'
1 . . . ' • . '
■ . SCÈNE X.
I
DUNOIS et LAHIRE , les préçëdens.
4
DUNOIS.
Duc» tournez vos armes vers moi: combattez
avec des hommes , et non contre une femme.
LAHIRE.
Nous venons protéger la tête de notre he'roïne ,
et ton éyée doit traverser motf cœur avant de l'at-
teindre. •
■ . ' . , LE nue.
- Je ne combats point cette dan|;ereuse Circé ; mais
je veux bieen encore lutter avec vous , qu'elle a si
honteusemeiit- dasrkonorés. Hongis^ex^ Dunoîs , et
ToM, m. 6
^ LA PUCELLE D^RI/ÈANS,
TOUS, aussi , Lahirf^ , d'à v^oir allie votre, (woticjue va^
leur aux artifices de l'enfer , et dç^v^i^^w^e £Mt^
les écuyers d'un agent infernal. Approchez l je tous
défie tous» Il désespèM de la protèctma .de Slieu,
celuiqui implore oelle du démon, r • • <•
- JEANNEl r' •'• ' .'* '"'*'' '-''''
Arrêtez.
tE DtiCi . i -.^ .: r
Trembles-tu pour ton favori ! je ^ais à tes yeux...
( Il s'avanct «ut- Dunoin. ) i
JEANINE. • ,. '.;'j,, , :
Arrêtez! Lahire^ séparez-les : lëjsaiig fisA4çai^
ne doit pas couler. C^ n'est pas Iç glaive qui doit
décider de cette querelle ; les astres en ont autre-^
ment ordonné. Séparez-vous , vous dis-je , écoutez
avec respect l'esprit qui s'empare de moi, et qui
parle par ma bouche.
<Dt)KOI^.
Pourquoi retiens-tu mon bras déjà levé ? Pour-
quoi suspendre le jugement sanglant du glaive.
Le fer est tiré, lalsi$é-moi frapper, et que la Frâtace
soit vengée dès offenseis qu'elle ^- reÇufes.
JEANNE. Elle se place entre les combattansl et les sépare par un asses vaste inter-
valle, pAU s'ad^esiant a J^unoi^ : , . .
Retirezrrvouç 4^ ^ ÇÔ^é» ( -4 Lif^U'e. ) ^Nç nie
troublez pas , j'ai à m'entretenir avec le diijç, ( Le
calme est rétabli. ) Que veux-tu faire , duc de Bour-
gogne? Quels sont les ennemis à qui tu veux donner
la mo^t. Regarde ! ce noble prince est edmmie tQÎ
fils def rancef jceJ»*aTegaerrie!^ est tosice«ipa0OQii
ACTE W,îSC^]SE X. / 83
.4'arwfsp^ ton £OiM;itoy<e« j;l0i>îr^inêi»e ne nud-^rpas
fi^le d^ lA p^trî^ ? iiom i»n$9 <fii«e t(iiTt'ieâbrcesf4'eiH
. terminer i lums spiiime$ àftt>l. MôisÏME*Kfieiit.otti?>erts
^fQW t'e^br^sser i 99^. gi^pous: "vontiléchir dcvai^t
toi; IMS opëes ne situraîiaiit dîôrigQr ieu^ paitiiés
coptr^^ tf. poitrine, liîoe korâmages âaM d|is h vm: Vi-
dage pù.nq^us recemaissoEOs les traits ^kéms Ae mxtt^
roi , même sous un casque eanemi.
LE pue.
. Avec ïf^es. doujces f^aii^l^ et ce ton flatteur > tu
veux, ;sir,èn^., attire^ jta victime? To«i ïa^esse ue
pourra me séduire. Mq|i weille saura se garder 4e
tes discours artificieux. Une impénétrable cuirasse
garantira mon cœur des traits enflammés de tes
yeux. Aux armes ^ JDunois , nous 4eYK>a$ combattis
avec le fer^ et non pas avec les paroles.
DUNOIS,
D'abord les paroles, çit puis les armes. Crains-tu
de t^expliquer par des discours? Çesti aussi une là-*
chetë, et la marcnie d'une mauvaise cause.
.J£ftKl»E.
Ce n'est pas L'impérieuse nédessitë qui nous amène
;à te$:pieds.y et nous ne paraissons «pas devant toi
. comme supplians. Regarde autour Àe 4oi , le camp
des Anglais est en cendres, et les^corpsdevos^ol--
-dats couvrent la campagne. Ëntend^tu retentir les
trompettes dé nos Français; Dieu a prononcé, la
. victoire eat à nous. Le noble laurier (fue 'nous ve-*
. nous de conquérir , nous sommes prêts à le partager
. avec un ami. Reviens à nous , abandonne noble-*
. ment ton parti pour passer dans celui de la justice
84 LA PUCf;^LLE D'ORLÉANS,
et de la victoire. Moi-mêuate , Fenvdyée de Dieu , je
te présente une main fraferAelle. Je veuï te déli-
Trer et t'attirer dans la^ bonne cause.' Le ciel est
pour la France ;^ des anges ^ que tu ne tois pas côfti-
battent pour te roi; tous portent des lis à la main.
Cette blanche bannièren'esl pas plus pur^ qixe le but
de nos efforts : c'est une pudique vierge qui orne la
bannière des Français. •
tB D0C.
Les paroles trompeuses du inensonge o'ilt toujours
quelque chose d'èmbarasse', inais le discours d'un en-
fant ne serait pas plus simple que le tien, et si l'esprit
malin dicte des paroles, il sait imiter parfaitement
l'innocence. Je ne t' écoute plus ; aux armes ! mon
oreille, je le vois, serait plus faible que mon bras.
JEANNE.
Tu m'appelles une magicienne, et tu m'accuses
d'employer des ruses emprunte'es au démon. La paix
rétablie, la haine oubliée, sont-ce là les pièges de
l'enfer? La concorde vient-elle des gouffres éter-
nels? Qu'y a-t-il donc d'innocent, de sacré, d'hu-
main f de bon, si l'on craint d'être coupable en ces-
sant de combattre sa patrie ? Depuis quand la nature
estrelle assez en désordre pour que le ciel abandonne
la bonne cause, et que l'enfer vienne la protéger?
Si la justice parait dans mes paroles , d'où pourrais-
je les tirer , si ce n'est d'en haut ? Qui aurait pu son-
ger à me ravir à mon troupeau , pour consacrer une
humble bergère à défendre la cause du roi? Ja-
mais je n'ai habité auprès des princes ; ma bouehe
est étrangère à l'art des discours. Toutefois, à pré-
1 1 ■iCi
■X
ACTE II, SCÈNE X; 85
sent que je cherche à te persuader , ma Tue embrasse
la connaissance des yastes intérêts; le destin des
princes et des royaumes apparaît clairement devant
mes yeux sans expérience , et ma voix tonne ayec
élomience.
LE DUC, yivemeiittoiicli^, h regarde fixement avec tftonnement et émotion.
Quesepasse-t-il en mon âme? Quai-je senti? Est-
ce un Dieu qui pénètre en moi pour changer le fond
de mon cœur ? Ah cette touchante figure ne saurait
tromper! Non! non! je suis aveuglé par un puis-
sant enchantement^ par ràutorité du ciel. Oui,
mon cœur me l'assure, elle est l'envoyée de Dieu.
JEANNE.
Il est ému! Oui je le vois. Ce n'est pas en vain
que j'ai supplié , les nuSges de colère disparaissent
de son front et s'écoulent en pleurs; ses yeux bril-
lent du doux éclat du sentiment, et annoncent la
paix. Laisse^-vos armes , pressez votre coeur sur le
sien. Il s'attendrit, il est vaincu. Il est à nous.
( Elle jett« flontfpée et sa banniir», s'avanoe vers lai lei bnu ouverts, et reubrane avee
niM vivacitë paasioppée. DuB«is «t Lahire abandonnent auati knr ëpëe , et Tiennent
Temlnrasser. )
FIN DU DEUXIÈME ACTE,
/
m
LA PnCELLE D'ORLÉANS,
• , > • < •
4«< it««%%«»«««««it«««««i%WM«i««««««%iw««^it5
y • • •
• I r • »
• V
ACTE TROISIÈME.
;.j
» 1 ' «
Ld scène est à Chalons-siur-lMfame , dans ïe palais du roi^
SCÈNE PË.EMÏ]ÈiaE.
• 1 II
DUNOIS et LÀHIRE.
Noos S^oùimés amis, frères d^itines'j nos brà^ sont
ariri^s potir défendre la hrême càuâe, liou^ aitôns
fcraté ensettiliflé et Icf ïùàlhetif iét la' mort. Que 1 a-
riioùr d'iihe femme ne rplnye paiÉ un lien ^uî à ré-
sisté & tbiis lés cdùps du' ^olrt. • :*
Prince , écoutez-moi !
DUNOIS.
Vous aimez cette merveilleuse fille ^ et je sais bien
quel est votre projet. Vous voulez aller de ce pas
prier le roi de vous accot'der Jeanne. Il ne peut re-
fuser à votre valeur une récompense si bien mé-
ritée. Sachez cependant qu'avant que je la voie
en d'autres bras
LAHIRE.
Ecoulez-moi, prince!
\
ACtE 111, SGÈNB I. « 87
Ce n'est point TefFet soudain et passager de âa'
l)eauté qui m'attire vers elle. Aucune femme n'avait
encore troublé le calme inëbrànlâblë de mon cœur,
jusqu'au jour où je Vis cette fille miraculeuse , qu'un
deWet de Dieu» destinée à être ta libëratHcod^ la
Vràûcmy et à être aussi mon épousa^ daHs l'iastupt
même , je me promis, ayec un serfoeM sÂct'ë , que je
l'unirais à moi. Le guerrier vaillant doit avoir une
vaillante amie ; son cœur ardent né |>eut éé Re-
poser que sur un cœur qui lui ressemble et qui
puisse affermir et souteaîi* son eourage.
LAHIRE.
Coniment pourrais-^jë; prlfic4, nié liÀsaMlgi* dé
comparer mes faibleè services 'à* là gléite de votre
nom héroïque. Lorsque le comte de Dunois se pré*
sente dans la carrière, tout autre prétendant doit
se retirer. CependsLhi une hutuble bergère eit-èlle
digne de paraître titijji*ès de Vous cohinie ëpotlse;^
et le sang royal qui coule, dans vos veines ne doit-il
pas déd^igqei^ce^^f^Uiaoce.inégale;; ,
EUe^ est née mon égale j^ eUe eét eonunè'mot nn
f afoint de Dieu et ide la facture bienfaisante/ et quel
prince ne serait pas honoré <d6 irieéevoir là tnaid à^
celle qui est l'innocepte lancée des anges, dont
la tête est ornée d'une couronne céleste plus bril—
lante que les couronnes de ce monqe ^ qui voit au-
dessous de ses pieds les plus grands, les plus élevés
de la terre. Tous les ttônes amoncelés l'un sur
l'autre juscju'aui étoiles ne p<Nii>i»tfaeiit égaler la
\
88 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
hauteur de celui où elle est assise^ dans son ange*
lique majesté.
^ LAIIIRE.
Le roi pourra prononcer.
»
Non, c'est elle-même qui : doit prononcer. Elle à
rendu la France libre, et son cœur ne pourrait dis?
poser de lui-même!
■ I.AHIRE. , ".
/Le roi vient.
SCÈNE II.
liE ROI, AGNÈS, L'ARCHEVÊQUE, DUCÇATEL,
CHATiliLON, les préce'dens.
LE ROI, iChâtiUon. "
Il revient! Il veut, dites-vous, me reconnaître
pour son roi et me rendre hommage. .
• ' GHATILLON. t
Oui, sire ; le Duc, mon maître ,' veut ici même
dans votre royale ville de Châlons , se jeter à vos
pieds. Il m'a ordonne d'aller vous saluer comme
mon seigneur et mon roi; lui-même suit -mes pas^
et bientôt il va s'avancer.
• • * • ■ *
/ ' *AGNÈâ.
Il revient! ô jour heureux, tu nous amènes la joie
avec la paix et la concorde.
; CHATILLON. ,
Mon maître arrive ayec deux ceii.ts ch^vaUei^,; il
\
ACTE 4|;I.^SCȫEr, I^. , . ^
se prosternera à vos pieds ; ce{>endant il espère que
vous vous opposerez à cet Kiimble mouvement,^ et
que vous embràSssei^ëz* votre co'u^ih â vec àniitie. '
LE ROI.
Je brûle de le presser sur mon cœur.
•Le Due deivfcande aussi que, dans: cette; premvèrti
entrevue 9 aucun laot ne soit proac^fteé^qui- ait raj^
]M)rt aux s^nqieunes discordes.
Que le passé soit pour toujours n^yé.datUdl'oubU;
nous ne voulons songer qu'aux jours sereins de l'a-
venir.
CHATILLON. . .
>'•■*■ • ' •
Tous ceux gui ont combattu avec le Duc .dpiyent
être compris dan^ cette réconcilia lion.f . , [
Par-là je vois doubler le nombre de messiija^î
GHiTILLOIï.
La reine Isabelle doit être associée à ce traité^ si
elle veut y accéder.
LE ROI.
Elle fait la guerre contre moi ^ et je ne la fais pas
contre elle. Notre combat sera fini du moment
qu'elle suspendra l'attaque.
Douze chevaliers servirontc: d'otage pour . gârautir
votre parole. . : , ; :. . , ...
LE KOL
Ma parole est sacrée.
§a LA PVCELLE D'ÔRLit:AI^,
Et Farcbeyqque. partagera rhostiç .OTitre yo^s ;.e;t
mon maître , comme sceau et comme gage d'une ré-
conciliation sincère. , ,
lÉ ROI. '
Que mes droits au'^alttt éternel répondent de la
Â^ncérité.de moffeocuPetdeiiiesremirt-akeiâens^ Le
Djaciled^tiiandeaucuii^ atttre'gage*. - '
CHATILLON, en jetant un regard sur Duchâtel.
Je vois ici quelqu'un dont la présence pourrait
troûMdr oétté première efatrevuè. »
• ■ • « ' i •
( Dudiàtel sort en silence. )
LE ROI.
Va, Duchâtçl, jusquà ce que le Duc puisse sup-
porter ta vue, il convient que tu te retires. (//
le suit des yeux, puis court à lui et Vembràsse.)
mon fidèle ami ! tu as Vdulu faire encore davan-
tage : pour :mdn répoBi
(Dttchâteltort.)
éflÂtitLON.
Les' autres articles sont contenus dans cette dé-
]^che.
LE ROI, à rarcheréque.
Vous prendrez soin de les régler. Je consens à
tout; pour acquérir un ami, il n'est point de trop
grands sacrifices. Vous , l)unois , prenez avec vous
cent nobles chevaliers', et allei recevoir le duc. Que
lets soldats^ se coui^ehnent de feuillages pour aller
au-devant de leurs frères. Que toute la ville &'drnfe
pour cette fête, et que le son des cloches annonce
que la France et la Bourgogne s6nt de noutea^
ACTE m; SCÈNE II. gr*
unies. (JJn écuyer entre ^ on entend les trompetles.)
Qu'entends-je! qu'amioncent ces trompettes?
• . • • •
LÉGUYER.
E)Ues annoncent Ventrée du du^ç (|le BourgQgxi.ç. . , i
, (ntoK.> • •
t '
' IHTRMS sert ftvtoc'IiÉliiM et GAâtUlbii
Allons k sa rencontre. '
LE BOI.
Agnès, TOUS pleurez? Et moi aussi je manqué
presque de force pour riésister à ce changement. Ah l
comÛen la mort a pris de victimes ;y avant qu<e j'aie
pu réussir à obtenir cette réconciliation. Mais enfiiv
la rage de la tempête s'apaise ; le jour succède à
la nuit obscure , et une heureuse saison vient mûrir
dé» frtiit9 trop tardifs.
L'ARCHEVÊQUE, à U fe^i^tre.
Le tiiic fend la presse , on le porte en trk>iipphe f,
on baise ses vétemens et la trace de ses pas.
LE ROL
C'est un bon peuple , ardent et vif 4^ns son
amour comme dans sa fureur. Comme ils ont vite
oublié que c'est là ce même duc dont la main a
frappé ou leurs pèr^s on leurs enfans. Cet ifn^ânt a
efface toute sa vie. Prends courage, kpkèêf fàtvvé
joie pouii*afît blesfser son âme. Rien fei ne Aoit Yàf^
tàg^r cm l'humilier.
i • «f
'jî.'j-. j I
»
> s»
fta, LA PUCELLE; D'ORLÉANS,
SCÈNE ni
Les pi^'cëdens, le duc dé BÔURGÔGWÉ, DUNOIS,
LÂHIRE , CHATILLON et d'autres ckevaliers de
la suite du duc.
(Le Duc s'arrête un instant à Tentrëe. Le roi s'avance vers lai. Aussitôt le Dac s appro-
che , et au moment où il se dispose à mettre le genou eu terre , le roi le serre dans ses
iras.) '- - ♦ ' '
LE ROL
Vous nous avez surpris; nous comptions aller à
Totre rencontre. Votre marche a été' rapide.
>
LE DUC.
Je me rendais à mon devoir. ( // s^twani^ vers
j4gnès et F embrasse au front* ) Vous permettez., cou-
sine; c'est un droit dû au seigneur d'Arras , et au-
cune belle ne s'est encore refusée à cet usage.
LE ROL
Votre capitale est , dit-on , le siège des amours et
rassemble mille beautés.
• ■ . • . ' -fi
. LE DDC. . . »
Sire, nous sommes un peuple commerçant, toutes
les choses précieuses qui croissent dans les divers
climats sont étalés à nos yeux et pour notre jouis-
sance sur le marché de Bruges. Et qu'est41 de plus
précieux que la beauté des femmes ?
AGNÈS.
Leur fidélité est estimée à un plus haut prix
encore, cependant on ne la voit pas sur ce marché.
AGtE m, SCÈNE III. • 93
, . L£ ROI. • <
Mon couisîii^^ Youç avez une xn^aurais^ renommée :
on dit que vous faites. p^u de cas «4^ la., plw bdAt
vertu 4es femnpies. , ,\ , , > •
^ LEDUC.
Ce serait une. hérésie qui trouverait en elle-même
une dure punition, Vous êtes heureux., sire, le
cceùr vous apprend de bonne Jieîare ^ ce qu'une yie
agitëe ne m'a laissé' connaître que bien tard. ^(//
aperçoit ràrchei>ê^ue et lui prtnd la, niûm.^pignig
homitne de Dieu, le vous demande votre viïéné-
diction ; toujours on vous trpuve dans le chemin dû
devoir , et quand oioi. veut vous voir , c'est là^ qu'il
faut revenir.
L'ARCHEVÉQUÊ.
Que le seigneur m'appelle à lui , si telle est sa
volonté* Mon cœur est comblé de joie et je mourrai
content puisque mes yeux ont pu voir ce jour.
LE DUC, hfk^U.
On dit que vous vous êtes privée de vos pierreries
pour fournir des armes contre moi. Quoi donc!
auriez-vous des idées si guerrières ? était-ce à vous
de me poursuivre avec tant de chaleui: ? Maintenant
que le combat est fini, chacun doit retrouver ce qui
a été perdu, et vos joyaux se sont retrouvés* Vous
les aviez destinés à me . faire la guerre , recevez-les
de ma main en gage d'amitié.
(n prend, de laàiaia d^on de set.suiyaas^.rtfcrra qn'il présente tout ouvert à Agaès.^lle
re^rde le roi, qui parait surpris. )
^ LE ROL *
Acceptez ce présent , c'est un gage que l'amour et
la concorde me rendront doublement cher.
94 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
LE DUC plaçant dans lesWherev&d^ Agnès an« rose de brillans.
»
- >Que «'«srt-HCe la ccmrpnne de France'? je la' place-
ircâà^d'tifn ^otfîit aussi Mêle sur cette, tété charmante.
(// s'incline et lui preij^ Id main.) Et comptez sûr
moi, si quelque jour vous ayez hesoip ,4Mn .^r^ii*
'{/fgnès se (détourné ibut en pleurs j. le rçi pflri^ft/qirt
e)nà. TqUs ' les àssisians resard&it le^ iieii^prmç€f
av^c .attendrissement. I^ Duc y aprfs avoij;^ j^ fe*
yéix sur toutes les phjrsionçmies, se jette, 4aw l^
bras (ht roi.) ô mon rôi ! (^w mêtne instqnt J{e^ irfiff
clievaliers bourguignons . embmssent Varçh^y^i^ ^
[iflinoîjs et Lahire. Les Seux princes restent un in^t/i^ift
en silence daris les bras Vun de Vautre.^ Ppuvais-jp
TOUS haïr! pouvais-je vous renoncer!
»LE JlOI. , , .;
As3ez, à§s^ez ! n!iijoufez rieo »d^ pJus.
« *
îm: buc. '
J'aurais pu courimaer cet Anglais ! engager ma
foi à un ëtriuiger ! .précipiter pton^roii/daais tô*zv£be!
Î/E Ror. '
Tout est oublié , tout est effacé. Ce seul ' instant a
tout réparé. Lé reste â été Teffét du sort et des astres
funestes. •
LE ;9U0« luiMtrtntlaiMitf. ^ * <
J^'irëparerai mes ^^Hd, -croyefc-ncnoî , je les répa-
rerai. Votre royaume- entier ^ddit l'entrer en Votre
pouvoir y sans qu'il en manque un seul village. •
LE ROI.
Nous sommes unis, je ne crains plus aucun
ennemi.
.HGtBTtr; SCÈNE ÏIl. ^ t
f
L.£.DUa.
de porter les armes exy^\rfir^ons^'{MiA^^nii^^è9'])
Mais pourquoi ne me 1 avez vous point envoye'e ? Je
tant que nos coeurs se sont serres L un contre i ai
tre. Maintenant j'ai^ti!*b!ivé une véritable place; c'est
f ^ ; !pi;i«»V ' ^ua^ '«tos lankië f iat ^FMiitft !,' ^écMihfe ii^é
pWfiîx rfeaAissimlt. y * ira- k(mip^ dè[ ^' Wdi4s'\^ ^ûtk
^vf^nif krîdftt se nnuntrê àiqotidv Iè4 ^kte§ i)i-6li^è4
dcrAcKri pa.yb Timtv6e^iiir9l(i»>ilkâ!etl teé vhlsf^éi
dévastes vont sele^ooriembdiMè^ leut^'^iiitâ^l té&
champs vont se couvrir d'une verdure nouvelle.
Cependant ceux qwronif.- p^'^ûptimes de vos dis-
cordes ne pourront reniaître a la vie , et les larme»^
que vos combats pnt f^^t «oi^^ .se. fpj^rrùfit, vet
monter , \Bts leurs sources ; la race, i ;i^aj^Qt;Q i)^-
rira, tariditf que cèllè-ci a été' flétrie par la souf-
france. L'ange du boâhÉut» ne saurait réveiller les
pè^es, , ^}^ lejw i t^m^l^^* >Tel8 « spat . les' fruifs dç
ïry^,4^ftnj^fW¥ '^•^JfliffiflUteiiiJi 5 ;qi«ic«ci v6«fc'8oi|
une leçon : tremblez d^v^pt le génie du glaive,
le, cp/nmç
îe faûcota^'qûl', clù naut des airs , revient au prémi^jc
signal s'abattre sur le poing dû chasseur; la main cé-
leste ne viendra pas deux fois prêter comme aujour-^
d'hlû.aoa'aasifilaace; i>i ^i-'j ^'t^'- ' ' ' •* "
, ^ LAiPUCElLE DfORLÉA'NS,
LB DUti.
• • • • ^
rc&rey -un' dbge ke tieht à ydsMcôtës: Où est-ellé / ^t
pourquoi né le vois*-je pas ici ?
' . LE ROI.
ûh est Jeanne? Comment nous manaue-t^Ue dans
cet neureux moment que nous lui dcvpijsc , t
Sire^ le l<Msif;d'u^e, court joi^véïrçonTièQt/malnà
cette sainte fille; • Quand l'ordre de Dieu ne l'appelle
pas à paraîtra d^l^^.l'é^l^t jdwL motnie^ koi^teuseî^' elle
éy^ite^l^ Xf^r^ prpfanQS(du.Tu}gaÂrede8 konimek;
]t4or$q;u'^lle n'est pals paoupëé de&rsuiecè&delà F»ânce>
^aAs dçute çUe â'ciDtx^i^ent ayec Diea i à<m% k ^béué^
dJK:tioi^.acçonip«igi;ieil(ltis.ae8 pas.:.i - i * *-' ' ' ^
^ '': fil f. il J J < '^ ••' ♦* ....... j • ,
« • « • ft
Les précédéns j ' JfEÂlSfNTÊ. Elle est armée , mais sans
casque; ses cheveux sont ornes d^une guirlande.
■ -LP »0ï.- tl 1)! ^ ^i' '
Noble Jeanne I ne Yeness-vMs- pâ^ / comblé ùné
• prêtresse y consaprer^ïunibn qui est votre ouWage?
LE DUC.
il ,•
' Cette vierge, si terrible dans le combat,^ com7
bien elle semble embellie, par la paix f Ai-je tenu
ma parole , Jeanne ?* Etes - vous contente , et yo»
ordres ont-ils été suivis ? .
JEANNE, .,....,,, / •
M'en recueiUez«-vous pas la plitti;giâDdc vrécom**
ACTE III, SCÈNE IV. 97
pense? Maintenant \(^v^ bjpillez de l'ëclat le plus
pur. Auparavant "votre gloire était âen^labt^ à
un astre de terreur qui xao%tre dans le ciel une
lueur sanglante et sombre. (Elle regarde autour
d'elle. ) Que de nobles chevaliers sont ici rassem-
ble's ! tous les yeux brillent d^ joie. Je n ai ren-
contré qu'un seul affligé , qui est obligé de se cacher
quand les autres se réjouissent.
ht ntJc.
Et qui peut se croire assez coupable pour déses-
peirer de notre bienveillance ?
JEANNE.
Peut-il approcher? dites > doît-il l'oser? Quç la
gi'âce soit complète; il n'est pas dé réconciliation
quand il reste encore quelque chose sur le cœur.
Une misérable baine , quand on la* laisse au fond
de la coupe , convertit en poison la libation sainte.
Il n'y a pas de tort û sanglant qui lie puisse obtenir
aujourd'hui le pardon du duc de Bpu^^ogne,
Le (ddc.
Je vous comprend§, Jeanne,
Eh bien ! ne voulcz-^vous pas pardonner, Bucj ne
le voulez-vous pas ? Avancez:^ Ikichàtel. (Elle ouvre
laporte^ et fait entrer jDuchdtef, gmxdem&ireSoii^*)
Le Duc se réconcilie avec tous <3es ^an^mi^^ plM^m
vous aussi , Duchâtel.
( n avance ^ uel^Oie pats , et cherche > lire daas \9} rem 4a Xhtic. )
Tost. IIL 7
j>
^8 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
lE DUC.
Que voulez-vous tle moi, Jeanne? Sàvez-vous
bien ce que yous demandez ?
, JEANNE.
Un notle seigneur ouvre sa porte à tous les hôtes,
et n'en. exclut aucun. Pareille au firmament dont
l'enceinte environne la terre entière, la clémence
doit envelopper a la fois amis et ennemis ; les
rayons du soleil s'étendent de toutes parts dans un
espace sans bornes, et la xosée du ciel vient au
secours de toutes les plantes desséchées ; les bontés
célestes sont générales et sans restriction.
LE DUC.
Elle dispose de moi suivant sa volonté ; mon cœur^
comme une cire flexible, obéit à sa main. Embras-
sez-moi, Duchâtel, je vous pardonne. Ombrç de
mon père, ne t'irrite point de ce que je presse anjii-
calement la main qui të donna la mort ; tes mânes
. ne me reprocheront pas d'avoii' brisé le serment de
vengeance , là-bas , dans ces demeures de l'éter-
nelle nuit , où le cœur n'a plus de mouvement , où
tout est pour toujours , rien .ne peut changer :
mais il en est autrement sur cette terre qu'éclairent
les rayons du soleil ; l'homme , la créature vivante ,
est la faible pro|e des circonstances impérieuses.
LE AOI, A Jeanne.
Pourrais-je te témoigner, noble fille , une assez
haut« reconnaissance? Combien tu as déjà surpassé
tes promesses ! combien rapidement tu as changé
mon destin ! Tu m'as réconcilié avec mes amis , tu
ACTE III, SCÈNE IV. ^
as pi^ëcipité mes ennemis dans la poussière > tù aâ
délivre' mes villes du joug e'tranger ; toi seule as fait
ces prodiges. Gomment puis -je m'acquitter en-*
vers toi ?
Conserve toujours dans la prospérité la douceti:^
que tu avais dans le malheur ; au faite de la grandeur
n oublie pas que , dans Finfortune, tu as éprouvé
ce que vaut un ami. Ne refuse ni justice ni grâce
ménie âù dernier de tes sujets; n'est-ce pas une ber-
gère ^ué fiièu t a envoyée pour libératrice ? Tu réu-
niras toute la France sous un seul sceptre , et tu de-
viendras l'aïeul et la tige de princes plus grands et
plus brillans de gloire que ceux qui t'dnt précédé
sur le trône. Ta race fleurira aussi long-tempâ (Qu'elle
conservera des droits à Tamour de son peuple; l'or-
gueil seul pourra amener sa chuté ; et du fond de
ces humbles cabanes , d'où est sorti ton sauveur , un
sort mystérieux menace peut^tre de leur ruine tes
descendans coupables.
LE BtJC.
Fille prophétique, qu'inspire l'esprit saint, dont
les yeux percent l'avenir > dis-moi ^ qu'adviendra-t-il
de ma race? doit-elle, ainsi qu'elle à commencé, ac^
croître encore sa grandeur souveraine ?
JEANNE.
Duc de Bourgogne ! tu t'es assis à la hauteur
du trône, et ton cœur superbe aspire plus haut en-
core I Tu voudrais élever jusqu'aux nues l'audiacieux
édifice de ta grandeur. Mais la main d'en haut va
bientôt arrêter ces progrès ; ne crains pas cependant
loo LA PUGELLE D'ORLÉAîlS,
la chute de ta maison , elle surviTrâ plus brillante
en la personne d'une fille ; et il sortira de son sein
des monarques ornés du sceptre et puissans sur les
peuples; ils régneront sur les deux empires les plus
puissans du monde connu, et aussi sui* un monde
nouveau, que la main de Dieu tient encore caché,
dans des mers inconnues aux vaisseaux.
JLE ROI.
parle! puisque Tesprit saint t'éclaire. Cette
union fraternelle que nous venons de renouveler
unira-t-elle aussi nos derniers neveux?
JEANNE, après un insUnt delilence.
Rois et souverains , redoutez la discorde. Gardez*
vous de la réveiller quand elle sommeille dans son
antre. Si une fois elle en sort, il faudra long-temps
pour Tapaiser. Elle fait naiti^e une race au cœur
de fer , et l'incendie allume sans cesse un nouvel
incendie. Ne solihaitez pas en savoir davantage;
jouissezdu présent, et laissez-moi tenir l'avenir caché.
'i:GNSS.
Sainte fille , tû connais mon coeur , tu sais s'il
aspire à de vaines grandeurs. Dis^moi aussi quelqub
oracle consolant,
JEANNE.
L'esprit saint ne me révèle que le sort des empires;
les révolutions de ton sort se passeront dans ton
pi^opre V:dé?ur.
DDNOIS.
Mais toi , fille sublime, quel sera ton sort, toi que
le ci^él chérit? Sans doute le plus grand bonheur de
la tsevte éôt piromis à celte qui eàt pieuse et sainte.
ACTE III, SCÈNE IV. loi
JEANNE.
Le boaheur n'habite que là-haut dans ie spin rde
l'Éternel.
LE ROÏ.
ff
Ton bonheur Stera désormais \^ soîq le pli^ çkep
de ton roi. Je veiix élever ton nom, eu Fr^pce. Quç
la dernière postérité sache ce quç j'ai £ait pouv tpi ;
ma reconnaissance va éclater sur-^e-ch^mp^ : meta
un genou en terre. (Il tire son épée et en touche
Jeanne. Y Je t'ennoblis. Ton roi t'élèye au-dessus de
la poussive d'une naissance ol)scurej et tes ancêtres
mêmes qui sont dans le tombeau^ je les ennoblis.
Tu porteras le lis dans tes armes , tu seras égale en
noblesse aux premier^ de la France ^ et le sang royal
de Valois sera seul plus noble q^ie le tien. Les plus
grands parmi les grands de n^a cour se tiendraient
honorés de ta main , et je m'occuperai à te choisir le
plus illustre époux.
' ^ ' DANOIS s'avance/'
Je 4'avats choisie avant son éléTation. Les noii-
Teaux honnetkfs qui fouillent sur sa tète ne peuvent
augmenter ni sa ^gloire ni mon amour ; ici , en pré-
sence de mon roi et de ce saint archevêque, je lui
présente ma main comme à la princesse mon épouçe,
si toutefois elle me croit digne d*aspirer à cet hon-
neur.
Ï.E RO^.
Rien ne peut te résiis}:er; tu ajoutes des miracles
aux miracles, et je commence à croire qu'il nVst
rien qui te soit impossilile. Tu as vaincu ce cœur
orgu^iUeusL qu^ jusqu'à cette heunefivait méprisé le
pouvoiride l'amour* ,
I02 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
LAHIRE s'avance.
Le plus bel ornement de Jeanne^ je la connais
bien , c'est la modestie de son cyoeur ; elle est digne
de la grandeur, mais jainais elle n'aurait porté si
haut ses désirs. Elle n*aspire point à unç y aine élér
vation. Le dévouement sincère d'un èœur généreux;
saurait la satisfaire , et c'est ce ti^anquille bonheur
que je lui otFre avec ma main^
LE ROJ[. V
Et toi aussi, Lahire? quoi, deux rivaux pareils en
gloire et eu héroïsme ! Après m'avoir réconcilié aveq
mes ennemis, aîprès avoir apaisé i^on royaume,
teux-tu divi^çr entre eux mçs plus çhers,amis? Puis-
que tu ne peux appartenir qu'a uq seul ^ çt que tous^
deux sont dignes d'un tel prix, parle j( c'est à ton,
cœur de proqoncer entre eux.
AGNÈS a*approcli«^
La noble Jeanne est interdite, et son visage se
colore d'ui^e rougeur modeste. Laisçea^-lu^ le temps
d'interroger son cœur, de* se confier k une amie , et
d épancher les secrets que cache sa pudeur. C'est k
moi ^ en ce moment^ d'îjior.d.er , comme une tendre
soeur, cette fière héroïne, pour lui offrii' une dis-
crète confidente. Laissez d'abord le secret d'une
femme se révéler à une autre femme, et attçndça^
ce qui sera résolu entre nous.
LE KO i parait prêt- à s éloigner.
Qu'il en soit ainsi. ''^ '
• |EANl4i; . •• . •
•Non, sire; si j'aLj.'ougi ^devant; votas, w n'eit point
par le trouble d'une pudeur timide. Je n'arrien \
V
ACTE HT, SCÊNÊ IV. n io»
Confiçr à cette noble dame que je ne puisse dire de-*
Tant TOUS, sans blesser la, modestie. Le choir de ces
illustres chevaliers m'honore ^ mais je n'oublierai
point que je jsui& une simple bergère. Est-ce donq
pour acquérir de Tains et frivoles honneurs ^^ ept-cc^
donc pour orner ma tête de la couronne nuptiale
que j'ai revêtu cette armure d'airain ? C'est à d'au-
tres œuvres que j'ai été appelée ^ et une chaste
vierge peut seule les accohiplir. Je suîs la guen'ière'
du Tout-Puissant, et je ne puis être Tépouse d'urf
homme.
Lst femme est née pour êtgie la tendre compagne
de l'hômn^e ; quand elle obéit à la nature , elle n'eu
est que plus digne du ciel. Quand vous aurez satisfait
à l'ordre du Tout-Puissant qui vous avait envoyée
sur les champs de bataille., il sera temps de déposer
vos armes, et de. retourner à la vie paisible que
vous aviez abààdôhhée ; votre sexe n'est pas destînç
aux oeuvres satiglantes cïe la jgueîTe^
JEANNE, :
Vénérable, seigneur^ je ne sais point encore ce que
Vésprit saint m'ordonnera d'accomplir; quand le
méînent sera venii, sa voix ne sera point. muette
pour moi, et je saurai lui. obéir. Ilm'ordcfiine.maî^n-*
tf^^ut«de terminer ma. mission:; Ifi.frontde mon
souverain n'.ai point encore reçu la couijoUnefrjfhuUe
sainte n'a ^ point encore été. répandue aurâaitète,: U
n'est entK>re q»t mon seigQdur> et non jwsi moiî xfik-
Nous^uivons là route qui ccfiiduit à Rh^lti^^^^*^
to4i LA FUCELLE D'O&LÉAItS,
Ne (îemetirwîs point trancpiîlics^, tandis <jué les
ennemis nous entourent et s'occupent à vous fermer
lé iditemin. Cependant je saurai: tous conduire à tra-
fers tontes leurs armées.
DUNOIS.
.Maïs lars<jue tout sera terminé, lorsque nous*
$erans entrés victorieux à Rheims, alors, noble té-
raine p. voudrez-Tous m'agréer pour époux?
JEANNE.
Fasse le ciel que , couronnée jpar la victoire , je
^ui^e m'^ék>îgtier de ^s champs de cafMige ! Alors
#ta vocotion sera finie, et la bergère n'aura plus af-*
faire dans le perlais des rois.
LE ROI lui preoattt la main.
Tu obéis maintenant à la voix de Tesprit saint ; et
ton cœur, plein d'un amour divin ^ est sourd à
Tamour terrestre. Mais> crois-moi, il l'éçoutera
quelque jour. Le bruit des armes cessera; la vic-
toire nous ramènera la paix , alors le bonheur s'em-
fëttPû dtf tbirtés les àmes^, et un déiîdeui scmtîment
i$'év<âiUet!à dans totxs les cœurs : tu réprouveras aussi,
et ^Sf cNsb^ enchanteurs remplirent tes yeux des
piM douces larm^» qu'ils aient versées. Ce ccrar^
qu6< Fàmour du ciel oeeupe tout entier, se laissera
enf ràibet< à un atitre amour. Ta ditifiie assistances
a i^endii te bonheur à des miliierS' cPhommeis : v9U-<
^is-^tu finip^ par Caire te kialheur d'iuA seul ?
Dauphin*, es-^tu ^onedéja lassé de Is }j>r(^lectioBt
ACTE IV, SCÈNE IV. io5
du ciel , puisque tu veux briser son vase d'élection ,
et forcer la chaste yiérg^è que ïlieu a envoyée de des-
cendre dans la foule du vulgaire ? Cœurs aveugles ,
hommes de peu dre foi^ U toute-puis9abce du ciel se
manifeste à vous ; ses miracles ont frappé vos yeux ,
et vous ne savez rien voir en moi qu'une femme !
Une femme eût-elle osé se couvrir de ce vêtement
de fer et se mêler parmi les combattans? Malheur
à moi si^ tandis que ma ntôin porte ^eglavve ven-
geur de mon Dieu , mon frivole cœur ^e laissait, en-*
traîner à un sentiment qui aurait pour objet une
créature terrestre î II vaudrait mieux pour moi que
je ne fusse jamais née. Que de semblables paroles
ne soient jAns pronoriéées , car vous irriteriez l'es-
prit sa^nt qui s'indigne en moi : les regards des
hommes et leurs désirs sùiA à mes yeux un horri-
&le^$éml^e.
Finissons^ c'est FirrUer vainement.
Ordonnes^ qube l'on âéûne la.trosnpcilte i^uerrière.
Ce repos me pèse et tm tourmente; il faut que je
sorte de cet oisif loisir^ iJrfaut qi^e^ j'^pçp9)piis$e pi»
mission, il faut quç j'ol)éîsi^j^ au M^ff impériaux
qui me conduit.
1
J a • V , , ■ . , j ,
• I I
. ...
. ■'•••■ '
I
I
-, ,' : * ' •■• • ' ' » >
ïo6 LA PUCELLE D'OHLÉAT»S,
• - ■ » -
-= ' SCÈNE V.
, ■.'■■*' r
Les> précëdens. Un CHEVALIER entre ^àvec
précipitation. '
LE ROI. r
Qu'est-ce?
LE CHEVkLIER: '
• • • •
L'ennemi a passé la Marne; il dispose ses batail-
lons pour le combat.
: ' r. : ' < ' .
J&âNVE, avec enthouafasine. .
Aux arme^I aux armes l maintenant l'ame peut
rompre ses liens. Armez-vous, je vais tout regle^
pour le combat. , ,
* . (ÉUê'sort. )
• LE ROL • . t
Lahire^ suivez-la. Veulent-ils nous disputer fc
couronne même aux portes de Reims ?
ôtîNOiè;'.' "^ \
Ce n'est pas là un vrai coiirage , c'est le dernier
effort d'uD espoir furieux et impuissant.
tE ROr. '
* Duc de Bourgogne , 'je n'ai rien à vous dire ; vbicî
le jourqftti peWréparéï'beaucou^l " ' ' '
LE DUC.
Vous serez satisfait.
LE ROI.
Je marcherai devant vous dans le chemin de la
gloire; et devant la ville qui renferme ma couronne,
je combattrai pour la conquérir. Mon Agnès , ton
chevalier te dit adieu.
ACTE Iir, SCÈNE VI. lo^
AGNES Tembraue.
Je ne pkure pas, je ne tremble pas pour toi; ma
confiance s'assure aux bontés du ciel ; il ne nous a
pTas donne tant de gages de sa faveUr pour noud
abandonner après. Bientôt, mon cœur me l'assure,
j'embrasserai mon roi couronne par la victoire dans
les murs de Rheims.
(Les trompettes font retentir un air brillant et aninatf , qui devient peu à peu' terrible et
gi)e;rrier. Pendant ce temps I^ scène change , puis Torchestre accompagne les trom-
pettes plac^e^ derrière lâ scène.)
SCÈNE VI:
La scène change et représente une plaine découverte , temii'née
par des arbres ; la musique continue et l'on voit des soldats
traverser rapideçtient le fond du théâtre.
TALBOI" soutenu par FALSTOLF ; des soldats les
accompagnent. LIONEL survieht bientôt aprèè. .
TALBOT.
~~ . , . •
Déposez -moi sous ces arbres et retournez au
combat. Je p'ai besoin d'aucun secours pour mourir*
FAL3.T0LF. ., . 1
. jour de- ffia^be^ir pt. de désespoir! (^Lionel s'apr
proche.) Jisins q\j^el n^oment vous aririvçi&j Lionel !>
voici notre c^ipijtaiiii^ jfrappé à morf^ > '
Dieu nous préserve de ce malhfeiîr !• 'ftelevez-votiS,'
nbble \^vd, ce n'est pas le mohietrt 4^ succomber f
ne cédez poitit k la mort, ^ue ïfi^ forcer dé tOtM
vplôtot^ conti*aigiie la nature à' vous lai^dei* vivre/» -
io8 tA PUCELLE D'ORLÉAHS,
TÀLBOT.
C'est en vaija , le jour fetal est arrivé ; notre trône
4oît 3 écrouler en Frsince. Inutilement jai^ jus-i'
qu'au dernier moment ^ essayé de le soutenir dans
ce C(»mbat désespéré ; frappé de U foudre , je suc-
combe iei pour ne plus me relever. Rheims est
perdu ; hàtez-Yous d'aller au secours de Paris.
LIONEL.
Paris s'est livré au Dauphin; un courrier vient
de nous en apporter la nouvelle.
*
TALB O T, afracbaiiâ Tappueil de ia blessure.
Ah ! que les flots de mon sang s'écoulent , je suis
las de la lumière dix jour.
LIONEL.
Je ne puis demeurer davantage. Falstolf , portez
notre général dans un lieu plus sûr; noi;is ne pou^
voBS ixouiS maintenir plus long-temps dans ce poste.
Nos gens fuient déjà de toutes parts ; la Pucelle les
chasse devant elle.
TALBOT.
La déraison triomphe^ et c'est moi qui succombe.
La divinité elle-même serait contrainte de céder à
la >foiie. Suprême raison , toi qui est la filte brillante
des puissances célestes , la sage conservatrice dé
l'univers et le guidé du cours des astres, qu'est-ee
donc que ton pouvoir? Attackée à un cheval furieux,
t.U'€^yj^aJigré {tes. cris impuiss^s^ entraîiatée avec des
J^Qifime!^ awugles et iv;re$, dans lla^in^e ^iie vfiin
nem^nt tu aperçdis. Majeur k <çcïmi qui, ayant
çonaaci^é \§m vie à 1^ jgloire , . c^o^erteot * pouri y
ACTE 111, SCÈNE VI. lôg
parvenir des plans dictes par la prudence. Cçst au
plus insensé qu'appartient l'empire du monde.
XIONEI..
Mylord y . vous n'ayez fduB que peu d'instans à
vivre ; songez à votre créateur.
TALBOT.
Si nous étions vaincus en braves guerriers, par
d'autres guerriers , nous pourt^îons nous conioler en
songeant que c'est le destin commun et que la for-
tune est journalière. Mai^ succomber par l'effet d'un
grossier prestige ! Était-ce donc ia récompense due
à une vie pleine -àe giorietix travaux ?
tiIOllŒL luiprçndlamdin.
Mylord, adieu. Après le combat, si je survis , je
verserai sur vous les larmes que vous^ méritez. Mais
maintenant il faut que je retourne suï* le cliamp
de bataille ; lé sort y flotte encore incertain , 0t tout
n'est pas décidé. Au revoir dans un àfiitre ihbnde ,
Mylord ; recevez l'adieu rapide d'un ancien ami.
(Ilq^art.)
TALiBOT.
Bientôt c'en sera fait ; je vais rendre à la terre et
au soleil éternel 1^ atomes i(u4 s^étai^nf assemàlés
ea iB^ï pour la <louleUr ou le |>laisir , et de oe^^-
sant Talbot, dont la renommée remplissait le
monde , il ne restera qu'une poignée de poussière^
Telle est la 'fin de Thomme. La seule conquête qui
nous revienne du combat de la vie, c'est la perspec^
tive du néant , et le mépris îritérieur de tout ce qiû
nous avait paru grand et digne d'envie.
110 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
SCÈNE VIL
LE ROI, LE DUC, DUNOIS, DUCHATEL et des
Soldats entrent gur là scène.
LE DtJC.
Le fort est emporté.
DUNOIS.
La journée est à nous.
LE ROI, apercevant Talbot.
Voyez quel est ce guerrier qui semble quîttei* si
douloureusement la lumière du jour; son armure
annonce un guerrier distingué. Allez , et quon lui
donne des secours , s'il en est temps encore.
( Des soldats de la suite du roi s'avancent pour emporter Talbot. )
PALSTOLF.
I
, Arrêtez , n'approchez pas : tout mort qu'il est^
respectez celui que vous vous gardiez bien d'appro-
cher tandis qu'il' était vivant.
LE DUC.
Que vois-je? Talbot baigné dans son sang !
( Il s avance vers lai, Talbot le regarde d'un œil fixe et meurt. )
FALSTOLF.
Retirez-vous , duc de Bourgogne ; que la vue d'un
parjure ne souille pas le dernier regard d'un héros.
DUNOIS.
Terrible et indomptable Talbot, quel petit es-
pace te suffit maintenant! et le vaste territoire de la
France ne pouvait satisfaire ton ardeur insatiable !
Maintenant, sire^ je vous salue comme roi; tant
^ ♦
ACTE m, SCÈNE VII. m
que ce corps a renferme une âme , votre couronne
n'était pas assurée sur votre tête.
LE ' R 01, après avoir regarde Talbot pendant un instant.
Il a été vaincu \ non par nous ^ mais par un pou-
voir suprême : il est gissant sur la terre de France,
comme un héros sur son bouclier qu'il n'a pas
voulu abandonner. Qu'on Fempopte. ( Des soldats
obéissent et emportent le corps.) Que la paix soit avec
sa cendre ! Un honorable monument lui sera élevé
au milieu de la France, et ses restes y trouveront le
repos après une carrière et une mort héroïque. Nul
ennemi n'a porté plus loin ses armes; et le lieu même
où sera placé sa sépulture lui servira de glorieuse
épitaphe*
F ÀL ST OL F présente son épëe au roi.
Seigneur, je suis votre prisonnier.
LE ROI lui rend son tfpée.
Non ; la guerre , dans sa rudesse, respecte cepen-
dant les pieux devoirs. Soyez libre pour conduire
au tombeau les restes de votre général. Maintenant,
Duchâtel, hâtez-vous; mon Agnès tremble. Allez
terminer ses angoisses; allez lui apprendre que
nous vivons , que nous sommes vainqueurs , et ame-
nez-la en triomphe à Rheims.
(Dachâtdaoft.)
112 LA PU€ELLE D'OULÊANS,
SCÈNE VIII.
LAHIRE^ les precédetis.
DUNOIS.
Lahîre, où est Jeanjxe?
Comment! j'allais vous la demander ; je l'ai lais^
see combattant à Tos c^tés.
Dimois.
Quaïid j'ai coliru au secours du roi^ je la croyais
protégée par votre bras.
LE DUC.
J'ai aperçu y il y a p6u d'iostans , «a blimdbi^ ban-
nière s'élever au plus épais des rangs ennemis.
DUBOIS.
Malheur à n&as 1 Ok -est-eUe ? Malédiction sur
moi ! Yen^^ oouxoas promf)tement la délivirer ; je
crains <|a'usie vaillance téméraire ne l'ait emportée
trop loin) qu'6ntoHrée d'enacmis elle coonbatte
toute seule 9 «tiqu'eUe succombe sans secours au mi-
lieu de la foule.
LE ROL
Courez; délivrez-la.
LâHIRE.
Je vous suis; partons.
LE DUC
Allons ; tous.
(Ht parlent.)
ACTE III, SCÈNE IX. ij3
SCÈNE IX.
Le théâtre représente une autre partie écartée du champ de ha-
taill«v On aperçoit dans le loiiftain. les tours dé Rheims éclai-
rées J»ar les rayons du soleil.
Uû CHEVALIER revêtu d'une afïnure noîre; sa
visière est baissée. JEANNE le poursuit jusque
EUT le devant de la seène; il s'arrête et Fattend.
JEANNE.
Fourbe ^ je démêle maintenant ta ruse. Par , ta:
fuite trompeuse , tù as voulu m'écartef du champ
de bataille, et dérober à leur sort une foule des fils
d'Angletet^re. Mais le trépas ta maintenant t'at-
teindre toi-même.
LÉ CHEVALIER NOÏR.
Pourquoi nie poursuis-tu ainsi ? Pourquoi f 'aojiar-'
ùer sur mes pas atec tant de fureur? Je ne suis pas
destiné à tomber sous ta main.
JEANNE.
Je sens au fond du cœur que tu in'es odieux au-^
tant que la nuit dont tu portes la funeste couleur;
j'éprouve un désir invincible de te ravir la lumière;
qui eà-tu? Lève ta visière. Si je n'aVais vu le ter-
rible' Talbot tomber dans le combat, je ci^oif*ai$ q\ié
tu es Talbot.
LE CHEVALIER NOIÀ.
Eh quoi! l'eiprit prophétique ae te fait plus en-
tendre sa voix !
Tow. III. ' S
ii4 LA PUGELLE D'ORLÉANS,
JEANNE.
Il me crie , au plus profond de mon âme , que
mon malheur est attaché à toi.
LE CHEVALIER NOIR.
Jeanne d'Arc! Jusqu'aux portes de Rheims, tu as
marché sous les ailes de la victoire. Tant de gloire
te suffit. Ne tente plus le destin qui jusqu'ici fa
servie en esclave. N'attends pas qu'il se révolte et
t'abandonne. Souviens-toi qu'il ne connaît pas la
constance, et que nul n'a été par lui favorisé jus-
qu'à la fin.
JEANNE.
Que veux-tu dire ? Au milieu de la carrière , j^
m'arrêterais et je laisserais mon ouvrage imparfait»
Je vais poursuivre et terminer ma mission.
LE CHEVALIER NOIR.
Rien jusqu'ici n'a pu résister à tes efforts tout-
puissans, tu as vaincu dans chaque combat, mais
ne retourne plus dans les batailles; écoute cet
avertissement.
JEANNE.
Ma main ne quittera le glaive que lorsque l'or-
gueilleuse Angleterre sera abattue.
LE CHEVALIER NOIR.
Kegarde. Devant toi s'élèvent les tours de Rheims;
c'est là le but et le terme de ta course. Tu voi^
briller le sommet de cette haute cathédrale; tu dois
y entrer avec une pompe triomphale; couronner
ton roi et termin^er ta mission. Ne va pas plus loin,
retourne sur tes pas ; écoujté cet avertisseiQiQQt.
ACTÇ III, SCÈNE IX. ti5
■
JSÂÏCNfi.
Etre fourbe et dissimulé , qui eis-tu pour Touloir
ainsi m'e'pou vanter et m'égarer? Pourquoi oses-tu
m'aunoncer un oracle imposteur. (Le chevalier noir
veut se retirer^ elle se place devant lui.) Non , tu ré-
pondras à m€s demandes, ou tu périras de ma
main.
( Elle veut eagager le combat avec lui. )
LE CHEVALIER NOIR. Il la toachede samara, eteUedemeareimmolMlc.
Tu ne peux donner la mort qu'aux mortels.
( La scène s'oWurcit , des ëclairs brillent, le tonnerre se fait entendre, le chevalier di«-
paratt. )
JE A N NE demeure interdite, mais se rtwure bifntftt après.
Ce n'est point un êtr.e vivant. C'est un fantôme
trompeur échappé de l'enfer, un esprit rebelle sorti
des gouffres ardens, pour troubler mon cœur et
mon courage. Qu'ai-je à craindre tant que je porte
le glaive de mon Dieu. Poursuivons et achevons
glorieusement ma route ^ et quand l'enfer lui-même
s'opposerait à moi , mon cœut ne serait ni effrayé
ni affaibli.
( EUe v«at se retirer. )
SCÈNE X.
LIONEL, JEANNE.
UONEL.
. Misérable, prépare*toi à combattre. Un de nous
laissera sa vie en ce lieu. Tu as frappé les plus
braves de mes concitoyens ; le noble Talbot a exhalé
ii6 LA PUCEILE D'ORLÉANS^
sa grande &me sur mon sein. Je vengerai ce héros,
. ou je partagerai son sort ; et pour qiîe tu saches avec
qui tu as la gloire de disputer la victoire et la vie,
je suis Lionel , le dernier des chefs de notre armée,
et dont le bras n'a pas encore été vaincu. (// VcU-
laque; et après, un instant de combat, elle fait tom-
ber Tépée de Lionel. ) Sort perfide !
( Il lutU avec elle.)
JEANNE saisit par derrière le cimier de son casque , le lui arrache avec force : le
que tombe ; le visage de Lionel reste découvert. Jeanne lève son tfpëe sur lui.
Souffre la mort que tu es venu chercher. {En ce
moment elle aperçoit le visage de Lionel , son regard
s'attache à lui ; elle demeure immobile et laisse len^
tement retomber son bras.) La sainte Vierge t'immole
par ma main.
I LIONEL. . .
Pourquoi suspendre et retarder le coup de la
mort? Ote-moi la vie, comme tu m'as ôté la gloire.
Je suis en ta main, et je ne demande point de grâce.
(^Elle lui fait signe de s'éloigner.) Que je fuie, que
je te doive la vie... non , plutôt mourir !
JEANNE.
Je veux ignorer que ta vie est en mon pouvoir.
LIONEL.
Je hais toi et ta clémence ; je ne veux point de
grâce. Frappe ton ennemi , celui qui te déteste , qui
voudrait te donner la mort.
JEANNE.
Eh bien , donne-la moi et fuis.
LIONEL.
Qtt'entends-je ?
. . . ■,^,» m^mmmm^^mt^f^gB i "^ ~- JM. -a. ^ ,^,; ' .■WJ">.
ACTE III, SCÈNE X. 117
JE ANN E se cache le visage.
Malheur à moi !
LIONEL.
Tu égorges , dit-on , tous les Anglais qui sont
vaincus par toi dans le combat. Pourquoi m'épar-
gner ?
JEANNE lève «m «ptfe sur lui avec uo mouvement rapide; mais quand Vtfpëe apprcv-
clie du visage de Lionel , Jeanne la laisse de nouveau retomber.
Vierge sainte!
LIONEL.
Pourquoi invoques-tu les saints? Quel rapport
ont-ils avec toi ? Ce n'est pas le ciel qui te protège.
JEANNE, dans une douloureuse agitation.
Ah ! qu'ai-je fait? J'ai manqué à mon vœu.
( Elle se tord les mains avec dàespoir. )
LIONEL la regarde av^c compassion, et s'approche.
Malheureuse fille; je te plains , tu m'attendris.
Envers moi seul tu te montres généreuse ; je sens que
ma haine s'évanouit et que ton sort m'intéresse.
Qui es-tu? d'où es-tu Venue?
J3EANNÇ.
Fuis ^quitte-moi .
LIONEL.
Ta jeunesse y ta beauté me touchent; ton regard
pénètre jusqu'au fond de mon cœur. Je veux te
sauver; dis-moi^ comment le puis-je. Viens, viens^
abjure tes horribles ser mens. Laisse là tes armes.
JEANNE.
Je ne suis plus digne de les porter.
'lionel
Rejette-les promptement et suis-moi.
ii8 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
JEANNE égarée.
Te suivre!
LIONEL.
Je te sauverai. Suis-moi. Oui, je veux te sauver;
m^is ne tardons pas davantage. «Tëprouve pour toi
la plus tendre compassion, et un dësir ardent de
te sauver. /
( Il prend 1» imdn de Jea^aiM. )
JEANNE.
Dunois approche; les voici, ils me cherchent.
Ah s'ils te rencontraient!
LIONEL.
Je te défendrais.
JEANNE.
Ah ! je mourrais &i tu tombais £K)us le«rs coups.
LIQNEL.
Je te suis donc cher ?
JEANNE.
Puissances du ciel !
LIONEL.
Te reverrai-je? Entendrai-je de ta bouche....
JEANNE.
Jamais, jamais.
LIONEL.
Cette épée sera le gage de notre réunion.
( Il lui prend son épée. )
JEANNE.
Que fais-tu, malheureux?
LIONEL.
Maintenant, je cède à la force, mais je te re-
verrai.
(Bs'<loigBe. )r
ACTE III, SCÈNE Xï. 119
SCÈNE XI.
DUNOIS et LAHIRE , JEANNE.
LAHIRE.
Elle vit, c'est elle.
DUNOIS.
Jeanne^ ne craignez plus rien; vos braves amis
sont à vos côtés.
LAHIRE.
N'est-ce pas Lionel qui fuit ?
DUNOIS.
Laisse*}e fuir. Jeanne, la juste cause triomphel
Rheims ouvre ses portes. Tout le peuple se préci»-
pite avec allégresse aurdevant de son roi.
LAHIRE.
Qu'est-ce, Jeanne pâlit ,^ elle e^ défaillante.
( Jeton* 68t préfM 4 s'évÉHoaif. )
DUNOIS.
Elle est blessée ; arrachons sa cuirasse. Ah ! c'est
son bras qui a été atteint, la blessure est légère
sans doute.
LAHIRE.
Le sang coule.
JEANNE.
Puisse ma vie s'écouler avec lui.
( Elle tort appuyée «ur les hn» de Lakirt « )
FIN DU TROISIÈME ACTE.
po LA PUGELLE^D'ORLÉANS;,
f%/t99i^ ! iV^ifi w ii/ivtMm*mnmn^tni¥%^tti^^t i 9t ui i»iMivy9^âivv* mi %l» ^ ^^t(»^^
ACTE QUATRIÈME,
Le théâtre représente une salle ornée pour une fête. Les colon-»
nés sont entourées de g^irlau^es. Perrière la ticèi^e <^ eptienj
les flûtes et les hautbois.
SCÈNE PREMIÈRE,
JEANNE seule.
Ije bruit des armes a cesse, le tumulte ^e la
guerre s^est apaise. Aux combats sanglans ont suc-
ce'dé les chants et les jeux ,• des accens joyeux reten-
tissent dans toutes les rues. Les temples et les autel$
brillent de leurs ornemens de fêtes ; des arcs de ver-
dure s'élèvent , des guirlandes ornent ces colonnes ,
et la vaste enceinte de la ville ne peut contenir Ig
foule ^ui vient assister à cette solennité.
Le même sentiment de joie anime tous les coeurs^
tous sont saisis de la même pensée. Ceux qu'une dis-t
corde sanglante divisait il y a peu de temps encore,
goûtent ensemble l'allégresse commune. Tout Fran-
çais s'enorgueillit aujourd'hui de ce nom; le trqne
retrouve son antique splendeur. La France rend
hommage au fils de ses rois.
Moi, cependant, à qui l'on doit ce beau jour, moi
je ne ressens pas le bonheur universel. Mon cœur
est distrait et égaré ; il fuit de cette solennité pour
ACTE IVi SCÈNE I. 121
errer dans le camp des Anglais. C'est veH les enne-
ipis que se portent mes regards , et je me dérobe
de cette joyeuse reunion pour cacher la peine cruelle
qui agite mon sein .
Qui , moi ! je porte dans mon cœur l'image d'un
homme ; ce cœur que remplissait la gloire céleste est
trouble par un amour terrestre. Moi, la libératrice
de mo» pays, la guerrière du Tout*Puissant , je brûle
pour un ennemi de la France , et j'ose le dire à la
face du ciel sans mourir- de honte ! (La musique
fait entendre une mélodie douce et des sons affaiblis.)
Malheur, malheur à moi. Ces sons séduisent mon
preille ; chacun me fait entendre sa voix , me rap-
pelle son image comme par enchantement. Âh! que
le bruit des armes revienne affermir mon cœur;
que le cliquetis des lances au milieu de la fureur
des combats vienne me rendre mon courage.
Mais ces doux sons, ces voix mélodieuses s'em-
parent de mon cœur. Toutes les forces de mon âme
s affaiblissent par degré , et s'évanouissent en faisant
couler de mes yeux des larmes mélancoliq^es. (Elle
se fait w} moment , puis reprend avec plus de vivacité. )
Devais-j6 donc l'égorger? Et le pouvais^je après
que mes yeux ont rencontré les siens? L'égorger!
Àh }> plutôt enfoncer dans mon sein l'acier homicide.;
9uis-je donc coupable pour n'avoir pas été inhu-
maine? la compassion est-elle une faute devant
Dieu? La compassion !. et l'écoutais-'tu cette voix de
la compassion et de l'humanité , quand ton épée
immolait les autres victimes ? Pourquoi ne s'est-elle
pas fait entendre pour ce malheureux Gallois , ce
tendre enfant qui te conjurait pour sa vie ? Oh , as-
laa LA PJJCELLE D'ORLÉANS,
tuc€& du cœur ! tu veux mentir à la lumière éter-
nelle. Non 9 ce n'est pas à la yoix de la pitié qtte tu
as obéi.
Pourquoi ai-je vu ses yeux? Pourquoi ma Vue
a-t-elle rencontré les traits de son noble visage?
Ah ! malhenreuse , tout mon crime vient d'un re-
gard. Dieu t'avait choisie comme un aveugle instru-
ment de sa puissance ; tu. devais lui obéir aveuglé-
ment. Tu as voulu voir, IHeu a retiré son bras |n*otec-
teur j et tu es tombée dans les liens de Fenfer . ( Les
Jlikes font entendre des sons tranquilles et tendres. )
Humble houlette y ah ! pourquoi t'ai-je quittée
pour prendre le glaive? Chêne sacré, pourquoi ai-je
entendu le murmure de tes feuilles agitées? Divine
reine des cieux, pourquoi t'es-tu montrée à ma vue?
Reprends ta couronne, reprends-la, je ne puis la
mériter.
Hélas ! j'ai vu les cieux ouverts , les bienheu-
reux se sont laissé voir à mes yeux , et cepen-
dant mes désirs se portent vers la terre et non pas
rer» le ciel. Ah ! pourquoi ai-je été chargée de cette
terrible mission ? Pouvais-je endurcir un cœur que
le ciel a créé sensible ?
Puisque tu voulais , ô mon Dieu, manifester ta
puissance ^ tu devais choisir ceux qui , exempts de
péché, siègent dans la demeure éternelle; tu de-
vais envoyer un de tes esprits purs, immortels, qui
ne sont poiiitëmus, qui ne sont point attendris;
mais fallait-il choisir une tendre fille, une bergère
va fatible cœur.
Que m'import^iit lé sort des combats et les dis-
cordes des rois? Tranquille et innocente je condui-
ACTE IV, SCÈNE II. Î23
sak^mes agiteaux sur le dommet de la montagne. Tu
m'as entraillée au milieu de la cour *et des palais
orgueilleux des prin€es> où je devais me rendre cou-
pable. Hélas! tel n'eût pas été mon choix.
SCÈNE IL
AGNÈS, JEANNE.
( Agnès entre avec ant vive émotion ; dès qu^elIe aperçoit Jeanne, etU court à eHe ^ la
presse dans ses bras ; pais rëfiicbiasant , elle se mtft k geiioux devant éUe. )'
AGNÈS.
Oui , oui, ainsi prosternée devant toi.
JEANNE veut la relever.
Relevez-vous , vous oubliez qui vous êtes et qui je
suis.
. . AGNÈS.
Non, laisse-moi à tes pieds, c'est l'excès de ma
joie qui m'y précipite. Mon cœur trop plein a besoin
de s'épancher devant Dieu et j'adore en toi celui
qui est . in visible à mes yeux. N'es-tu pas l'ange qui
a conduit mon roi à Rheims et qui orne son front
de la couronne ? Ce que je n'aurais pas osé manie
rêver dans mes songes est accompli ; la pompe dm
couronnement s'apprête, le roi a revêtu ses orne-
mens solennels. Les pairs et les grands du royaume
sont rassemblés, ils portent la couronne et tous les
signes de la royauté. La foule du peuple afflue vers
l'antique cathédrale , le son des cloches se mêle aux
chants d'allégresse. Ah ! pourrai-je supporter tant de
bonheur l (Jeanne la relève doucement. Agnès s^ar^
124 I^A PUCELLE D'ORLÉANS,
rête un instant , elle examine les jeux de Jeanne. )
Cependant tirdemeures toujours sérieuse et sévère.
Tu répands le bonheur et tu ne^saurais le partager ;
ton cœur reste froid , tu ne ressens pas notre plai»*
sir ; tu as entrevu la gloire céleste , tu ne peux être
émue des joies de la terre. (Xeanne saisit s^ivement
la main d'j^fgnès, mais Habandorme tout de suite
après.) Ah ! peux-tu être femme et n'être point
sensible! Dépouille cette armure , la guerre est
maintenant finie; entre dans une con4ition plu$
paisible. Mon cœur qui veut te chérir s'éloigne
timidement de toi tant qu'il te voit semblable à
l'austère Pallas»
JEANNE.
Quexigez-YQus de moi?
AGNÈS.
Désarme-toi, laisse ton armure; l'acier qui coU'^
vre ton sein épouvante l'aniour. Redeviens une
femme et tu aimeras.
JEANNE.
Me désarmer maintenant; maintenant, non. J'of-
frirai dans les combats mon sein désarmé aux coups
de la mort! Mais aujourd'hui! Ah! qu'un triple
airain me défende contre vos fêtes, contre moi-^
même.
AGNÈS.
Danois t'aime; son noble coeur qui n'avait encore
chéri que la gloire et la vaiUance , brûle pour toi
d'un amour pur. Ah ! qu'il est doux de se voir aimée
d'un héros ! qu'il est plus doux encore de l'aimer.
(Jeanne détourne la tête avec un air d^éloignement. )
Ijc haïrais-tu? Non y tu peui^ ne pas l'aimer, mais^
ACTE IV, SCÈNE li; ja5
tu ne saurais le haïr. On ne déteste que Celui qui
veut Yous arracher à ce que Yous aimez , et toi tu
n'aimes point. Ton cœur est calme, peut-être même
insensible.
JEANNE.
Ah ! plaignez-moi , pleurez sur mon sort.
AGNÈS.
Qui peut manquer a ton bonheur? Tu as rempli
tes promesses, la France est délivrée; tu as conduit
par une marche Tictorieuse le roi jusqu'à Rheims ;
un peuple ivre de joie te paie le tribut de gloire qui
t'est dû. Ton nom et tes louanges remplissent tous les
discours, tu es la divinité de cette fête et le roi lui-
même avec sa couronne a un triomphe moins bril->
lant que le tien.
JEANNE. ,
Ah ! que ne puis-je me cacher au fond des en-^
tr ailles de la terre.
AGNÈS.
Que veux-tu dire ? quel étrange sentiment ! Qui
donc osera lever les yeux aujourd'hui, si tes regards
s'humilient vers la terre. Ce serait à moi à rougir ,
à moi qui suis si petite devant toi , qui suis si loin,
d'atteindre à cette âme héroïque et siJ^lime : dois-je
te révéler toute ma faiblesse? Ce n'est ni la gloire
de mon pays, ni la splendeur renouvelée du trône,
ni la joie du peuple , ni les chants de victoire qui
occupent mon faible cœur : un seul sentiment le
remplit tout entier et ne laisse aucun espace pour
d'autres pensées. Celui que l'on révère , celui que
le peuple accueille par ses acclamations , celui qui
126 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
va être héni, celui pour qui on a répandu ces fleurs^
celui-là est à moi , c'est celui que j'aime.
JEANNE.
Ah ! vous êtes heureuse; jouissez de votre bon-
heur. Vous aimez l'objet que tout aime autour de
vous; vous osez ouvrir votre cœur, dire tout haut
ce que vous ressentez, sans craindre les regards
des hommes. Cette fête de la France, c'est la fête
de votre amour : ce peuple innombrable qui se
presse dans les murs de la ville, il partage votre
amour et le sanctifie. C'est pour vous qu'il pousse
des cris de joie, c'est jpour vous qu'il tresse dés
guirlandes ; vous êtes dans un doux accord avec la
joie commune. Vous chérissez celui qui , semblable
au soleil, répand sur tous le bonheur; et tout ce
que vous voyez vous semble brillant de votre amour.
AGNES la pressa&t dut ses brm.
Oh! tes discours m'enchantent; tu me comprends
toute entière. Oui, je t'ai méconnue; tu connais
l'amour : ce que j'éprouve tu l'exprimes avec force.
Mon cœur n'éprouve plus de crainte et de timidité,
il s épanche avec confiance dans le tien.
JEANNE s'arrajcbant Tivement de ses bras.
Laissez-moi : éloignez-vous de moi; craignez de
vous souiller en m'approchant. Allez, soyez heu-
reuse, et laissez-moi ensevelir dans une nuit pro-
fonde, mon malheur, ma honte et mon effroi.
AGNÈS.
Tu m'effrayes, je ne te comprends plus; si même
j'ai pu jamais te comprendre : à mes yeux tu as tou*-
\
ACTE IV, SCÈNE III. lay
jours été enveloppéie d'une profonde obscurité. Qui
pourrait concevoir maintenant ce qui alarme la sain^^
teté de ton cœur ^. et les scrupules de ton âme pure?
JEANTIE.
C'est vous qui êtes pure, c'est vous qui êtes sainte.
Si vous pouviez lire au fond de mon âme , vous re-
pousseriez en frissonnant^ une femmç ennemie et
parjure.
SCÈNE IIL
DUNOIS, DUCHATEL et LAHIRE. Il porte l'éten-
dard de Jeanne.
DUIîOÏS.
' Nous vous cherchons , Jeanne ; tout est prêt. Le roi
nous envoie vers vous: il veut que vous portiez votre
bannière devant lui ; vous marcherez avec les prin-
ces du royaume, et vous serez le plus près de lui,
car il veut annoncer ce que tous reconnaissent; c'est
que l'honneur de cette journée doit vous être at-
tribué.
Voici votre bannière ; prenez-la , noble Jeanne ;
içs priuc^9 vous attendent, et le peuple est im-
patient.
JEANNE.
Moi , marcher près de lui ! moi , porter cette
bannière !
DUWOTS.
Quel autre pourrait s'en charger! quelle autre
n»ain serait ^Ms p«ire paur porter ce signe divin !
128 LA PUCEtLE D'ORLÉANS ,
Vous releviez au milieu des batailles ; qu'il paraisse
dans cette solennité, et qu'il nous guide dans le
chemin du bonheur.
(Lthire ytmxl loi donner ht bannière ; die se retire, avec effroi. )
»
iEÂNNE.
Non, non.
LAHIRE.
Eh quoi, l'aspect de ^otre tannîère vous épou-
vante ! Regarder ( // déploie la bannière ) , c'est là
même qui vous a conduite à la victoire. La reine des
cieux est peinte s'étevant au-dessus du globe de la
terre , ainsi qu'elle-même vous l'avait prescrit.
JEANNE, effrayée et agitée.
C'est elle-même,: c^est ainsi qu'elle m'apparut:
quels regards elle lance sur moi, et quelle colère
elle laisse voir sur son ft*ont et dans ses yeux !
AGNÈS.
Elle est hors d'elle-ïnême. Revenez à vous, : ce
ti'est point elle que vous voyez , c'est une image ter-
restre ; elle habite au Ihilieu des chœurs célestes.
JEANNE.
terreur ! vient-elle pour châtier sa créature ?
Punis-moi , écrase-moi ; prends ta foudre , et lance-
la sur ma tête coupable. J'ai violé mes sermens , j'ai
profané , j'ai parjuré ton saint nom.
DUNOIS.
Oh! malheureuli que nous sommes. Quest-ce que
tout ceci ? quels funestes discours !
LAHIRE, étonné, i Ducli&tel.
Concevez-vous cet étrange égarement?
>29
ACTE IV, SCÈNE III.
DUCHATEL.
Je vois, je crois apercevoir. Dès long-temps je
le redoutais.
DUNQIS.
Comment, que dites-vous?
DtCHÀTEL.
Je n'ose dire ce que je pense. Plat au ciel que ce
moment fût passe et que le roi fût couronné.
LAHIRE. »
Comment cette bannière peut-elle reporter vers
vous la terreur? Les Anglais tremblent à son aspect;
elle est terrible à tous les ennemis de la France,
mais n'est-elle pas favorable aux Français fidèles?
JEANNE.
Oui, tu as raison : elle est propice aux amis de la
France et porte le trouble à ses ennemis.
( Oa eotend la marche du couronnement. )
DUNOIS.
Prenez votre bannière , prenez-la. La cérémonie
commence, il n'y a point un instanl^à perdre.
ToM. III.
4ta«j
«3o LA PUCELLË D'ORLÉANS,
SCÈNE IV.
La scène cbaage et représente une place devant la cathédrale ;
le fond du théâtre est rempli d'une foule de spectateurs.
ê
BERTRAND, CLAUDE-MARIE et ETIENNE sor-
tent de la foule et ayancent sur le devant de li^
scène. On entend ^ans leloignement les sons de
la marche triomphale.
Écoutons la musique. Les Toila , ils s'approchent.
Où serons-nous mieux placés ? Monterons-nous sur
la. plate-forme, oii nous placerons-nous avec tout le
peuple? U ne faut rien perdtie de la cërëmoBie.
• ÉTiteNïîE.
On ne peut point passer. Les rues sont pleines
d'hommes,. de chevaux, de voitures. Rangeons-nous
ki près de ces maisons, mms pourix^ns tout voir
quand le m.om^t sera venu.
OLAUDE-MARIE.
U semble que la moitié de la France soit rassem-
blée ici. Et Fempressement est si grand, qu'il nous a
fait quitter les frontières reculées de 1^ Lorraine.
BEKTRAr^D.
Qui pourrait demeurer tranquillement dans son
asile , lorsque de si grandes choses se passent dans
son pays? 11 a fallu assez de sueurs et de sang pour
|)arvenir à ce moment où la couronne va orner un
ACTE IV, SCÈNE V. i3i
roi légitime. Il faut que notre maître^ notre vrai sou-
veraiu , à qui nous allons donner la couronne , soit
accompagné ici d'une foule aussi grande que lorsque
le peuple de Paris a conduit à Saint-Denis le roi des
Anglais. Quel est le bon Français qui pourrait
s'éloigner de cette solennité et qui n'éprouve pas le
besoin de s'écrier ; Vive le roi!
SCÈNE V.
MARGUERITE et LOUISE se joignent aux précé-
dens.
LOUISE.
Nous verrons notre sœur {«Marguerite , le cœur
me bat.
MAR6UERITB.
Nous la verrons dans toute sa gloire , dans toute
sa grandeur et nous dirons : voilà Jeanne, voilà
notre sœur.
LOUISE.
Jusqu'à ce que mes yeux l'aient vue, je i^ pourrai
croire que cette guerrière , qu'on nomme la Pucelle
d'Orléans , soit notre sœur Jeanne que nous avions
perdue.
( Le cortégs s^approche. )
MAROUERITE.
Tu doutes encore ? tu la verras da tes yeux.
BERTRAND.
Regardons bien j ils arrivent.
i3a LA PUCELLE D'ORLÉANS»
scÈNj: VI.
( Les joueurs de flûte et de hautbois ouvrent la marche. Des en-
fans vêtus de blanc et porXant des branches à la main suivent
après avec deux hérauts; ensuite une troupe de hallebardierS|
puis les magistrats en robe. Deux maréchaux portent leur bâ-
ton , le duc de Bourgogne porte Fépée , Dunois le sceptre ,
d'autres grands du royaume sont chargés de la couronne, du
globe impérial , de la main de justice. D'autres portent les
offrandes; derrière viennent des chevaliers revêtus de leurs
habits d'ordre, des enfans de chœurs suivent avec leurs encen-
soirs. Deux évéques portent la Sainte- Ampoule ; l'archevêque
tient une croix. Puis Jeanne paraît avep sa bannière ; elle a
la tête baissée et la démarche mal assurée. Pendant qu'elle
passe , on lit dans les yeux de ses sœurs leur étonnement et
leur joie. Le roi vient ensuite sous un dais porté par quatre
barons ; les gens de sa maison sont derrière lui. Des soldats
ferment la marche. Quand le cortège est entré dans l'église ,
la musique cesse. )
SCÈNE VIL
LOUISE, MARGUERITE, CLAUDE - MARIE ,
BERTRAND.
MARGUERITE.
As-tu vu notre sœur ?
CLAUDE-MARIE.
Celle qui portait une armure d'or et marchait
devant le roi avec sa bannière ?
MARGUERITE.
C'était elle; c'était Jeanne , notre sœur.
LOUISE.
Elle ne nous a pas reconnues; son cœur ne lui a
— .< - ^ . ■ . "^^i •••^^ .''■»^-,w ^'■-..' '\-
>#*fcv. .«^ .^*^.^"
I
I
■■messKViBVB
ACTE IV, SCÈNE VII. ï33
pas fait deviner que ses sœurs étaient près d'elle -^
elle regardait la terre et paraissait pale çt tremblante
sous sa bannière. Je ne puis être joyeuse de l'avoir
vue.
MARGUERITE.
Ainsi j'ai vu notre sœur au milieu d'une pompe
brillante. Qui aurait pu^ même dans unsonge, pré-
voir et penser que celle qui gardait ses troupeaux ,
sur notre montagne^ brillerait un jour d'un tel éclat.
LOUISE.
Le songe de mon père est accon^pli. Nous nous
sommes prosternés à Rheims devant notre sœur;
voici l'église qu'il avait vue dans son sommeil : le
rêve est accompli. Mais mon père eut ensuite une
vision funeste. Hélas je suis attristée d'avoir vu la
grandeur de Jeanne. *
BERTRAND. .
Pourquoi rester ici? Entrons dans l'église pour
voir la cérémonie.
MARGUERITE.
Oui /entrons^ peut-être verrons-nous encore ma
sœur.
LOUISE.
Nous l'avons vue ; retournons à notre village.
MARGUERITE.
Quoi , avant de l'avoir abordée ^ avant de lui avoir
parlé ?
LOUISE.
Nous ne lui sommes plus rien ; sa place est parmi
les rois et les princes*. Qui sommes-nous , nous qui
nous pressons^ pour vouloir, dans notre .vanité ,
i34 LA PUCEi;.LE D'ORLÉANS,
prendre part à son triomphe ? dëjà elle nous était
étrangère , quand autrefois elle yivait arec nous.
MARGUERITE.
Pourrait--elle rougir de nous et nous désavouer?
BERTRÂI9D.
Le roi lui-inéme ne rougit pas de nous : il salue
amicalement les moindres de ses sujets. Elle peut
être élerée bien haut ^^ mais le roi est plus qu'elle.
( Le son lias trompettes et des timbales retentit dans réglisc. )
ctlâode-mârie.
Entrons dans l'église.
( Ds se retirent au fond dn tlmtre , et se perdent dans la toole. )
fSCÈNE VIII.
THIBAUT arrive vêtu en noir, RAYMOND le suit
et essaie de l'arrêter.
RAYMOND.
Demeures, mon père, écartezrvous de la foule.
Voyez ce peuple transporté de joie, votre douleur
ne convient point à cette fête. Venez, éloignons-
nous promptement de la ville.
THIBAUT.
As-tu VU ma malheureuse enfant? l'as-tu bien
regardée ?
RAYMOND.
Retirons-nous , je vous en supplie.
THIBAUT.
As-tu remarqué comme sa démarche était mai
^ .
ACTE rV, SCÈNE VÏIT. i35
assurée ; comme son visage était pâle et troublé. La
malheureuse connaît son sort; c'est le moment de
sauver mon enfant^ et je veux en profiter.
(Il veut entrer. )
RAYMOND. . '
Arrêtez ^ que voulez-vous faire ?
THIBAUT.
Je veux la surprendre et l'arracher à sa trompeuse
prospérité. Je veux, de tout mon pouvoir , la rame-
ner à son Dieu qu elle renonce.
RAYMOND. ,
Hélâs l réfléchissez bien , ne précipitez pas votre
propre enfant dans sa ruine.
THIBAUT.
Ah ! qu'elle périsse s'il le faut, mais que son âme
soit sauvée. ( Jeanne sort de V église sans bcf^rmièr^.
Le peuple se presse autour d'elle a^ec adoriftion et
baise ses habits. Elle est retenue^ au fond du tké4tre
par la foule. ) EUe vient , c'est elle , elle sort de l'é-
glise j elle est pâle ; son trouble Fentraîne hors diu
sanctuaire ; c'est la justice (l^vine qui. se fait
entendre à son cœur.
RAYMOND.
Adieu j n'exigez pas que je vous accompagne plus
long-temps. Je suis venu plein d'espérance et je pars
au désespoir. J'ai revu votre fille et je sens que je
vais la perdre encore.
f n aort ; Tkibtttt s'éloigne aufû du côetf gpposé. )
i36 LÀ PÙCELLE D'ORLÉANS,
SCÈNE IX.
JEANNE, Peuple. Un instant après, les SOEURS de
Jeanne.
JEANNE , sVcartant de la foule, arrive sur le devant de la scène.
' Je ne pouvais y rester, il me semblait que des
fantômes m'en éloignaient ; les sôris de l'orgue m'e'-
pouvantaient comme le bruit du tonnerre; je croyais
que la voûte du dôme s'écroulait sur ma tête ;
j'aVais besoin de chercher la vaste enceinte du ciel.
J'ai laissé ma bannière dans le sanctuaire; jamais ,
jamais cette main n'en sera chargée. Mais j'ai cru
que mes soeurs chéries Louise et Marguerite avaient,
comme un songe, passé devant mes yeux. Hélas!
c'était une trompeuse apparence ; elles sont loin de
moi, je ne les reverrai pas plus que les jours de ma
jeunesse, et de mon bonheur innocent.
MARGUERITE s'avance.
C'est elle, c'est Jeanne.
LOUISE, s^empressant à sa rencontre.
ma sœur !
JEANNE.
Ce n'était point une illusion. C'est bien vous. C'est
vous que j'embrasse , ma chère Louise , ma chère
Marguerite ; dans cette foule étrangère , vaste désert
d'hommes , je serre dans mes bras un sein fraternel.
MARGUERITE.
Elle nous connaît encore; elle est notre bonne
soeur.
, ACTE IV, SCÈNE IX. 187
JEANNE.
Et c'est votre tendresse qui vous a conduites ici,
si loin de la maison paternelle? Vous n'avez pas eu
de ressentiment contre une sœur qui vous quitta
froidement et sans adieu?
LOUISE.
La volonté mystérieuse de Dieu te conduisait.
MARGUERITE.
Ta renommée qui retentissait partout, ton nom
que toutes les bouches répétaient sont parvenus
jusque dans notre paisible hameau et nous ont
guidées dans cette fête solennelle. Nous voulions te
voir dans ta puissanee ; et nous ne sommes pas
venues seules.
' JEANNE, vivement.
Mon père est avec vous? où est-il, où est-il?
Pourquoi se cache-t-il ?
MARGUERITE.
Mon père n'est pas avec nous.
JEANNE.
Il n'y est pas? Il n'a pas voulu voir son enfant?
Vous ne m'apportez pas sa bénédiction ?
LOUISE.
«
Il ne sait pas que nous sommes ici.
JEANNE.
»
Il ne le. sait pas? et pourquoi vous êtes-vous trou-
blées? Vous vous taisez et vous baissez les yeux;
dites où est mon père? .
i38 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
MARGUERITE.
Depuis que tu es partie. ...
L U I s E lui fait un signe.
Marguerite!..
MARGUERITE.
Mon père est tombé dans une sombre mélancolie.
JEANNE.
Dans une sombre mélancolie?
LOUISE.
Console-^toi. Tu connais son coeur paternel^ il
rcTiendra à lui , son âme deviendra paisible quand
nous lui aurons dit que tu es heureuse.
«
MARGUERITE.
Tu es heureuse^ n'est-il pas vrai? Tu dois l'être,
tant de grandeur et de gloire
JEANNE.
Oui je le suis, puisque je vous revois, puisque
j'entends le son chéri de votre voix et tout ce qui
me rappelle le séjour paternel. Ah! lorsque je con-
duisais encore mon troupeau sur notre montagne p
j'étais heureuse comme dans le paradis, fie puis-
je pas revoir cet heureux temps? jamais.
( EUe cache son visage dans le sein de Louise. Claude-Marie, Etienne et Bertrand parais-
sent et restent timidement au fond du théâtre. )
MARGUERITE.
Venez Etienne , Claude-Marie , Bertrand. Jeanne
n'a point d'orgueil, elle est aussi douce, elle nous
parle aussi tendrement que par le passé , lorsqu'elle
était avec nous au village.
ACTE IV, SCÈNE IX. iSg
( Ib s'avaocent et veolent prendre sa main. Jeanne les regarde d^un œil fixe, et tombe
dans un profond étonnement. )
JEANNE.
Où étais-je ? dites-le moi ! Tout cela e'tait-il seule-
ment un long rêve? et vîens-je de me rcTeiller.
Ai-je en effet quitte Donremy ? Non, je m'étais endor-
mie sous l'arbre miraculeux ; je me réveille et
je me vois entourée d'être réels, de vous que je
reconnais. Les rois, les batailles, les faits d'armes
ont rempli mes songes. Ce n'étaient que des ombres
qui ont passé devant moi , et que mon imagination
s'est représentée vivement pendant que je dormais
sous cet arbre. Comment seriez vous venus à Rheims?
Comment y serais-je moi même? Jamais, jamais je
n'ai quitté Donremy ? assurez-le moi et répandez la
joie dans mon cœur.
LOUtSE.
Nous sommes à Rheims ; toutes ces choses ne sont
point un rêve, tu les as réellement accomplies.
Connais-toi , regardes à l'entour , vois cette brillante
armui*e d'or dont tu es revétue.^
(Jeanne porte sa main sur ton oosur ; elle semble se ressçavenir et montre de l'elPrai. )
BERTRAND.
C'est de ma main que vous prîtes ce casque.
GLAUDE-MARIE. *
Il n'est pas étonnant que vous preniez votre sort
pour un songe : ce que vous avez fait, ce que vous
avez accompli , est plus merveilleux que les visions
d'un rêve.
JEANNE, viyemeAft.
Venez , fuyons , je vais avec vous , je retourne
dans notre hameau , dans le sein de mon père.
i4o LA PUCELLE D'ORLEANS,
LOUISE.
. ; I
Ah! viens, viens avec nous.
JEANNE.
Cette foule m'exalte au-dessus de mes mérites.
Vous m'avez vue enfant , faible , timide , vous m'ai-
mez^ mais vous ne m'adorez pas.
MARGUERITE.
Tu voudrais^ abandonner toute cette gloire ?
JEANNE.
Je veux rejeter loin de moi cette odieuse parure,
qui m'empêche de presser votre cœur sur mon
cœur ; je veux redevenir une bergère. Je vous ser-
virai comme une humble servante , et j'expierai par
une se'vère pénitence le crime de m'êU'e vainement
élevée au--dessus de vous.
{ Les trompettes tonnent. )
SCÈNE X.
Le ROI sort de l'église yétu de ses ornemens royaux.
AGNÈS, L'ARCHEVÊQUE, LE DUC, DUNOIS,
LAHIRE, DUCHATEL, COURTISANS, PEUPLE.
LE PEy/^LE crie à plusieurs reprises, pendant que le roi s'avance. ^
Vive le roi ! vive notre roi Charles VII !
( Les trompettes se taisent. Le roi fait un signe , et les hérauts , le bâton levé , ordonnent
le silence. )
. « ■
LE ROI.
mon bon peuple ! je suis reconnarsant de votre
amoujp. Cette couronne que Dieu a placée sur ma
tête , qui a été conquise et assurée par le glaive, que
le sang de mes nobles sujets a arrosée , sera ornée
ACTE IV, SCÈNE X. 141
des branches du paisible olivier. Je remercie tous
ceux qui ont combattu pour moi; et ceux qui m'ont
résiste^ je leur pardonne. Dieu a bien voulu me faire
grâce et lé premier acte de ma royauté sera de faire
grâce.
LE PEUPLE.
Vive le roi ! vive notre bon roi Charles !
LE ROL
Cest de Dieu seul, le souverain suprême , que les
rois de France tiennent leur couronne; mais je l'ai
reçue de sa main d'une manière plus visible. {Il se
retourne vers Jeanne. y Voyez ici l'envoyée de Dieu :
c'est elle qui affermit le roi sur le trône et qui rompt
le joug d'une tyrannie étrangère ; son nom doit eti*e
révéré à l'égal de Denis , le saint protecteur de la
France, et des autels doivent être élevés à sa gloire.
LE PEUPLE.
Vive la Pucelle ! vive notre libératrice !
( Les trompettes sonnent. )
LE ROI, à Jeanne.
Si comme nous tu es de la race humaine , dis de
quelle récompense puis-je te faire jouir? Mais si ta
patrie est là-haut, si les rayons d'une céleste nature
sont cachés sous la forme d'une jeune vierge, quitte
cette enveloppe qui te rend semblable à nous,
laisse-toi voir brillante de lumière , telle que tu te
montras dans le ciel , nous t'adorerons , nous nous
prosternerons dans la poussière.
(Tout la monde se tait ; tous les yeux sont fîxtfs sur Jeanne, )
JEANNE sVcria tout à coa]^;
Dieu ! mon père !
ï4i LA PUCELLE D'ORLÉANS,
SCÈNE XL
Les jH*ë€édens ; THIBAUT sort de la foule etse place
devant Jeanne.
PLUSIEURS VOIX.
Son père !
THIBAUT. .
J
Oui , son père infortuné , le père de cette malHeu-
reusej qui vient, par ordre de la justice divine,
accuser sa propre fille.
LE DUC.
Qu'est-ce?
DUCHATEL.
Ce que je prévois est terrible.
THIBAUT, au roi.
Penses-tu avoir été secouru par la puissance de
Dieu? Prince abusé, peuple aveugle, vous avez été
délivrés par l'art du démon .
( Tous le retirent avec ëpouvante. )
DUNOIS.
Cet liomiii€ est insensé.
THIBAUT.
Non, ce n'est pas moi qui suis insensé, c'est toi,
c'est le roi, c'est ce sage archevêque, lorsqu'ils
crment que le seigneur des cieux s'est manifesté par
une misérable fille. Voyez si elle osera en face de son
père soutenir l'audacieuse fourberie dont elle a
abusé le roi et le peuple. Répond&-moi, au nom de
la sainte Trinité , appartiens-tu aux puissances ce-*
lestes et pures ?
^ Tous les yeu» sont fixa sur elle ; le silence est gënënl : elle demeure immobile. )
ACTE IV, SCÈNE XI. i43
AGNÈS.
- Dieu ! elle ne répond pas.
THIBAUT.
Elle est effrayée de ce nom terrible que redoutent
les gouffres eux-mêmes de T enfer; elle! revêtue
d'une sainte mission de Dieu ! Non; cette fraude lui
fut inspirée, à cette misérable fugitive , sous Farbre
maudit où les mauvais esprits se rassemblent depuis^
long-temps pour célébrer leur sabbat; c'est là quelle
a vendu son âme à Fennemi des hommes pour
obtenir de lui la gloire périssable de ce monde.
Quelle dépouille son bras, on y verra la marque
dont l'enfer scelle ceux qui se donnent à lui.
LE DUC.
Ah ! quelle horreur ! Cependant un père qui té-
moigne contre sa fille mérite croyancct
DUNOIS.
Non ; Ton né doit pas croire à un furieux qui se
flétrit par le déshonneur de son propre enfant.
AGNÈS, à Jeanne.
Ahl parle, romps ce silence effrayant; nous
croirons y nous nous assurerons sur ta parole; un
mot de ta bouche , un seul mot nous satisfera. Mais
parle, démens cette effroyable accusation, dis que
tu es innocente, nous le croirons.
( Jeanne demeure immol»^ ; Agnès s'éloigne avec hormur. )
i^AHIflE.
Elle est €?ffray^, l%ofreur et t*étonnement lui
fernvetit 'U lMH:h^dbe , une isi terriMe imputation fait
^retuliler Jl 'inti^cence elle-même. ( // s'approche
i44 I^A PUCELLE D'ORLÉANS,
d'elle. ) Jeanne , rassurez-vous , reprenez vos sens.
L'innocence a un langage , un regard dont la ca-
lomnie ne peut triompher. Montrez votre . noble
colère , levez les yeux, faites rougir, confondez ceux
qui outragent votre sainte vertu par un indigne
doute.
(Jeanne demeure immobile, Lahire se retire épouvante, le mouvement général aug-
mente. )
DUNOIS.
Peuple , pourquoi vous épouvanter ? prince , pour-
quoi tremblez-vous? elle est innocente; je me
rends son garant , moi-même j'engage pour elle ma
foi de prince. Je jette le gant, que celui qui la main-
tient coupable ose le ramasser.
( On entend un violent coup de tonnerre ; chacun est frappé de terreur. )
* THIBAUT.
Réponds au nom de Dieu qui fait entendre son
tonnerre ; dis que tu es innocente , assure que ton
cœur n'appartient pas au démon , convainc-moi de
mensonge.
( On entend un second coup de tonnerre piu| fort ; le peuple s'enfuit de tous côtés. )
LEDUC.
Que Dieu nous protège, quels terrible^ signes il
nous envoie !
DUCHATEL.
Venez , venez mon roi , quittez ce lieu.
L'ARCHEVÊQUE, à Jeanne.
Au nom de Dieu je te le demande, est-ce le sen-
timent de ton innocence ou de ton crime qui te rend
muette ? Si c'est en ta faveur que témoigne la voix
ACTE IV, SCÈNE XII. 145
du tonnerre^ ose toucher cette croix, donne-nous
quelque preuve que tu n'es pas coupable.
(Jeanne dttneure immoLile. On entend de nouveaux coups de tonnerre. Le roi , kpkès ,
Vn^h^êfH9i le d^c , LaKir* et Du<;Witel 9e retirent. >
SCÈNE XII.
DUNOIS, JEANNE.
DyN0I3.
Tu ea mon épouae y. je t'ai crue iaooceiite au pre-
mier moment , et jfi le icrpi» eucore ; y^ me fie plus i
toi qu'à tous ces signes, qu'à ce t^imerre qui retentit
dans le ciel. Ta noble colère garde le silence, enve-
loppée dans sa vertu divine. Tu dédaignes de con-^
fondre ces honteux soupçons; eh bien, dédaigne-
les, mais confie-toi à moi qui n'at pas douté un
instant de ton innocence : je ne te demande pias une
parole ; mets seulement ta main dans la mienne ;
je ne veux pas d'autre gage , ni d'autre assurance
pour connaître que tu te confies hardiment à mon
bras et à la bonté de ta cause.
( n Yeut prendre la main de Jeanne , elle se dëtoome en la retirant. H demeure immobile
de surprise. )
^ox. m, 20
\
Ï46 LA PtICELLË D'ORLÉANS,
SCÈNE XIII.
JEANNE, DUCHATEL, PUNOIS,
puis RAYMOND.
DU G HATE L revenant.
Jeanne d'Arc, le roi permet que vous sortiez li-
brement de la ville; les portes vous seront ouvertes.
Ne craignez aucune insulte ; la protection du roi
vous en défendra. €omte deDunois, suivez-moi,
Fhonneur vous défend de rester ici plus long-temps.
Dieu ! quel dénoûment !
(Il sort. )
^ DuDois surmonte «« stupëfadion , jette encore un regard sur Jeanne, et suit Dachâtel.
ElUe reste un jnoment seule. Raymond paraît, il demeure un moment éloigné, et la
regarde avec douleur. Il s'avance ensuite, et la prend par la main. )
RAYMOND.
Saisissez cet instant , les rues sont libres ; donnez-
moi la main , je vous conduirai.
(Elle le regarde, puis elle lève les yeux aiy: ciel. Ce coup d'oeil est la première marque
de sentiment qu'elle ait laissé voir. Elle saisit vivement la main de Raymond, et sort.)
FIN DU QUATRIÈME ACTE.
■x
ACTE V, SCÊHE.I. 147
— -^— »■. — ■«— ^-^ — - — - — .--.--. — . -- -■-■|-iiiii''n'i Ti 'ivi ir ii r tiiri rimirifirtri flirt fin i imf¥tfnmii1fitrw.xrifnn
ACTE CINQUIEME.
Le tbéitre représente une foret sauvage; on voit dans le fond
des huttes de charbonniers. L'obscurité est complète; les
ëclairs brillent. On entend le tonnerre, et, par intervalle, le
bruit de l'artillerie.
SCÈNE PREMIÈRE.
s UN CHARBONNIER et SA FEMME.
LE GHARBOlïNIER.
La. tempête est épouvantable ! le ciel se répand en
ruisseaux de feu, et au milieu du jour la nuit est
devenue assez obscure pour qu'on puisse voir les
étoiles. L'orage rugit comme l'enfer déchaîné ; les
vieux chênes courbent leurs têtes et se brisent ;
et cette giierre terrible du ciel contre la terre , qui
abat la férocité des animaux les plus sauvages , qui
leur fait chercher un asile dans leurs retraites , ne
saurait rétablir la paix pour un instant entre les
hommes ! Le bruit du canon se mêle aux mugisse-
mens du vent et de la tempête. Les deux armées
sont si rapprochées que la forêt seulement les té-
pare , et chaque moment peut y amener un horriblcf
carnage.
Ll FEMME.
Dieu nous assiste, mais les ennemis pétaient 4éjà
i4S LÀ PDCELLE ©^ORLÉANS,
complètement défaits et battus ; d'où vient qu'ils
nous pressent encore*
«
LE GHARB0NI9IER.
C'est qu'ib ne craignent plus notre roi. Depuis
qu'on a reconnu à Rheims que la Pucelle était une
sorcière^ depuis que le démon ne nous prête plus
son secours , rien ne prospère plus.
LÀ FEMME.
Étoutons f quelqu'un approche.
SCÈNE IL
Les prëcédens, RAYMOND, JEANNE.
Je fsois une oabai^e ; irencE, nous y trouyerons un
usile contre cette terrible tempête. Vous ne pourriei:
TOUS soutenir {dus long-temps ; depuis trois jours
irons errefc , fuyant to«s les regards , et de sauvages
racines ont été Totre seule nournture. (La tempête
4*apaisej le ciel depienl clair et serein. ) Ce sont de
bons ekarbonniers. Entrons.
LE CHARBONNIER.
Vous semblez avoir besoin de repos; entreai^ tout
ce que renferme notre chétive cabane sera à tous.
LA FEMME.
Eh quoi I une jeune fille couverte d'une armure !
Ah! nous vivons dans un temps de rudesse; les
femmes aussi se revêtent de la cuirasse : la reine
elle-^néme ^ madame isabeile^ est , dit-on , toute ar-
ACTB V, SCÈNE II. i49
mée au milieu du camp des ennemis ; et une jeune
fille , une pauvre bergère ai combattu pour le roi
notre maître.
LE CHARBONNIER.
Que dites-TOus là? Allez dans notre eabftM, et
apportez à cette jeuiie iille de quoi r^arer sa fatigue.
( La femme ▼« au» It cimM* )
RAYMOND, àJetnae.
Vous le Toyes, toua leg homiii^» oe aont paf eruMs^
et dans ces retraites lauvagpos halntent des km/^ cùmot
pâtissantes^ Que vos yeux montrent moins de tris*-
tesse, la tempête s*apaise^ et les derniers rayons
du soleil brillent d'un doux éclat.
LB CHARBONNIER.
Je pense, tous voyant ainsi armes , que vous
allez rejoindre Farme'e du roi. Prenez garde à vous,
les Anglais sont campes près d'ici, et leurs soldats font
des courses dans la forêt.
HAYMOVD.
Malheur h nous I Comment po^urrons-nous sortir
d'ici ?
LE CHARBONNIER.
Demeurez, et attendez que mon fils soit revenu
de la ville ; il vous conduira* par des sentiers caches
oÙL vous n'aurez rien à eraindre; nous connaissons
les détours de la forêt.
RAYMOND, àJeamie.
Quittez votre casque et votre armune ; iU Toii$
trahiraient et ne vous défendraient pas.
( feanM fait un signe de refut.)
h^ OH A {19091111311.
Elle semble bien triste. Silence l Qw Yieot ici?
i5o LA PUCEI.LJE: P'OALÉANS,
SCÈNE m.
Les prëcédens^ LA FEMME du Charbonnier sort de
la cabane , portant un vase ; L^ENFANT d,u
Charbonnier*
LA FEMME.
C'est notre enfant qui revient. ( A Jeanne. ) Bu-
i^éz^ noble demoiselle ^ et q[ue Dieu vous bénisse.
LE GHÂRB0NI9IER, àsonfilc.
Te voilà revenu^ Anet; qu'apportes-tu?
L'ENFANT . fixe set jvaa. sur Jeanne tandis quVDe porte le vase à sa bouche ; il la rr-
connaît» s'avance, lui arrache le vase.
Mère! mère! qu'avez-vous fait? qui avez-^ous
jpççu? c'est la sorcière d'Orléans.
LE CHARBONNIER ET SA FEMME.
Dieu nous fasse miséricorde !
' * (Us s'enlaioftt en fusant le signe de la croix. )
SCÈNE IV.
RAYMOND, JEANNE.
JEANNE, d'un ton résigna et doux.
Tu le vois^ là malédiction me suit. Tous fuient
devant moi. Songe à toi^ et laisse-moi aussi.
RAYMOND.
Moi j vous abandonner 0n ce moment ! Et qui se-
rait votre guide ?
ACTE V, SCÈNE IV. ^ i5r
> Eh.1 n'ai-je pas un guide? N'as-tu pas entendu; le
tonnerre gronder sur moi? Mon destin me conduit;/
ne t'inquiète pas ^ j'arriverai au but sans avoir à le
chercHer.
RAYMOND.
Où voulez-vous aller? Là sont les Anglais , qui ont
jure d'exercer sur ^us une vengeance sanglante ; là
sont nos Français , qui vous ont proscrite et chassée.
JEANNE.
Rien ne peut me frapper qui ne soit inévitable.
RAYMOND.
Qui pourvoira à votre nourriture? qui vous dé-
fendra contre les animaux sauvages ^ contre la fé-
rocité des hommes? qui vous soignera quand vous
serez malade et misérable ?
JEANNE.
Je connais toutes les plantes ^ toutes les racines;
j'ai appris de mon troupeau à distinguer celles qui
sont salutaires et celles qui sont nuisibles; je me gui-
derai sur le cours des étoiles ou sur la marche des
nuages; j'écouterai le bruit des fontaines pour les
découvrir : l'homme a besoin de peu , et la nature lui
donne beaucoup.
RAYMOND lui prend la main.
Et ne voulez-vous pas rentrer en vous-même,,
vous réconcilier avec Dieu , retourner avec repentir
dans le sein de notre divine église ?
JEANNE.
Et toi aussi y tu me crois coupable de cet affreux
péché ?
i5a ' LA PUCELLE D'ORLÉANS,
RAYMOND.
Puis-je autrement penser? Ce irîlenoe li'était-il
pas un aveu?
jeâhus.
Toi qui m'as suivie dans ma misère , toi le settl être
qui me soit resté fidèle, toi qui t'es attaché à moi
quand le monde entier me repo^sait, tu as pensé
que j'étais une réprouvée , que j'avais renié naoa
Dieu? {Raymond se tait.) Ahî ce coup m'est rude.
RAYMOpî.D, «ivpris.
Quoi! vous ne seriez point en effet une magi-^
cienne?
Moi , une magicienne !
RAYMOKn.
Et toutes ces merveilles , vous les auriez accom-
plies par la sainte puis3anee de Dieu ?
fE4|f»S.
Bt par quel autre moyen ?
RAYMONP.
Et vous êtes restée muette à cette horrible accu-
sation ! Vous parlez maintenant; et devant le roi,
quand il importait de répondre , vous avez gardé le
silencç.
JEANNE.
Ce silence était une soumission au destin que
Dieu mon maître faisait peser sur moi.
RAYMOND.
Vous n'avez pu rien répondre à votre père.
ACTE V, SCÈNE IV. i53
JEANNE.
Puisque et coup venait de mon père , c'est que
Dieu l'avait ordonné. Cest une épreuve imposée par
$a main paternelle.
RAYMOND.
Le ciel ltti-«méme a témoigné que vous étiez cou-*
pable.
JEANNE.
Le ciel parlait y je devais donc me taire»
KAYMONB.
Comment, vous pouviez d'un seul mot vous justi-
fier , et vous avez laissé le monde dans cette déplo-
rable erreur !
JEANNE;
Il n'y a point d'erreur : ce devait être dans mon
sort , c'était l'ordre d'en haut. .
BAYMOND.
Quoi, VOUS auriez injustement supporté cet
affront , et pas une plainte ne serait sortie de votre
bouche! Dans quelle surprise vous me jetez l Je
demeure interdit , je suis bouleversé jusqu'au fond
du cœur. que j'ajoute volontiers foi à vos discours !
qu'il m'était cruel de vous croire coupable ! Cepen-
dant je crois rêver quand je songe qu'une âme
humaine a pu souffrir une si horrible douleur et se
taire.
JEANNE.
Aurais-je mérité d'être l'envoyée du Seigneur , si
je rfavaîs pas aveuglément respecté sa volonté? Je
ne suis pas si misérable que tu crois. Jje souffre
le besoin , mais dans la condition où je suis née ^^
ce n'est pas un malheur. Je suis proscrite et ban-
i54 LA PUCE LIE D'ORLÉANS,
nie; mais dans ce désert j'ai pu enfin me recon-
naître. Quand j'étais environnée de l'éclat de la
gloire , mon cœur était agité par mille combats j
quand je paraissais à la plupart des hommes digne
d'être enviée, c'est alors que j'étais plus malheu-
reuse; maintenant^e suis guérie. Cette tempête qui
semblait menacer la nature de sa fin a fait- moi»
bonheur , elle a purifié la terre et mon cœur. Je me
sens paisible. Qu'importe ce qui adviendra? je ne
sens plus en moi aucune faiblesse.
RAYMOND.
Venez, venez, hâtons-nous; allons proclamer à
toute la terre que vous n'êtes point coupable.
JEAll^NE.
Celui qui permit cette erreur saura bien la dissi-
per. Quand le terme de leur maturité est arrivé ,
les fruits du destin tombent sur la terre. Un jour
viendra qui rétablira la pureté de ma gloire. Ceux
qui me proscrivent et me condamnent s'aperce-
vront alors de leur injustice, et répandront des
larmes sur mon sort.
RAYMOND.
Dois-je donc me résigner au silence jusqu'au
moment où le destin?...
JE A N NE. Elle pretid doucement Raymond ]^ar la main.
Tu ne vois que ce qui est dans l'ordre de la na-
ture; tes regards sont arrêtés par une enveloppe
terrestre , mais moi j'ai vu de mes yeux les choses
immortelles ; il ne tombe pas un cheveu de la tête
de l'homme que ce ne soit par la volonté de Dieu*
• ACTE V, SCÈNE V. t55
Vois-tu ce soleil qui descend du ciel vers l'occident?
De même que demain il doit reparaître dans son
éclat ; de même^ et non moins certainement^ le jour
de la Terité arrivera, sans que rien puisse le retarder.
SCÈNE \.
La reine ISABELLE paraît au fond du théâtre avec
des SOLDATS.
ISABELLE, encore derrière la scène. ^
Cest ici le chemin du camp anglais.
RAYMOND.
Malheur à nous ! voici les ennemis.
(Les soldats avancent; ils voient Jeanne, et'se' retirent' épouvantés
ISABELLE.
Eh quoi! qui vous arrête?
LES SOLDATS.
Que Dieu nous protège*
ISABELLE.
Quelle illusion vous épouvante? êtes-vous donc
des soldats? non^ vous êtes des lâches. Comment!
(Elle se fait place à trai^ers les soldats , aisance , les
ramène et aperçoit Jeanne. ) Ah ! que vois-je ? (J?//e
se rassure promptement et marche i^ers Jeanne. )
Rends-toi 9 tu es ma prisonnière.
JEANNE.
Je la suis.
( Raymond s'enfuit avec désespoir. )
i56 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
ISABELLE, aux soldats.
Encliaînez-la. (Z6<r soldats approchent avechési-^
talion. Jeanne tend les bras, on U enchaîne J) Vaici
cette guerrière puissante et redoutée qui chassait
vos bataillons devant elle comme de vils troupeaux.
Maintenant elle ne sait pas même se défendre : son
pouvoir merveilleux tenait-il donc à la seule crédu-
lité, et suffisait-il de se montrer homme pour qu elle
devînt une faible femme ? ( à /eo/ine. ) Pourquoi
as-tu laissé ton armée? Où est donc le comte de
Dunois , ton chevalier et ton défenseur?
JEANNE.
Je suis bannie.
ISABELLE aa racnla étonna.
Eh comment ! ta es bannie , bannie par le Dau-»
phin?
JEANNE.
Ne m'interrogez pas; je suis en votre pouvoir^
ordonnez de mon sort.
ISABELLE.
Bannie ! toi qui l'as tiré de l'abîme , qui as place
la couronne sur sa tête à Rheims, qui las fait roi de
France, bannie! Je reconnais mon fils. Condui-
sez-la dans le camp ; montrez à l'armée ce fantôme
terrible qui la fkisait trembler. Elle magicienne!
Toute sa magie , c'était votre illusion et la faiblesse
4e votre cœur : c'est une pauvre insensée qui s'est dé-
vouée pour son roi, et il l'en a récompensée en roi.
Amenez-la vers Lionel ; je mets en son pouvoir le bon-»
^leur de la France : je vais moi«-méme vous suivre.
ACTE V, SCÈNE Vt iSj
JEANKIE.
A Lionel! Donnez-moi la mort ici^ plutôt que
de me conduire vers Lionel.
ISABELLE.
Exécutez mes ordres. Allez ayec elle.
(ElkMrt.)
SCÈNE VI.
JEANNE , SOLDATS.
JEAIÏNE.
Anglais , ne me laissez pas sortir vivante de vos
mains: vengez-vous , tirez vos glaives^ ef plongez-
les dans mon cœur ; trainez-moi expirée aux pieds
de vos capitaines. Songez que je suis celle qui ai
frappé les plus terribles de votre armée ^ que je
n'eus pour vous aucune pitié , que j'ai versé des tor-
rens de sang anglais, que j'ai ravi à vos héros vail-
lans le bonheur du retour dans la patrie. Prenez une
vengeance sanglante, tuez -moi : vous me tenez
entre vos mains en ce moment, peut-4tre ne me
retrou verez-^ous pas toujours faible et désarmée.
LE COMMANDANT DES SOLDATS.
Exécutez l'ordre de la reine.
JEANNE.
Dois-je donc souffrir plus encore que je n'ai souf-
fert? Dieu redoutable, ta main est pesante! m'as-tu
entièrement rejetée de ta miséricorde? Je ne vois
plus aucun signe divin , aucun ange ne se montre ;
les miracles ont cessé , le ciel est fermé.
( Lti mUaU rettmèiMt. >
>58 LA PUGELLE D'ORLÉANS,
SCÈNE VII.
t
Le camp français.
DUNOIS, L' ARCHEVÊQUE et DUCHATEL.
♦
^ARCHEVÊQUE.
Prince , triomphez de votre chagrin ; venez avec
nous^ retournez vers votre roi : n'abandonnez pas
en ce moment la cause commune; nous sommes de
nouveau opprimés par le sort ^ et le bras d'un héros
nous est nécessaire.
DUNOIS.
Pourquoi êtes-vous opprimés par le sort? pour-
cpioi l'ennemi s'est-il relevé? Tout était accompli,
la France était victorieuse et la guerre était achevée.
Vous avez chassé notre libératrice ; maintenant dé-
livrez-vous vous-mêmes , je ne veux plus revoir ce
camp où elle n'est plus.
DUCHATEL.
Prenez de meilleures pensées , prince j que ce ne
soit pas votre dernière réponse.
DUNOIS.
Taisez-vous , Duchâtel : je vous hais , je ne veux
rien entendre de vous \ vous êtes le premier qui
ayez douté d'elle.
L'ARCHEVÊQUE.
Qui ne se serait pas mépris sur elle ? qui n'eût pas
été ébranlé en ce naalheureux jour , où tous les si-
gnes lui semblaient contraires? Nous fûmes sur-
ACtE V, SCÈNE Vil. 1Ô9
pris, troubles; ce coup subit ëpouyanta nos coeurs
tremblans. Qui aurait pu dans ce moment terrible
réfléchir et balancer? Maintenant nous revenons à la
prudence ; nbus regardons, nous songeons quelle elle
se montra parmi nous , et nous ne voyons rien en elle
qui pût donner un soupçon ; maintenant nous som-
mes confondus , nous craignons d'avoir commis une
cruelle injustice : le roi se livre au repentir , le Bue
s'excuse , Lahire est inconsolable , et le deuil est dans
tous les cœurs.
DUNOIS.
Elle un imposteur! Ah! si la vérité elle-même
voulait revêtir une forme visible et corporelle , elle
ne pourrait se montrer sous d'autres traits que les
siens. Si Tinnocence , la loyauté, la pureté du cœur,
habitent par hasai^d sur la terre , c'est dans ses
yeux^ c'est sur ses lèvres qu'elles ont choisi leur asile.
^ L'ARCHEVÊQUE.
Le ciel se déclarera par quelque miracle, il révé-
lera ce mystère que nos yeux terrestres ne peuvent
pénétrer. Cependant comment ceci pourra- t-il s'é-
claircir et se dénouer? D'un ou d'autre côté, nous
avons été coupables ; nous avons accepté le secours
d'uii agent infernal, ou nous avons banni une sainte ;
d'un ou d'autre côté la colère et le châtiment du ciel
menacent notre contrée. '
i6o LA PUGELLE D'ORLÉAKS,
SCÈNE VIII.
Les ftéeéàem, UN GENTILHOMME, p«tt aprèé
RAYMOND.
LE GENTILHOMME.
Un je«m bei^er demande à parler à votre altesse)
il sollicite «cette grâce avec instance; il vient^ dib-il,
de la part de la Pucelle.
DUNOIS.
HâtezrYous , c'est elle qui Teûvoie , il vient de sa
part. ÇLe gentilhomme fait entrer Hajrmond; Danois
court aurdei^arit de lui.) Où est-elle ? où est la Pacelle ?
RAYMOND.
Je vous salue , noble prince ; je suia beureux de
trouver près de vous ce pieux évêque, ce saint
bomme ^ l'asile des opprimés ^ le père des malheu*
reux.
nuNois. /
Ouest la Fncelle?
yA,ROHSVAQ0S.
Réponds^notis ^ mon fils.
RAYMOND.
Seigneur , elle n'est point une noire magicienne*
Au nom de Dieu et de tous les saints, je vous l'atteste.
Tous ont été dans l'erreur. Vous avez banni l'inno-
cence, vous avez chassé l'envoyée du Seigneur.
DUNOIS.
Où est-elle ? parle.
ACTE V, SCÈNE VIII. 161
RAYMOND.
«Tai été le compagnon de sa fuite jusque dans les
forêts des Ardennes ; c'est là qu'elle m'a révélé le
fond de son âme : je veux mourir dans les tortures,
je consens à perdre ma part au salut éternel, si elle
n'est pas, seigneur, innocente de toute faute.
DUNOIS.
Le soleil lui-même n'est pas plus pur dans le ciel.
Où est-elle? réponds.
RAYMOND.
Ahl puisque le ciel a changé votre cœur, hâtez-
Tous, délivrez-la; elle est prisonnière chez les
Anglais.
DUNOiS.
Prisonnière! comment?
L'ARCHEVÊQUE,
L'infortunée!
RAYMOND.
Dans la forêt où nous allions chercher un asile,
elle a été saisie par la reine et livrée aux mains des
Anglais. vous qu'elle a sauvés, sauvez-la d'une
mort affreuse.
DUNOIS.
Aux armes! allons, que le tambour retentisse.
Conduisons au combat l'armée toute entière, que
toute la France prenne les armes, notre honneur y
^st engagé. C'est la couronne, c'est le palladium de
la France qu'il faut recouvrer. Versons tout notre
sang, risquons notre vie; il faut qu'avant la fin du
jour elle soit délivrée.
( Ils sortent. )
TOM. III. II
iGa LA PUCELLË D'ORLÈâNS,
SCÈNE IX.
Une tour. — On voit uue fenêtre élevée.
JEANNE, I^IONEL, FALSTOLF; ensuite ISA^
BELLE.
FALSTOLF entrt précipitamment.
On ne peut contenir plus long-temps le peuple ,
il demande avec fureur que la Pueelle périsse.
Vous résistez vainement ^ donnez-lui la mort^ et du
haut des créneaux de la tour £Eiites jeter sa tête aux
mutins ; son sang seul peut les apaiser.
ISABELLE antre.
Us placent des ëchelles, ils montent à l'assaut.
Apaisez ce peuple : voulez-vous attendre qu'il pénè-
tre dans la tour y et que y dans sa rage aveugle > il
nous enveloppe dans sa vengeance et nous massacre ?
Vous ne pouvez la sauver y abandonnez-la.
LIONEL.
Laîssez-les nous as^illir y laissezr-les se livrer à
leurs fureurs. La tour est solide^ et je m'ensevelirai
sous ses débris plutôt que de céder à leur volonté.
Réponds-moiy Jeanne ; sois à moi^ et je te protégerai
contre l'univers entier.
ISABELLE.
Etes-vous donc un homme ?
LIONEL.
Tes concitoyens t'ont chassée^ tu es dégagée de
tout devoir envers ton indigne patrie; les lâches qui
ACTE V, SCÈNE IX. i63
t'avaient recherchée t'ont abandonnée , ils n'ont pas
ose combattre pour ton honneur. Mais moi je te
défendrai contre mon peuple et le tien. Un jour tu
me laissas croire que ma vie était chère à ton cœur,
et alors je combattais en ennemi contre toij mainte-
nant je suis ton seul ami.
JEANNE.
Tu détestes mt>n peuple, tu es mon ennemi ; il ne
peut rien y avoir de commun entre toi et moi; je ne
puis t'aimer. Cependant si ton cœur est entraîné
vers le mien, sois le bienfaiteur de nos deux patries,
conduis ton armée hors du sein de la France,
remets les clefs des villes que tu as conquises; resti-
tue le butin, délivre les prisonniers, donne des
otages pour une sainte paix; je te l'offre au nom de
mon roi.
ISABELLE.
Voudrais-tu nous dicter des lois, tandis que tu
portes des fers?
•JEANNE.
Fais la paix sur-le-champ, tar il te faudra la faire.
Jamais la France ne portera les fers de l'Angle-
terre; jamais! jamais! Elle servira plutôt de tom-
beau à vos armées. Les plus braves d'entre vous
sont déjà tombés. Songez à assurer votre retour.
Votre gloire et votre puissance sont déjà tomjbées.
ISABELLE.
Pouvez-vous supporter FarrogaKice d^e cette fu-
rieuse ?
i64 LA PUGELLE D'ORLÉANS,
SCÈNE X.
Xes précédens , UN CAPITAINE accourt précipi-
tamment.
LE CAPITAINE.
Hâtez-vous, hâtez-vous, seigneur, de venir dis-
poser l'armée pour le combat. Les Français accou-
rent avec leurs bannières déployées ; la vallée toute
. entière brille de l'éclat de leurs armes.
Jeanne, avec cludeur.
Les Français arrivent; superbes Anglais, allez,
courez sur le cbamp de bataillé; volez au combat,
il en est temps.
FALSTOLF.
Insensée, suspends ces transports de joie; tu ne
verras pas la fin de ce jour.
JEANNE.
Je mourrai, mais ma patrie sera victorieuse; les
braves n'ont plus besoin du secours de mon bras.
LIONEL.
Je méprise ces guerriers efféminés. Dans vingt
combats nous les avons vus fuir épouvantés à notre
aspect , avant que cette héroïne combattît pour eux ;
de tout ce peuple, je ne craignais qu'elle seule, et
ils l'ont abandonnée. Viens, Falstolf, nous allons leur
faire retri)uver une autre fois les journées de Créci
et d'Azincourt. Vous , reine , demeurez dans la tour,
veillez sur la Fucelle , jusqu'à ce que le combat soit
ACTE V, SCÈNE X. i65
achevé. JEe vous laisse cinc[ttaiite cnevalîers pour la
garder..
falstolf:
Eh quoi ! allons-nous courir à la rencontre des
ennemis , et laisser derrière nous cette furieuse ?
JEANNE.
Une femme enchaînée t'effraie ?
LIONEL.
Jeanne, donnez-moi votre parole de ne point vous
échapper.
JEANNE.
Mon seul désir est de recouvrer la liberté.
IfiABELLE.
Attachez-lot d^ùne triple chAÎi^e. J'engage ma vie
qu'elle nç fuira pas*.
( On .charge^ de pesantes chaînes son corps et ses bras. )
LIONEL, À Jeanne.
Tu le veux ainsi? Tu- nous y contrains. Ton sort
est encore eotre tes mains^ Abjure la France. Porte
la bannière des.Anglais> tu seras libre , et ces fu-
rieux qui demandent ton sang marcheront sous tes
ordres.
FALSTOLF.
Allons f. allons y mon général.^
JEANNE.
Épargne de vaiïis discours. Les Ftançaîs t'attar-
qpenty songe à te défendre.
( Les trompettes sonnent. Lionel sort promptement. )
FALSTOLF.
Reine ^ vous save^ ce que vous avez à faire. Si le
iGË LA PUCELLE D'ORLÉANS,
sort se déclare contre n9W ; si vous vûiyez fuir nos
soldats....
ISABELLE liraot un poignard.
Soyez sans inquj[,ët^4e ; elle ne vivra pas pour voir
notre défaite.
FALSTOLF, à Jeanne.
Tu sais ce qui t'attend. Fais maintenant des vœux
pour le succès de ton peuple.
SCÈNE XL
ISABELLE, JEAWNE, SOLDATS.
JEANNE.
Oui, je le ferai- ainsi ; qui pourrait m'en empêcher ?
Écoutons! J'entends les sons de la marche guer-
rière de nos soldats. Elle retentit dans mon cœur ,
et elle annonce la victoire. Périsse l'Angleterre!
victoire à la France ! en avant les braves, en avant!
Jba Pucellp est près de vous; dile ne peut, comme
autrefois , porter devant vous sa bannière ; d'étrotls
Ueps la retienrient, mais mon âme s'envolp libre-
ment hors de ce cachot, entraînée par vos chants de
victoire.
ISABELLE, f UBSoldiit.
Monte au sommet de cette tourelle qui s'élève
au-dessus de cette plaine^ et t^ no\\^ diras ffuel e$t le
âEuccès du combat.
( Le soldat sort. )
JEANNE.
Courage , courage , Français ; c'est ici le dernier
combat. Encore cette y ietotre> et l'eaBemi est abattu.
ACTE V, SCÈNE XI. 167
ISABELLE.
Hé bien , qu aperçois-4:u ?
LE SOLDAT.
Les armées en sont aux mains; je vois un furieux
qui, monté sur un cheval barbe, couveil: d'une
peau de tigre , s'élance deyant les hommes d'armes.
JEANNE.
C'est le comte de Dunois ! Courage , valeureux che^
valier , la victoire t'accompagne.
LE SOLDAT.
Le duc de Bourgogne attaque le pont.
ISABELLE.
Fuissent mille dards s^pfoncer dans le cœur
perfide de ce traitre !
LE SOIrl^AT*
Lord Falstolf lui résiste vivement. Us ont mis pied
à terre, les gens du Duc et les nôtres combattent
corps à corps.
ISABELLE. ,
Ne voisTtu pas le Dauphin? N'aperçois^tu aucun
chevalier orné 4^ signes de la royauté ?
LE SOLDAT.
Un nuage de poussière les dérobe tous à ma vue :
je ne puis rien distinguer.
JEANNE.
Ah ! si j'étais comme lui sur le sommet de la tour,
rien n'échapperait à mes regards. Mes yeux savent
distinguer le faucon au plus haut des airs , et comp-
i68 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
ter les troupes des oiseaux sauTages au milieu de
leur vol rapide.
LE SOLDAT.
Quelle terrible mêlée auprès du ruisseau ! Les
plus vaillans^ les plus illustres ^ semblent combattre
en ce lieu.
ISABELLE.
Aperçois-tu encore notre bannière 7
LE SOLDAT.
Elle flotte encore dans les airs.
Ah ! que ne puis-je apercevoir le combat à travers
le mur entrouvert ! je guiderais les combattans de
mes regards.
LE SOLDAT.
Malheur à moi ! Ah ! que vois-je ? Notre général
entouré par les ennemis.
ISABELLE tire le poignard sur Jeanoa.
Meurs ^ malheureuse.
^ LE SOLDAT, avec empressement.
Il est délivré. Le vaillant FalstoÈf a repoussé les
ennemis. Il a rompu leurs bataillans les plus serrés.
ISABELLE remet le poignard.
Ton ange protecteur a dicté ses paroles.
LE SOLDAT."
Victoire! victoire! ils prennent la fuite^r
ISABELLE.
Qui prend la fuite?
ACTE V, SCÈNE XL 169
LE SOLDAT.
Les Français 9 les Bourguignons; la plaine est
couverte de fuyards dispersés.
JEANNE.
mon DieU| mon Dieu! m'abandonneras-tu ainsi?
LE SOLDAT.
On rapporte vers nous un guerrier cruellement
blesse. Que de gens s'empressent à le soigner î C'est
un prince sans doute.
ISABELLE.
Est-il des nôtres ? ou bien est-ce un Français?
LE SOLDAT.
On vient de lui ôter son casque ; c'est le comte de
Dunois.
JEANNE.
Et je ne suis maintenant qu'une femme enchaînée!
LE SOLDAT.
Qu'est-ce ! que vois-je ! Quel est ce chevalier vêtn
d'un manteau d'azur orné d'or ?
JEANNE, Tivement.
C'est mon maître , c'est mon roi.
LE SOLDAT.
Son cheval effrayé se renverse , le précipite \ il se
relève avec peine. ( Jeanne écoute ses paroles avec
une émotion douloureuse. ) Nos gens s'approchent de
lui et s'élancent d'une course rapide; ils l'on atteint^
ils l'entourent.
JEANNE.
L'ange de la France nous a-t-il abandonnés ?
I^
LA.PJCrCELLE D'ORLÉANS,
ISABELLE, aveçuasoviliredeinëpria.
' M^întefiaiit le momenl; est ¥enu* Tei^ leur libë-
ratrice^ donne-leur toa secours.
JEANNE se précipite à genoux, et prie dTiiiie voix forte et animée.
O mon Dieu , ^coute^moi ; mon âme s^ëlance vers
toi, et mes yœux les plus ardens s'élèvent au ciel;
ioi qpi peux donner h un fil fragile la force des
cordages d'un navire, c'est un jeu pour ta puissance
que de changer des liens d'airain en un fil fragile :
tu n'as qu'à le vouloir, ces chaînes vont tomber, ces
murailles vont s'ouvrir. Jadis tu vins au secours de
Samson, lorsque aveugle et prisonnier il endurait
les railleries amères de s#s orgueilleux ennemis :
mettant sa confiance en toi , il saisit fortement les
piliers de sa prison , se courba et renversa l'édifice.
LE SOLDÂT.
Triomphe ! triomphe !
ISABELliE.
Qu'est-ce? -
LE SOLDAT.
Le roi est pris.
JEANNE s'élance.
Que Dieu^me &oit favorable!
«
( Elle a saisi ses chaînes avec force de ses deux mains , les a brisées. Au même instant
* elle s'eat pv^pd^ nfw m •cMfA , Iqi a amclié sop ^ée : elle s^ëlance l|or| de ià pri-
son. Tous, immobile detonnement, la regardait 6zement. )
i
ÀCTe V, SeÈNE Xfl. lyi
SCÈNE xir.
ISABELLE, aprds UQ long silence, v
Eh quoi ! est-ce un songe ? où a-t-elle fui ? com-
ment a-t-elle rompu ces lourdes chaînes? Je ne
pourrais le croire si tout Funivers l'attestait; mais
cependant je Tai vu de mes yeux. .
LE SOLDAT, sur la plate-forme.
Comment ! a-t-reile dopic des ailes ? Un tourhillon
rapide l'a-t-il transportée ?
ISABELLE.
Parle; serait-elle hors de la tour?
LE SOLDAT.
£lle combat déjà au milieu de la mêlée; sa cearse
€at plus rapide que ma vue. Maintenaot ici > à pré-
^&ol 4ans un auire point , il semble qu eUé soifc parr-
tout à la fois ; elle fend la |»^s8e , tout disparoH
devant elle. Les Français s'arrêtent ; leurs batail-
lons se reforment de nouyeau. Malheur à pQu^! Que
vois-je! nos soldats jettent leurs armes, m)s ban-
nières sont renversées !
ISABELLE.
Quoi ! nous arrachera-t-elle une victoire déjà
assurée ?
LE SOLDAT.
Elle pénètre au lieu où est le roi ; elle est parve^
nue jusqu'à lui; elle le retire du milieu des combat-
172 LA PUCELLE D'ORLÉANS,
tans. Lord Falstolf succombe; notre général est
saisi par les ennemi».
ISABELLE.
Descends y je ne veux pas en entendre dayantage.
' LE SOLDAT.
Fuyez , reine , vous pourriez être surprise j les sol-
dats s'approchent de la tour.
ISABELLE, tinuit loii é^.
Combattez ^ lâches !
SCÈNE xm.
Les prëcëdens ; L AHIKE arrive avec des soldats^ f
les gens de la reine posent les armes%
L A H I R E s^approche respcctneuaement.
Reine , il faut céder au sort tout-puissant. Vos
chevaliers se sont rendus; toute résistance serait
inutile. Je vous offre mes services ; où voulez-vous
que je vous accompagne ?
ISABELLE.
Il ne m'importe pas, pourvu que mes yeux ne
rencontrent pas le Dauphin.
(Ell« lui rend son épëe, et U iiut accompagnëc par des soIdaU. )
ACTE V, SCÈNE XIV. 173
SCÈNE XIV.
La scène est un champ de bataille.
Des soldats portent desf étendards flottans^ et occu-*
pent le fond du théâtre; au-devant^. LE ROI
et LE DUC DE BOURGOGNE soutiennent , dans
leurs bras^ JEANNE mortellement blessée^ qui ne
donne aucun signe de vie; ils avancent lentement
Tcrs l'avant-scène. AGNÈSarrive précipitamment.
«
»
é
A. G NEâ se jetant dans les bras du roi*
Vous êtes libre ; vous vivez, je vous revois.
LE ROI.
Je suis libre; voyez à quel prix.
( Il montre Jeannt.)
AGNÈâ.
Jeanne ; Dieu ! elle expire.
LE DUC.
Elle n'est plus j Cest un ange qui est remonté au
ciel. Voyez , comme elle-est là sans marque de dou-
leur ; trànijuille comme un enfant qui sommeille, la
paix du ciel brille sur son visage , aucun souffle ne
s'échappe plus de son sein ; cependant sa main , qui
n'est point refroidie , semble annoncer la vie.
LE ROI.
C'en en est fait , elle ne se réveillera plus ; ses
yeux ne verront plus la lumière : déjà son esprit
céleste plane là-haut , et n'aperçoit plus notre dou-
leur et nos regrets.
174' LA PUCELLE D'OKLÉAKS,
AGITES.
Ses yeux s'ouvrent ; elle vit encore I
LE DUC, 4umu4.
Revient-elle à nous de son tombeau? a-t-elle sub-
jugué ht mort? Elle se relève; elle pe«t se soutenir*
JEANNE regarde autour d'elle.
Oi suis-je ?
LE Duc.
Au milieu des Français • au milieu de vos amis.
LE ROL
Dans les bras de ton roi , de ton ami.
JEANNE.
Non, je ne suis pas une ma^cienne; non, je le
proteste.
LE ROI.
Tu es sainte et angétique ; un funeste aveugle-
ment nous avait trompés.
J^ A NWE regarde autour d'elle , et sourit avec sënînitrf.
Oui, je suis réellement au milieu des Français; je
ne suis plus proscrite , ni accusée. On ne me fuit
plus , on me regarde avec bonté; maintenant tout
reparaît distinctement à ma vue. Voici mon roi,
voici les étendards de la France , mais je ne vois pas
ma bannière ; où donc est-elle ? Je n'oserais mar-
cher sails ma bannière; elle me fut confiée par mon
souverain maître, je doiis la déposer au pied du
trône; je ne craindrai pas de la lui rapporter, car je
Tai fidèlement conservée.
I
ACTE V, SCÈNE XIV. 175
LE ROI.
Qu'on donne sa )>annière. *
(On la lui apporte ; elle m tient debout , sa l>annière dana la main. Le ciel brille d^une
lueur éclatante. )
JEANNE.
Ne voyez-vous pas l'arc-en-ciel briller dans les
nues? le ciel ouvre ses portes dorées. Elle se montre
brillante au milieu des anges assembles en chœur ^
elle porte son divin fils sur son sein y elle me tend les
bras avec un doux sourire. Que se passe-t-il en moi?
Des nuages légers me soulèvent; cette cuirasse se
transforme en ailes célestes : la terre fuit sous mes
pas. Ah I la douleur est courte et la joie éternelle!
( Sa bannière écbappe de sa main. Elle retombe évanouie et morte. Tous se tiennent
autour d'elle dans une émotion muette. Le roi fait signe; on apporte doucement les
étendards, et on en couvre le corps de Jeanne. )
TIN PU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.
MARIJE STUART.
TRAGÉDIE.
ToM. m. la
m/ytmvtmvttww9 m vytiv*%tM ^ ^^niv*tvtM%%v*Mttti v %^i*^wv*tvt/*^%n)m%v%%v% i» n%*'*'^\^it) v v%\^i w n>^Mtt%m^^itm^
PERSONNAGÇIS.
ELISABETH , reine d'Angleterre.
MARIE STUART , reine d'Ecosse, prisonnière en Angleterre.
ROBERT DUDLEY , comte de Leicester.
GEORGES T ALBOT , comte de Schrewsbury .
GUILLAUME CEGIL, baron de Burleigh, grand trésorier.
LE œMTE DE KENT.
GUILLAUME DAVISON , secrétaire d'état.
AMI AS PAULET , chevalier , gardien de Marie.
MORTIMER , son neveu.
LE COMtË DE L'AUBESPINE , ambassadeur de France.
LE COMTE DE BELLIÈYRE , envoyé extraordinaire de
France.
OKELLY , ami de Mortimer.
DRUGEON DRURY , second gardien de Marie.
MELVIL, surintendant de sa maison.
ANNA KËNNEDI, sa nourrice.
MARGUERITE KURL , sa femme de chambre.
LE SCHÉRIF DU COMTÉ.
UN OFFICIER DES GARDES DU CORPS.
SEIGNEURS FRANÇAIS ET ANGLAIS.
Gardes.
Serviteurs de la REims d'Angleterre.
HOVMIS ET FEVXES DU SERVICE DE LA Wii3SK D'ECOSSE.
\
MARIE STUART.
%»%%»»»%»%%|>»»%%'1%**'«»%^^^'*»*<**'**'*< » '*»'»***'»*<'**^»**'»»*^|<^^' * *<^*<'^'^ ^
ACTE PREMIER.
Le théâtre représente une salle du château de Fotherîngay.
SCÈNE ï>remière;
ANNA KENNEDI, nourrice de la reine d'Ecosse,
est engagée dans un vif débat avec le chevalier
PAULET, qui veut ouvrir une armoire. DRU-
GEON DRURY tient un levier de fer.
KENNEDI.
VUE faites-vous, sir Paulet? Quelle nouvelle indi-
gnité ! laissez cette armoire.
PAULET.
D^où viennent ces joyaux? On les a jetés de cette
tour pour tenter la foi du jardinier. -— Maudites
ruses des femmes I — , Malgré ma vigilance et mes
soigneuses recherches , encore des richesses , encore
des trésors cachés. (// enfonce Varmoire. ) D'autres
doivent encore être renfermés au même lieu.
KENNEDI.
Téméraire, retirez-vous; cette armoire renferme
les secrets de ma maitre$se«
i8o MARIE STUART,
PAUtET.
C'est cela même que je cherche.
( Il tire des papiers de rarmoire.)
KENNÈDI.
Ce sont des papiers insignifians. — Quelques écrits
sans objets fruits des tristes loisirs de la prison.
PAULET.
C'est dans l'oisiTetë que naissent les mauvaises
pensées.
KENNEDI.
Ceux-ci sont écrite en fraççai^*
PAULET.
Ils en sont d'autant plus saispect^. — C'est la langue
des ennemis de l'Angleterre. . . •
KENNEDI.
Voilà des projets de lettres pour la reine d'An-
gleterre.
PAULET.
Je les remettrai. — Mais que vois-je briller? {lia
poussé un ressort secret ^ et il tire dwi tiroir ca^
ché un jojrau brillant. ) C'est un bandeau royal ,
orné de pierreries , et formé des fleurs de lis fran-
çaises. — Mets^le en sûreté, Drury^ et joins-lje aux
autres.
KENNEDL
que d'outrages et de viQ^e^ce$ U qpus fian»t sup-
porter!
PAULET.
Tant qu'elle |)Ossédera quelque chose ^ elle pourra
nuire , car tout devient une arme entre se» mains.
/
/
ACTE I, ^CÈNE I. i8t
Âh! seigneur^ tièyèz hotn^ ne Itri éttléTeK pAs ce
dernier ornement de son existence. Son désespoir
est parfois adouci par la yue de ce signe d'une an-
cienne royauté. C'est le seul qui ne lui ait pas été
arraché.
PAULET.
Il est en des mains sûres ^ et il tous swa cettsri^
nement remis q[uànd il en set'a t^nps.
»
Qui croirait y eii ^voyant ces iiiuré dép6iiilléSI|
qu'une reine y fait son séjour? oit est le dais qui
s'élevait au-dessus de son trône? Hëlàsl ées piedi
délicats marchent sur ce pâté de pierre? Sa tâMe
est servie d'un étain grossier que déd^ignei^àit là
moindre dame.
PAULET.
C'était ainsi qu'à Sterlyn était servi son époux ^
tandis qu'elle donnait dans des vases d'or des fes-
tins à ses amans.
fcÊNiïEÙ'î.
On nous refuse jusqu'à un miroir.
PAULÉT.
En regardant son image avec vanité, elle coiiôéi*f é
toujours de l'espoir ^t de l'audace.
KENNEDI.
Elle n'a point de livres potiir occuper les loisirs de
son esprit.
PAtJLET.
On lui a laissé lâ ifôblc, qui enseignera là vciftu à
son cœur.
i82 MABIE STUART,
KENNEDI. •
On lui a enleTë même son luth.
PAULET.
11 lui servait à redire des chants d'amour.
KENNEDI.
Est-ce là le sort qui attendait celle qui fut reine
dès le berceau , celle qui fut élevée avec tant de
délicatesse au milieu de la cour de Médicis , où elle
croissait parmi tous les plaisirs? N'est-ce pas assez
de lui ravir sa puissance^ devrait-on lui envier les
moindres jouissances? Lorsqu'il est en proie à un
grand malheur ^ un grand cœur sait se retrouver,
mais il souffre de se voir privé des moindres choses
qui peuvent embellir la vie.
PAULET.
Son cœur se remplissait par-là de vaines pensées.
Qu elle descende en elle-même et se livre au repen-
tir ; qu'elle déplore dans le malheur et l'abaissement
une vie de volupté et de désordre. ^
KENNÈDI.
Si elle se reporte vers les années d'une jeunesse
fragile^ elle n'en doit compte qu'à Dieu et à son
cœur; personne n'a le pouvoir de la juger en An-
gleterre.
PAULET.
Elle sera jugée aux lieux où elle a été coupable.
KENNEDI.
Elle n'a pu être coupable en Angleterre , elle n'y
a vécu que chargée de fers. .
ACTE I, SCÈNE L i8î
PAULET..
Cependant elle sait encore, sous le poids de ses
fcirSy exercer sou influence dans le monde, allumer
dans le royaume les brandons de la guerre civile ,
et diriger le poignard des assassins contre notre
reine , que Dieu puisse protéger. Du milieu de ces
murailles n'a-t-elle pas su exciter la scélératesse de
Parry et de Babington à tenter un exécrable régi-,
cide ? Ces barreaux ont-ils pu l'empêcher de séduira
le noble qœur de Norfolk? La hache du bourreau a
fait tomber la tête de, l'homme le plus estimé de
l'Angleterre j et cet exemple déplorable a-t-il épou-
yanté les insensés qui se disputaient l'honneur de se
précipiter dans l'abîme pour elle? Les échafauds ne
sont-ils pas sans cesse baignés du sang des victimes
qui se dévouent à elle; et il en sera ainsi jusqu'au
moment où son sang lui-même y aura coulé. Ah !
maudit soit le joui' où le rivage hospitalier de notre
île a reçu cette nouvelle Hélène*
KENNEDI.
Dieu , quelle hospitalité elle a reçue de l'Angle-
terre! L'infortunée, depuis le jour où elle mit le
pied sur cette terre , pour y venir comme suppliante
et fugitive , implorer le secours d'une parente , elle
s'est vue , contre le droit des gens et la dignité des
rois , retenir dans une étroite prison. Là elle a con-
sumé tristement les belles années de sa jeunesse ;
et maintenant, après avoir éprouvé tout ce que la
prison a de plus cruel, elle est, comme un criminel
vulgaire, traduite devant un tribunal pour y être
outrageusement interrogée et accusée. Une reine !
f84 MABIÈ STUA&T,
PÂtttt.
£Ue êst Yérîùe dans céttêf coâti^ëe , pàwmtitié par
sioii peuf>le^ ehassëe dtt trèût et flétrie pàf té Meartre
et par le crime ; elle âVait conjuré contre le kôiifeéaf
de l'Angleterre , elle avait Vouhi ramener iêipetsé^
ctrtionfi dslnglantes dés Espagnols et deMafrie^ retaBÎif^
la religion cafkofiqfne et nous livrer àtne Françàii^.
J^OTirqnoi ânt-éile refuse de^ inscrire la cdnreÀtfOiï
d'Edimbourg^ dé renéwcer à ses prétentions? èvlt
l'Angleterre et de s'ouvrir ainsi d'un seul mot lé»
portes dé sa prison ? Elle a prëfërë les féï'S et l'îif-
fortune plutôt que dé renoncer âû vam éèïat dé
quelques titres j et pourqu'oî a-t-elte eu èettcf obstî-
naîtion ? C'est qu'elle se coi^fiàit à ses comfplotsr, â séâ
dëtestàUes artifices, et que par ses trames érimî-
ïrelles elle espérait du fond de sa prisott conquérir*
tonte l'Angleterre*
KEN^EDI.
Vous raillez , sir Pâulét ; à la dureté Voul^ ^aui
Famère dérision. Comment aurait-elle pu concevoir
de tels rêves, celle qui est ensevelie vivante entre
des murs, à qui aucune parole der consolation, au*
cune voix amie n'a pu parvenir de sa chère patrie
ici, qui depuis long-temps n'a aperçu d'autres
visages humains que celui de ses geôliers au front
sinistre, qui depuis le moment où notre nouveau
gardien, votre farouche parent, est entré ici,, se voit
chaque jour entourée de nouveaux verroux.
H n'eM point ass«5 de verroùx p6tir se gardfer àèf
SÇB ruses. Sais^je si pendant nmtt sommeit ce* bar-
ACTE I, SCÈNE II. i85
reaux n'ont pas ëtë limés , si ces voûtes y si ces murs
solides en apparence , iiont pas été creusés pour
donnef* piassage à la trahison? Âh I quel emploi mau-
dit m'a été confié ; il me faut veiller sans cesse contre
des artifices médités sans cesse. La crainte trouble
mon sommeil^ et me fait «rrer durant la nuît
comme une âme en peiney pour m'assurer de la force
àts verroux et de la fidélité desr gardiens. Je Voie
arriver chaque matin , en tremblant que mes crain-
tes ne se trouvent réalisées. Cependant^ grâce au ciel,
j'espère que la fin de ceci approche, car j'aimerais
mieux Veiller sans, cesse à la porté de l'enfer pour y
retenir la troupe des cfamnés, que* de ^rder plus
long«-temps cette reine artificieuse*
KENlIlEDI.
Elk f kfnf ici.
^ lié crucifîï à là main , Forgueil et lé péché dââs
lie cœur.
• SCÈNE IL
MARIE, avec un voile ef un crucifix à la main; les
préeédeiisr.
KENNEDI, allfent à m rmeontre;
& reine, on nous foule aux pieds; la tyrannie et
kr vigneuF ne connaisseM plus de borûes : châMfué
jour apporte une nouvelle soufiBrance, ué nxiuvel
afiR^oM à celte dont )a tête fut coui^onnée.
i86 MARIE STUART,
MARIE.
Calme-toi^ Anna. Eh bieni dis-moi, qu'est-il
arrivé de nouveau?
KENNEDI.
Voyez, l'armoire a été enfoncée. Il a saisi vos pa-
piers , et ce dernier trésor que notre Courage avait
sauvé, cet unique reste de votre parure nuptiale
de France. Vous êtes, maintenant entièrement dé-
pouillée, il ne vous reste plus rien de la royauté.
MÂ.RIE.
Console-toi , Anna , ce ne sont ^point ces vains
ornemens qui foat de moi une reine : on peut nous
abattre, mais jamais nous dégrader, fai depuis
long-temps appris ici à souffrir beaucoup , je puis
encore endurer cela. Sir Paulet, vous avez arraché,
par la violence, ce que je vous aurais volontiers
livré de plein gré. Parmi ces papiers se trouve une
lettre pour ma sœur la reine d^Angleterre ; donnez-
moi votre parole que vous la remettrez fidèlement à
elle-même , et non pas entre les mains du perfide
Burleigh.
PAULET. .
Je penserai à ce que j'ai à faire.
MARIE.
Voulez-vous en savoir le contenu , sir Paulet? Je
demande dans cette lettre une grande faveur ; une
entrevue avec la reine elle-même, avec elle que
mes yeux n'ont jamais encore aperçue. On m'a tra-
duite devant un tribunal d'hommes que je ne puis
reconnaître pour mes pairs , auxquels je ne puis ac-
corder aucune confiance. Elisabeth est de ma fa-
ACTE I, SCÈNE IL 187
mille , de mpn rang , de mon sexe : c'est à elle seule,
comme sœur, comme reine ^ comme femme, ^^ j^
puis me confier.
PAULET.
Madame , vous avez très-souvent confié votre sort
et votre honneur à des hommes qui étaient bien
moins dignes de votre estime.
MARIE. '
Je demande encore une seconde faveur, qu'il se-
rait inhumain de me refuser. Depuis long-temps je
suis privée dans cette prison des consolations de la
religion, du bienfait des sacremens; et celle qui
m'a ravi le trône et la liberté , celle qui menace
ma vie elle-même ne voudra pas me fermer les
portes du ciel.
PAULET.
Le chapelain du château se rendra à vos souhaits.
M A R I ET, rinterrompant vivement.
Je ne veuxv rien de ce chapelain ; c'est un prêtre
de ma religion que je demande : je voudrais aussi
qu'un écrivain, qu'un notaire vînt recevoir mes
dernières volontés. Les chagrins, les rigueurs de la
captivité clévorent ma vie; mes jours sont comptés;
et dans mes craintes il me semble que je touche à
la mort.
PAULET.
Vous faites bien de vous attacher à des pensées
qui conviennent à votre situation.
MARIE.
Sais-je si une main rapide ne viendra pas hâteF
l'effet prolongé du malheur? Je veux faire mon
y
)
tSà MARIÉ STUARt,
testàihéiit; je veux dis|^bsèi^> siiitâAf iftà toltoté,
de ce qiiî m'appartient.
PAULET.
Vous en avez la liberté ; la reine d'Angletwre ne
veut pas s'enrichir de vos dépouilles.
KAl^IB.
On m'a séparé de mes femmes et de tous mes au*
très serviteurs. Où sont-ils? quel est leur sort ? Je puis
facilement me passer de leurs services; mais je ne
serai pas tranquille tant que je pourrai craindre que
tnes fidèles serviteurs soient dépouillés et souffrans.
PAULET.
Oti a pris soin dé ^ôâ sérviféufs.
(IlTeatMrtir. X
MARIE.
Vous VOUS i^etirez, sir Paulet ; vcfus me laissez en-
core une fois sans soulager , du'tourment de l'incer-
titude ^ mon cœur plein d'angoise et d'épouvante,
je suis, grâce à votre surveillance active, sépaj*ée
du mondé entier; aucune nouvelle ne petft péûétrët
jusqu'à riioî à travers ïés murs de ma prison : mon sort
est entre leâ mains deiiiés ennemis. Un mois long 6t
pénible s^est déjà écoulé depuis qùé quarante commis-
saires sont Vénus mê surprendre dans ce château, jr
ont érigé sur-le-champ , avec une précipitation in-
décente un tribunal où j'ai été amenée sans prépa-
ration , sans le secours d'aucun avocat, contre toute
espèce de justice régulière. J'y ai été soudainement
interrogée sur d'horribles et artificieuses accusa-
tionë, au ihailiëti dé ma surprisé et dé mon trouble ,
0am avoir le temps dé recueillir liicçs ^dtivénirà. Hs
ACTE 1, SCÈNE H. 189
arriv^'ent ici comme de terribles iTan tomes , et dis-
parurent de même : depuis ce jour chaque bouphe
est muette pour moi. Je cherche en yain à lire dans
les regards^ si mon innocence , si le zèle de ï^es
amis a prévalu^ pu bien les perfides copseils de
pies ennemis. Rompez enfin ce silence ^ ^t laissez-
moi savoir ce que je puis espe'rer, ce que je dois
craindre.
P AULET, après un instant de silence.
Songez à régler yotre compte avec le ciel.
MARIE.
Jç me confie à sa miséricorde , sir Paulet ; et j'es-
père aussi en la bonté de ma cause > mêm$ auprès
de mes juges terrestres.
PAULET.
Justice vous sera faite ^ n'en doutez pas.
V
MARIE.
Mon procès serait-41 achevé?
PAULET.
Je l'ignore.
MARIE.
Suis-je condamnée?
PAULET*
Je ne sais rien, mada^ixe.
MARii:.
On aime à agir rapidement ioi. Sorairrje Uvr^
aux bourreaux aussi soudainetaent qw je l'fti' été
^ux juges?
p^PLpjr.
Pensez toujours qu'il en est ainsi ; ils vous ^^r^
tçp MARIE STUART,
prendront dans une meilleure disposition, k sup-
poser qu'il en soit ainsi.
MARIE.
Rien n^e peut m'ëtonner, sir Paulet; je sais quelle
sentence le tribunal de Westminster, entraîné par la
haine de Burleigh et les intrigues de Haltton , peut
oser porter : je sais aussi ce que la reine d'Angle-
terre est capable de faire.
PADLET./
Les rois d'Angleterre n'ont égard qu'à leur con-
science et au parlement : ce que la justice a pro-
noncé, la puissance l'exécutera sans crainte à la face
de tout l'univers.
SCÈNE III.
Les précédens; MORTIMER, neveu du chevalier
Paulet , et sans faire paraître la moindre atten-
tion pour la reine , s'adresse à Paulet.
MORTIMER.
On vous demande , mon oncle.
(Il séioiçBiB de la même manière. La reine semble remarquer avec peina ce manque
dVgard, et «'adresse i Paulet , qui suit Mortimer. )
MARIE.
Encore une grâce , sir Paulet. Quand vous aurez
quelque chose à me signifier , de vous je puis sup-
porter beaucoup : j'honore votre âge, mais je ne
saurais souffrir l'insolence de ce jeune homme ;
épargnez-moi le déplaisir de voir ses manières bru-
tales.
ACTE I, SCÈNE IV. 19,
PAULET.
Ce qui le rend de'sagréable à vos yeux le fait es-
timer de moi : il n'est pas du nombre de ces faibles
insense's qui se laissent séduire par les feintes larmes
des femmes. Il arrive de Paris et de Rheims, mais
il a su conserver un cœur digne de la vieille Angle-
terre. Tout votre art échouera près de lui, madame.
(Il «'en va.)
SCÈNE IV.
MARIE , KENNEDI.
KENNEDI.
Homme brutal ; oser vous parler ainsi en face !
Âh ! cela est cruel.
MARIE.
Nous avons , dans les jours de notre gloire , prêté
une oreille complaisante à la flatterie ; il est juste,
chère Anna , que nous supportions les austères pa-
illes du blâme.
KEIÏNEDI.
Eh quoi , madame , si humble , si prosternée !
Vous étiez auparavant si rassurée ; vous aviez cou-
tume de me consoler, et j'avais à vous reprocher
plutôt votre insouciance que votre abattement.
MARIE, perdue dans set peniéei.
Je l'ai bien reconnue. C'est l'ombre sanglante de
Darnley, qui s'élève menaçante hors de son tom-
beau pour ne me laisser aucun repos, jusqu'au
moment où la mesure de mes maux sera comblée.
igat MARIE ÇTUART,
KENNEDI.
Tu Vw (mbHàé, AiiA«; mm moi j'ea garde ^ui
«QUirexiir fidèle. C'^t eiy ourd'bui que rerient encore
Ji'i^DiYer»9ire de ce maUieureux jour ; de ce jour
que je Mleunice par le jeune et le repentir.
KENIÏEDI.
Laissez enfin en paix e^ m^yes funestes. You^
avez expié cette action par un repentir de plusieurs
années, par les fudes epreuyjeis de l'adversité. L'é-
glise , qui a le pouvoir de délier toutes les fautes , le
ciel , n'ont-ils point pfirdouué ?
La faute peut être pardonnée, mais le tombeau
entr'ouvert laisse encojre éo^apper un souvenir tout
sanglant. L'ombre d'ijui époux qui démode ven-*
g^eance ne saurait être réduite au silence, ni par la
qélébratiou 4e$ saçr^meu^i pi ffiiV h pwm^xiç^ d^
prêtres.
peis«NEni.
91 ai$ sa mort n'est pas votre ouvrage* D'autres en
furent coupable^.
Je ne l'ignorais pas. Je laissai le crime se consom-
mer ; je l'attirai par des paroles flatteuses dans les
pièges de la mort.
Vot^e jeunesse excusait yptre ffiul». Y^m éim
dans un â^ sii tenadrel
ACTE I, SCÈNE IV. igS
MARIE.
is un âge- si tendre!... et je chargeai d'un tel
crime une- vie i|iii commençait à pdine I
: ■ •
KENNEni,
• • • _
. Vqu^ e'tiea proyoqj^ée par Içs affronts ss^^glaqs et
Fari^Q^neei d'v^n liQfmne que votre amour avait,
^çimpie pi^ ^ne main'diyine^ tiré ^e l'obscurité,
que vous aviez placé dans votre lit et sur votre
trône, à qui vous aviez fait don de vos charmes
et de la couroni^e de vos ancêtre^.. Avait-il pu
oublier que l'éclat de son sort devait son origine à
la généix)sité de vot!re amour ? Cependant il en avait
indignement perdu le souvenir; il vous outragea
par de vils soupçons; s^ façons grossières bles-
sèrent votre délicatesse, et il. devint insu|3portable
à vos yeux ; le charme qui avait fasciné vos regards
s'évanouit. Vous vous éloignâtes irritée de ses hon-
teux embrassemens, et vous le livrâtes au mé-
pris. Et lui, que fit- il? Chercha-t-il à rappeler
votre bienveillance? depiànda-t-il sa grâce? se ^
]etart-il repentant à vos pieds, et promit-il de se
conduire mieux ? Non , le n^isérablé vous outragea
davantage j lui qui était votre créature se prétendit
votre souverain. Sous vos yeux il fit percer votre
favori Riccio , cet aimable chanteur. Vous avez
vengé par le sang un crime sanglant.
Et je serai' ausàî punie par une vengeance san-
glante. Tu prononces mon' arrêt, quand tu voudrais
me consolé]^.
ToM. IIL i3
h94 MARIE STU ART,
KENNEDI.
Lorsque le crime se commit^ vous n'étiez piiis à
vous-même j vous ne. régniez flus sur votre àmëi Le
délire d'un amour aveugle vous possédait et vous
avait assujettie à cet affreux séducteur , à ce malheu-
reux Bothwel ; vous étiez gouvernée avec terreur
par son arrogante volonté. Il avait égaré votre es-
prit par des filtres enchantés^ par des artifices de
l'enfer.
MARfE.
Il n'y eut d autre sortilège que sa forte volonté et
ma faiblesse.
■* . , , ...
' KÉNNEDL.
' ■ ]
Non, VOUS dis-je, il avait appelé le secours des
esprits infernaux pour potlvbir enchaîner votre âme
pure. Vous n'aviez plus d'oreille pour entendre la
sage voix de l'àmitié;' vos yeux ne savaient plus dis-
tinguer le bien du mal ; vous avi^z abjuré la réserve
et la délicatesse; votre visage, autrefois le siège
d'une rougeur modeste et pudique , brûlait du feu
des passions déchaînées. Vous aviez rejeté le voile
du mystère ; lès vices effrontés d'un homme avaient
triomphé de votre timidité, et d'un front hardi vous
donniez vos fautes en spectacle. Vous permettiez que
l'èpée royale de l'Ecosse fût portée devant vous par
un meurtrier à travers Edimbourg , au milieu des
malédictions du peuple ; votre parlement fut investi
par les armes, et dans le temple même de la justice ;
vous forçâtes les juges à absoudre , par une vaine
apparence de jugement^;CeluJi qui était coupable du
mme. Vous allâtes plus loin encore* Difu j .
ACTE I,. SCÈNE IV.
195
MARIE.
Achèye. Je lui donnai ma main devant l'autel.
KENIHEDI.
Ah ! laisisons ce souvenir cache dans un éternel
silence. Cela est horrible, odieux , digne en tout
d'une créature réprouvée, ^t cependant vous ne
fûtes jamais pervertie. Je vous connais bien ; n'est-
ce pas moi qui ai élevé votre enfance. Vous, avez
eu en partage un faible cœur, mais qui ne fut
point fermé à la pudeur. Une âm^ [légère futivôtre
seul défaut. Je vous le répète , c'est le mauvais es-
.pritqui, trouvant accès dans l'âme de Thomtoe, s'y
établit pour un instant, nous fait' instînihient du
crime, puis, en fuyant aux enfers, nous laisse
remplis d'horreur et de souillure. Depuis ce nioment
qui a flétri votre vie^ avez-vous rien fait qui soit
digne de blâme? Je suis témoin de votre retour à la
:v6rtu; Ai«isi, prenez courage > soyez en paix, avec
vous-même. Quelques remords que vous ayez, vous
n'êtes point coupable envers l'Angleterre : Elisabeth*
et son parlement ne sont pas vos jug^ ; vous êtes
opprimée par. la violence. Oçîez paraître devant ce
tribunal illégal avec tout le courage de l'innocence.
Qui vient ?
MARIE.
( Mortimer M moDtre à k porte. )
KENNEDI.
C'est le neveu du gouverneur. Rentrez»
['
' i
3 »
196 MARIE STUAJRT,
SCÈNE V.
I^es précédens ] MORTIMER s'avaiDçaiit atec pré-
caution.
WORt^MEK, ^ la nourrice.
Éloîgnez-vous et veillez à cette porte, j'ai à parler
à la reine.
MARIE, avec autorité.
^iia> demeureif.
MORTIMER.
»
N'ayez aucune crainte, madame, tqu3 allei^
apprendre à me connaître.
( n lui présente un papier. )
. H ARIS regarde le papier, et recule étonnée.
Ciel , q[u est-ce donc ?
MORTIMER, à la nourrice.
Allez, Kennedy, et prenes garde que mon cncle
Me nous surpren ne .
MAR l E, & k namrriee ^ni liéiite «t kterrog» les r^r^ en k t^e.
Va, va, fai^ ce qu'il te dit.
( Adbé l'éloigtie en laissant TOtr un gi^Ad étOBDcment. )
SCÈNE VI.
MORTtMER, MARIE.
MARIE.
Une lettre de France , de mon oncle le cardinal
de Lorraine! {Elle lit.) « Fiez-vous à sir Mortimer,
» qui vous remettra cette lettre ; vous n'atez pas
ACTE I, SCÈNE VI. 197
» un plus fidèle ami en Angleterre. » (Elle regarde
Moriimer a^ec étormement.) Est-il possible? n'est-ce
pM une illusion, un songe qui m'abuse? Je me
croyais abandonnée du monde entier , et si près de
m«i je trouve un ami; je le trouve dans le neveu de
m»n gardien 1 dans celui que jie regardais comme le
plus cruel de ftie^ ennemis.
' MOATIMER s« jette & m6 pisa».
Pardon , reine , d'avoir emprunte ce masque
odieux I pour m'y résoudre, il en a coûté plus d'un
combat à mon cœur; cependant je dois lui rendre
grâce, puisque j'ai pu approcher de vous, pour vous
alerter secours et liberté.
MARIE.
Levez-vous, vous me remplissez de surprise,
sir Mortimer. Je ne puis si rapidement passer
de l'abîme du malheur à l'espérance. Parlez ?
Faites-moi concevoir ce bonheur, rendez-le moi
croyable.
MOîlTmER se lève.
Le temps presse, mon oncle sera bientôt ici, un
homme détesté l'y accompagnera. Avant qu'ils rem-
plissent leur terrible commission, écoutez comment
le ciel a préparé votre délivrance.
MARIE.
%
Je la devrai à un miracle de sa toute-puissance.
MORTIMER.
Permettez que je commence par vous parler de
moi.
MARIE.
Dites , sir Mortimer.
98 MARIE STUART,
MORTIMER.
Je comptais déjà vingt ans , madame , j'avais été
éler-é dans des principes austères ; j'avais sucé avec '
le lait une sombre haine du papisme ^ lorsqu'un
invincible désir de voyager m'attira sur le conti-
nent; je laissai le sombre prêche des puritains , et,,
quittant la patrie , je courus avec ardeur visiter la
France et l'Italie tant vantée.
■ « *
C'était alors l'époque d'une grande solennité de
l'église ; les routes étaient couvertes des troupes de.
pèlerins; des guirlandes ornaient toutes les saintes
images. On eût dit que la race humaine, ensui-
vant cette route, allait parvenir au royaume des
cieux. Je fus entraîné parmi cette foule de fidèles,
et j'arrivai dans l'enceinte de Rome. Que devins-je
alors, ô reine ! quand je vis s'élever devant mes yeux
la pompe des colonnes et des arcs de triomphe ; mon
âme étonnée reconnut la puissance de cette ville
colossale, et une sublime imagination me transpor-
ta dans un monde miraculeux et éclatant. Je n'avais
jamais ressenti le pouvoir des arts; l'église où j'avais
été élevé les déteste; elle interdit tout ce qui se
montre aux sens , tout ce qui les charme, et révère
seulement les paroles sans images ; que ressentis-je
donc lorsque j'entrai dans l'intérieur d'une église,
que j'entendis cette musique qui semblait descendre
du ciel, lorsque je vis les murs et les voûtes cou-
verts avec profusion d'images qui représentaient
aux regards enchantés la présence du Très-Haut,
du Tout-Puissant; lorsque je contemplai la Divinité,
l'ange de l'Annonciation, la naissance de Notre-Sei*
ACTE: I, SCÈNE VI. i^g
gneur^ la sainte Mère de Dieu , la divine Trinité et
6a gloire resplendis^nte ; lorsque je vis le souverain
pontife célébrer les saints mystères dans toute leur
pompe et donner au peuple sa bénédiction. Âh!
qu'est-ce que l'or , qu'est-ce que les joyaux éclatans
dont se parent les rois de la terre, auprès de Téclat
divin ,qui l'environne. Son palais est en quelque
so.rte le royaume des cieux^ car ce qu'on y voit n'est
pas de ce mpnde.
MARIE.
Ah! épargnez-moi! n'en ajoutez pas davantage ,.
cessez de présenter à mes yeux ces tableaux brillans^
et animés. — Je suis malheui^euse et prisonnière.
• MORTIMER.
J'étais captif aussi ^ madame, mais je brisai ma pri-
son , et mon esprit affranchi commença à rendre hom-*
n^age aux plaisirs de la vie. Je jurai une haine éter-
nelle à l'étroite et sombre interprétation du livre saint.
Je parai ma tête de guirlandes de fleurs , et je me mê-
lai joyeusement à ceux qui cherchaient le plaisir^ Je
m'associai à quelques nobles Écossais et à la troupe ai-
mable des Français. Ils me présentèrent à votre noble
parent, le cardinal de Guise. — Quel homme! com-
bien il a de grandeur, d'assurance et d'éclat. — -
Comme il semble né pour gouverner les esprits ! Il
est le modèle d^un pontife royal, d'un prince de
l'église,, et je n'en ai vu aucun qui lui ressemblât.
MARIE.
Vous avez pu jouir de la présence de cet homme
sublime, que je chéris, et qui fut le guide de ma
tendre jeunesse. — Ah ! parlezrmoi de lui. Pen$e^4L
MO MARIE 8TUART,
encore à moi? Le bénkeùr accoiiipagiieHl<«-ii toiijours
sote éclatante destinée? Est-il toapiirb ^nne ded co^
lonnes de réglise?
Il veulttt bien , dans sa bonté , desctendrt des hkti-
tettrs de la dbctrihe , pbur me cott vâlntre tel ré-
soudre les doutes de mon coeur; il ttie montra com-
ment Itefe subtilités de là raison bumaine conduisent
toujours à l'erreur, comment les yeux doivent voir
ce que le cœur doit croire , comment l'autorité d'un
chef est néceœaire à l'église , comment l'esprit de
vérité a présidé aux conciles. Ah ! combien les opi^
nions de mon esprit adolescent s'évanouirent promp-
temjent devant sa raison victorieuge et son éloquence
entraînante. Je rentrai dans le sein de l'é^^ise, et
j'abjurai mes erreurs entre ses^ mains.
MARIE.
Ainsi, vous êtes au nombre des milliers d'hommes
que la force divine de ses paroles, semblable au
sermon sublime sur la montagne , a persuadés et a
conduits au bonheur éternel.
MOATIHER.
Lorsque son devoir l'eut , bientôt après , rappelé en
France, il . m'envoya à IVheims, oii la société de
Jésus, dans sa pieuse activité, instruit des piètres
pour l'église d'Angleterre. Je trouvai là Morgûh ,
d'une antique race écossaise, Lessley votre fidèle
sujet, le savant évéque de Ross, qui tous passaient
les tristes jours de l'exil sur le sol de la France. —
Je me liûî étroitement avec ces hommes vertaetix>
ACTE I, SCÈNE VI. 201
et je m'aiFermis dans la foi. — • Un jour que chez
TeVêque de Ross , je promenais mes regards autour
de moi , iis tonfibèrent sur "an portrait de femkne ,
dont les charmes meryeilleux me remplirent d'énvoi'
tion et s'emparèrent puissamment de mon âme ; je
ne fus pas maître de mon impression. L'évêque me
dît alors : ce n'est pas sans raison que cette image
Tou^ a ému ; la plus belle de toutes les femmes est
aussi la plus digne de pitié. Elle souffre pour notre
religion , et ci'est votive patrie qui est témoin de ses
souffrances.
Marie.
Àh ! constante loyauté ! — Non , je n'ai pas tout
perdu , puisque dans le malheur je conserye le cœur
d'un tel ami.
UORTIMER.
Alors il commença à me peindre , avec une élo-^
quence attendrissante , et yotre martyre et la cruauté
de Tos ennemis ; il me fit Connaître votre race , il
me montra cotnrtient vous étlet l'héritière de l'il-
lustre mais<!)n de Tudor/et comment votre nais-
sance vous appelait à régner sur l'Angleterre, de
préférence h cette reine , fruit d'un amour adultère,
que Henri lui-même avait rejetée comme illégi-
time. Je ne m^n fiai pas à son seul témoignage; je
côrnsuitai les 4iommes profonds dans la science des
lois, je feuîUètÉÛ les antiqties généalogies , et tout
me confirma la justice de vos lîrbits. Je sus aussi
que c'était là tout votre crime en Angleterre, et que
dans ce royaume , qui devait v^ufi appartenir, vdus
étiez injustement retenue prisonnière.
îio^ MARIE STUART,
MARIE.
Âb ! misérable droit à la couronne ! il est l'unique
source de mes, maux.
MORTÎMEH.
J'appris dans le même temps que vous aviez été
transférée du château de Talbot y sous la garde de mon
parent^ le chevalier Paulet. Je crus reconnaître, dans
cette circonstance , le bras libérateur et tout-puisr
sant de la Providence. Il me sembla que la voix du
destin me désignait pour vous affranchir. Mes amis
m'affermirent et m'encouragèrent dans mon des-
sein; le Cardinal me donna ses conseils et sa béné-
diction : il me recommanda l'art difficile de la dissi-
mulation. Mon projet fut bientôt arrêté; je repris la
route de ma patrie, où, comme vous le savez, je
suis débarqué depuis, dix jours. (// s^arrête.) Je vous
vis , ô reine ! vous-même, et non plus votre image !
Ah ! quel trésor renferme ce château! Ce n'est pas une,
prison , c'est un temple plus éclatant de gloire que le
royal palais de l'Angleterre. bonheui* digne d'en vieî
je respire le même air que vous respirez. Quelle a
bien raison , celle qui vous tient ici profondément
renfermée ; toute la jeunesse d'Angleterre se soulè-
verait , tous les glaives seraient tirée du fourreau;
et la révolte , levant une tête gigantesque , trouble-
rait la, paix de cette ile, si les Anglais pouvaient
entr.evoir leur reine. v
MARIE. '
Cela est ainsi pour vous ; mais tous les Anglais la
verraient-ils avec vos yeux?
ACTE I, SCÈNE VI. 2o3
MORTIMER.
Oui y si f comme moi y ils étaient témoins de vos
souffrances , de cette noble fermeté , de cette dou-
ê
ceur courageuse avec laquelle vous supportez votre
indigne sort ;^ car au milieu de ces douloureuses
épreuves vous vous montrez toute royale : l'ignomi-
nie des cachots disparait devant l'éclat de votre
beauté. Vous manq:uez de tout ce qui peut orner
l'existence> et votre vie semble entourée d'éclat et de
gloire^ Jamais je n'ai passé ce triste seuil sans avoir
le coQur déchiré. par vos souffrances^^ et sans être en
même temps ravi par le plaisir de vous contempler.
Cependant le moment redoutable qui doit décider de
votre sort s'approche ; le danger presse y et s'accroît
d'heure en heure : je n'ose différer plus long-temps ,
je n'ose vaus cacher encore ce terrible....
MARIE.
Mon afrêt serait-il prononcé ? parlez avec fran-
chise y je puis vous entendre.
MORTIMER.
Il est prononcé: quarante-deux juges vous ont
déclarée coupable. La chambre des lords y la cham-
bre des communes et la cité de Londres pressent
vivement l'exécution du jugement ; cependant la
Reine tarde encore^ non point par humanité et clé-
mence y mais par artifice y afin de paraître con-
trainte.
MARIE, avec fermeté.
Sir Mortimer, vous ne me surprenez pas , vous ne
m'effrayez pas ; j'étais depuis long-temps affermie
contre une pareille nouveDe. Je connaissais mes
ao4 MAftIE STUART,
juges : après l'injustice commise envers moi, je pen-
sais bien qu'on ne me rendrait point à la liberté i je
savais où Ton en voulait venir. On veut me tmic
enfermée dans une prison perpétuelle; l'on veut
que ma vengeance et mes droits soient pour tou**
jours ensevelis dans la nuit d'un cachot. *
Non^ reine ; non , non. Ils ne s'en sont pas tenu^
là; la4yrannie n'a pas été satisfaite qu'elle n'ait
consomme son œuvre. Aussi long-temps. que voui^
vivrez vous inspirerez de la crainte à la reine d'Ârn<-
gleterre. Aucun cachot ne pourrait vous tenir asses
ensevelie^ votre mort seule peut assurer son trône.
MAEIE.
n se pourrait qu'elle osât faire tomber sous lin-
fâme hache du bourreau une tête couronnée!
MORTIMER.
Elle l'osera , n'en doutez ^as.
MARIE.
EUç pourrait ainsi fouler aux pieds la majesté de
tOFûs les rois? Ne redoute-t-elle pas la vengeance de
la France ?
MORTIMER.
Elle enchaîne la France par une éternelle paix ,
en donnant son trône et sa main au duc d'Anjou.
MARIE.
Et le roi d'Espagne ne prendra-t-il pas les armes ?
MORTIMER.
Tant qu'elle sera en paix avec son propre peuple ^
elle ne craindrait pas les arnies de l'univers entier.
1
I
ACTE I, SCÈNE VI. 2o5
MAltIK.
Voudrait-elle offrir un tel spectacle aux yeux des
Anglais?
Cette contrée, madànié, a Vu plus d*une fois^
dans ces derniers temps ,' des reio es descendre du
trône sur tin sangïant ëc^àfaud. L^ propre raère
d'Elisabeth éprouva ce destin. Catherine Howard et
ïady Gray avaient aussi porté la couronne.
Non f Mortim^r , ; aoj9 w!tine /emittte vous aVeugle.
J^es inquiétudes de votjre âme fidèle : yoii&ioQt in^
spîrë cette fausse terreur. Cie West pas l'^ckafaud qxtB
je er«ins , seigneur. U est un autre '. moyen , moins
dangereux > qm la cruelle Eltsabeth pourrait em*-
ployer pour a'affiranchir de la criinte de mon res-
sentiment. Ce n'est pas un ihouri-eau qui attenterait
à ma vie, ce serait plutôt un assassin. C'est cela
que je redoute, sir Mprtinaer, et jamais je ne porte
une coupe sur le bord de mes. lèvres , saijis être saisie
d'effroi ; songeant que cette boisson peut être le ^g^
des sentimens fraternels d'Elisabeth.
On ne pourra, ni ouvertement, lil en secret,
attenter à votre vie: Soyez sans crainte, tout est
>déjà préparé. Douze jeunes Anglais sont liés avec
moî par un en^pt^ment; ils ont ce matin l'eçu la
«ainte oommunÂan f promettâiit de vous^irracher de
ce château avec courage. Le'Comte jde rAubespine^
ravbaeaa^nui «le Fnmce^ coomati iMtrQ desseîii;
\
2o6 MAJIIE STUART,
lui-même nous aide de sa main. C'est dans son pa-*
lais que nous devoùs nous réunir.
MARIE.
Vous me faites trembler, sir Mortimer. — Mais
ce n'est pas ^e joie.^ Un pressentiment funeste a. tra-
versé mon cœur. Qu'allez- vous entreprendre?, Y
avez-vous réfléchi? Les têtes sanglantes de Bahing-
ton et de Tichbiiru , exposées sur le pont de Londres
comme un averti^sement sinistre ; la perte de tant
de malheureux qui ont trouvé la mort dans des en-
treprises semblables , et qui n'ont fait qu'aggraver
mes chaines^ ne vous effraient ^ elles pas? Infor-
tuné, téméraire jeune homme! fuyez, fuyez, ''^il
en est encore iemp&v si le soupçonneux Burleîgh' n'a
pas déjà connaissance de vos projets ^ s'il n'a pas déjà
mêlé un ; traître parmi vous* Fuyez prompteméht
de ce royaume; Tous ceux qui ont voulu secourir
Marie Stuart ont été: malheureux.
MORTIMER.
Les têtes sanglantes de Babington et de Tîchburn
exposées sur le pont de Londreis comme i;in avertis-
sement sinistre , la perte de tant de malheureux
qui ont trouvé la mort dans des entreprises sem-
blable3 , ne m'ont point effrayé. N'ont-ils pas acquis
une gloire immortelle, et n'est-ce pas un. bonheur
que de mourir pour vous délivrer ? ,
. MA.RIE. ,
C'est en vain. : Ni la force, ni l'adresse ne peu-
vent me rendre la. liberté. Mes' ennemis sont vi-
gilans, et la puissance est entredeurs mains. Ce n'est
pas le seulFaulet, ce n'est pas. une trdi:q>e. degeo-
ACTE I, SCÈNE VL 207
liers , c'est FAngleterre toute entière qui garde les
portes de ma prison. La seule Elisabeth peut^ deispn
plein gré ^ les ouvHr.
MORTIMBR.
Ah ! ne l'espérez jamais.
MARIE.
Il est un seul homme qui pourrait me délivrer.
MORTIMER.
Oh ! nommez-moi cet homme.
MARIB.
Le comité Leicester.
MORTIMER recale de surprise.
Leicester ! Le comte Leiceéter ! Le plus cruel de
vos persécuteurs, lé fisivori d'Elisabeth! C'est de lui. . .
MARIE.
Si je dois être délivrée, ce ne pourra être que par
lui Allez le trouver. Ouvrez-vous à lui fran-
chement , et pour gage que c'est moi qui ' vous ai
envoyé, remettez-lui cet écrit. Il renferme mon
portrait. (Elle tire unpapietdêsonseinyMoYtfmer
se recule et hésite à le premdre). Prenez , depuis long-
temps je lepoi^esur moi L'étroite surveillance
de Paulet ne me laissait aucun moyen de commu*
niquer avec lui. Mon bon ange vous a envoyé ici.
MORTIMER.
• reine! Quelle énigme. Éclaircfssez-moi.
MARIE.
Le (jomte Leicester vous expliquera tout/ confiez-^
vous à lui, il se confiera à vous. Qui vient ici?. .
^'
,(o8 MARIE S TU ART,
KENNEDX entrant pr^cipitammeirt.
Sir Paulet s'approche avec un de vos jv^g^s.
Cest lord Burleigh. Rassurez-VQUS madapie, et
entendez avec fermeté ce qu'il vient vous annoncer.
« «
(H sort par une porte de côte , Keiuiedi le suit. )
SCENE VIL
MARIE, LORD BURLEIGH, grand trésorier d'An-
gleterre, le chevalier PAULET.
PAULET.
Vqu^ souhaitez de connaître votre sort , sa sei-
gneurie milord, Burleigh vient vous en instruire;
supportez-le avec résignation.
MARIE.
Oui, avec la dignité qui sied à Finnocence.
BURT4EIGH.
- J[© vîen^ ici comité député du tribunal.
' Lord Bui4eigh aura consenti volontiers à être For-
gàhe' d'un tribunal qu'il avait déjà animé de son
esprit.
PAULET.
Vous parlez oonouDoie si déjà voms connaissiez la
sentence.
MARIE.
C'est lord Bmrleigh qui l'apporte , je piiis la pré-
voir. ... Au fait , milora.
ACTE I, SCÈNE VII. 209
BURLEIGH.
Vous Tous^tes soumise I madame , au tribunal des
quarante-deux .
MARIE.
Pardon , milord , si dès le commencement de votre
discours^ je suis forcée de vous interrompre ; je me
suis soumise, dites-vous, à la sentence des qua-
rante^eùx? je ne m'y suis aucunement soumise.
Comment Faurais-jexpu faire? Pouvais-je oublier à
ce point mon rang, l'honneur de mon peuple, de
mon fils , de tous les princes ? Les lois anglaises or-
donnent que tout accusé sera jugé par un jury, comr
posé de ses pairs. Qu^ls sont mes pairs dans votre
eomité ? Les rois seuls sont mes pairs.
BURLEIGH.
L'acte d'accusation yous a été lu devant le tribu-
nal; vous avez répondu à l'interrogatoire.
MARIE
Oui , je suis tombée dans le piège artificieux que
me tendait Hatton ; dans la seule vne de venger
mon honneur, me confiant à la force victorieuse de
mes raisons, j'ai prêté l'oreille à chaque chef d'jac-
eusation , et j'ai : fait voir leur peu de fondement.
C'était une marque de considération pour la per^
sanne des nobles lords , et non pas une reeoimata-
sancedeleur jxiridictkm , que je récuse.
BtïRLErGH.
Que vous la reconnaissiez ou non , madame , c'est
une vaine formalité , et qui ne peut point arrêter le
cours de la justice. Vous respirez l'air de l'Angle-
TOM. III. i4
210 MARIE STUART,
terre , vous jouissez du bienfait de ses lois , vous
vivez sous leur protection, , ainsi , vous devez être
soumise à leur empire.
MARIE^
Je respire Fair dans une prison anglaise. Ap-*
pelez-vous cela vivre en Angleterre , et jouir du
bienfait de ses lois? Je les connais à peine, jamais
de mon plein grë je ne m'y suis soumise. Je ne suis,
pas une citoyenne de ce royaume , je suis une libre
reine d'une contrée étrangère.
BURLEI6H.
Et, pensez-vous que le nom royal puisse donner
le privilège de semer impunément la discorde dans
un royaume étranger? Et que deviendrait la sûreté
des états, si le juste glaive de Thémis ne pouvait pas
atteindre la tête coupable d'un hôte royal, aussi-bien
que celle du dernier citoyen !
MARIE.
Je ne prétends pas être au-dessus de la justice ;
c'est seulement les juges que je récuse.
BURLEIGH. ,
Les juges ! Comment , madame ! Sont-ils donc de&
misérables tirés de la populace , ou d'infâmes faus^
saires dont la foi et la conscience soient vénales ,
qui soient • capables de prêter volontairement leur
ministère à l'oppression ? Ne sont-ce pas les premiers
du royaume , des hommes qui ont assez d'indépen-
dance pour oser être justes, qui sont au-dessus de
l'influence du pouvoir et de la vile corruption?
Ne sont-ce pas les mêmes qui gouvernent un noble
ACTE I, SCÈNE Vil. an
peuplé avec Hbertë et justice, et ne suffit-il pas de
les nommer pour rendre aussitôt muets le soupçdïi
ou le doute? A leur tête, on distingue le pieux
archevêque de Cantorbery , ce respectable pasteur;-
le sage Talbot , à qui les sceaux de l'étatisont con-^^
ûés; et Howard ^ qui a commandé les flottes du
royaume. Dites , pensez-vous que la reine d'Angle^
terre pût faire plus, que de choisir, pour les juges
de ce royal procès , les plus nobles hommes de la
monarchie? Si l'on pouvait croire qu'un seul d'entre
eux a été entraîné par l'esprit de parti, quarante
juges ainsi choisis pourraîent-ils être tous déter-
minés à la fois par un motif de passion ?
Marie , après un momoot dû &U«a«e.
Certes , j'admire l'éloquence de cette bouche qui
me fut toujours funeste. Comment une femme dé'"
pom*vue de science pourrait-elle se mesurer avec
un aussi habile orateur? Oui , si ces lords étaient
tels que vous les dépeignez , je devrais garder le si*
lence; et ma cause serait perdue sans recours, du
moment qu'ils m'auraient déclarée coupable. Cepen-*
dant, ceux que vous avez nommés avec tant de
louanges > ceux dont le jugement doit me confondre,
on les a vus , milord, tenir une toute autre conduite
dans les révolutions de ce royaume. Je vois cette
noblesse altière de l'Angleterre , ce majestueux sénat
de l'empire se prêter, comme les ésclav4ss du sérail ,
aux fantaisies despotiques de Henri YIII, mon grand-
oncle. Je vois cette noble chambre des pairs riva"
lisant de vénalité avec la chambre des communes,
sanctionner, puis abroger des lois , rompre et nouer
^Itmm
3ia MARIE STUART,
les liens du mariage suivant que Vexi^e le pouvoir ;
aujourd'hui dé$hérîter une fille du roi d'Angt^esre^
et flétrir sa naissance comme illégitime ; le leade«
main^ la couronner comme reine. Je vois ces dignes
sénateurs ^ avec une conviction coodplaisaiite e|f
prompte y changer, sous quatre rois, quatre fo^ de
croyance. •
BURLEIGH.
Vous vous disiez étrangère a nos lois, poui*taht
les malheurs de l'Angleterre vous sont familiers.
MARIE.
Et ce sont là mes juges! Lord trésorier, je ne veux
point être injuste envers vous, ne le soyez point
envers moi ; on dit que vos intentions sont bonnes ,
que vous êtes , pour le service de ce royaume et de
votre reine , incorruptible , dévoué, infatigable : je
veux le croire , que ce n'est pas votre intérêt privé
qui vous igouverne , mais l'intérêt du souverain et
de la patrie. Cependant ce sentiment même ne peut-
il pas , milord , vous faire craindre d'être insj^é
plutàt par l'intérêt de l'état , que par la justice ? je
ne doute pas que, parmi mes juges , de nobles sei«- '
gneufs ne soient assis près de vous. Cependant ils
fiont iHTOtestans, ils sont pleins de zèle pour la
prospérité de l'Angleterre, et c'est sur la reine
d'ÉcoSse, sur une princesse catholique qu'ils ont à
prononcer. Un Anglais ne peut être juste envers
un Ecossais , ainsi le dit un antique adage. Aussi ,
d'après une coutume observée depuis des siècles par
nos aïeux, un Anglais ne peut, devant un tribunal,
témoigner contre un Écossais , ni un ÊGOSsais contre
ACTE I, SCÈNE VII. ai3
un Anglais ; c'est de la force des choses que naquit
cette loi bizarre. Une profonde raison se retrouve
toujours dans les antiques usages; on doit les res-
pecter , milord. La nature jeta ces deux nations
altières au milieu de l'Océan sur un même sol
qu'elle divisa inégalement entre elles , et les appela
à se le disputer sans oesse ; le lit étroit dé la Twède
sépare seulement ces peuples irritables , et le sang
des combattans s'est souvent mêlé à ses flots ; depuis
mille ans> placés sur chaque rive , ils se regardent
en se menaçant^ la main sur leur épée; aucun
ennemi n'a combattu l'Angleterre sans avoir l'Ecosse
pour auxiliaire ; aucune guerre civile n'a consumé
les villes d'Ecosse, sans que les Anglais ne soient
venus exciter l'incendie , et cette haine ne pourra
s'éteindre que lorsqù'enfin un seul parlement ras-
semblera comme frères les deux peuples, lorsque
File sera soumise à un seul sceptre.
BURLBIGH.
Et c'était une Stuart qui devait assurer ce bon-
heur à l'empire ?
* MARIE.
Pourquoi le nierais-je? Oui, je l'avoue, j'ai nourri
l'espoir de irétiiiir librement et heureusement deux
nobles nations sous l'ombrage de l'olivier j je ne me
croyais pas destinée à devenir la victime de cette
haine nationale; j'espérais étouffer pour toujours
cette antique rivalité , cette discorde ardente et
déplorable ; et de même qu'après des guerres san-
glantes , mon aïeul Richemond avait réuni les deux
roses, je souhaitais de joindre paisiblement les cou-
ronnes d'Ecosse et d'Angleterre.
MMHnHM^IH^^^riilMÉdBAitaia
^i' t .ajiJLun^vqRHSiEa^PQr^iVSwii . uljpl j^-_.... . j
aï4 MAME STUART,
BURLEIGH.
Vous avez poursuivi ce but par une voie coupable,
en embrasant le royaume ; vous vouliez monter sur
le trône à travers les flammes de la guerre civile.
MiRIE..
' Non je n'ai pas voulu cela.. Au nom du Dieu tout-
puissant, quand ai-je eu ce projet? où en sont les
preuves?
BURLEIGH.
Je ne suis pas venu ici pour engager de pareils dé-
bats; votre cause n'est plus soumise à aucune discus-
sion, lia été reconnu par quarante voix contre deux,
que vous avez violé, le hill de Tannée derpière,
que vous avez encouru les peines portées par la loi.
U fi|t statué l'an dernier : «Que, s'il s'élevait dans le
)) royaume quelque tuniuUe au nom et pour l'avan^
» tage d'une persooinQ qui. prétendrait avoir des
» droits au trône, cette personne serait traduite en
» justice et poursuivie pour crime capital; >i et
comme il est prouvé...
MARIE.
Milord Burleigh , je ne doute pas qu'une loi
expressément dirigée contre moi, et destinée à me
détruire , ne puisse s'appliquer à moi* Malheur à la
faible victime lorsque la même bouche d'oîi la loi
est émanée , prononce, aussi la sentence. Pouvçz-
vous nier , milord , que ce bill ait été rendu pour
me perdre?
BURLEIGH.
Il devait vous servir d'avertissenieu|:., vous seule
çi^ avez fait un piège; vous avez vu l'abîme ouvert
ACTE I, SCÈNE VIL 2i5
devant vous, et vous vous y êtes précipitée > quoique
bien avertie; vous étiez d'intelligence avec le traître
Babington et les meurtriers ses complices; vous
aviez connaissance du complot, et vous le dirigiez
du fond de votre prison.
MABIE.
Quand ai-je fait cela? qu'on m'en donne les
preuves?
*^ BURLEIGH.
Elle vous ont déjà été montrées récemment de-
vant le tribunal. ^
MARIE.
Des copies écrites d'une main étrangère ! Mais que
l'on prouve que j'ai dicté ces lettres , telles absolu*-
ment qu'elles ont été lues.
BURLEIGH.
Babington , avant de mourir, a reconnu que c'é-
taient les mêmes qu'il avait reçues.
MARIE.
Et pourquoi, pendant qu'il vivait encore, ne
l'a-t-on pas amené devant moi ? pourquoi s'est-on
hâté de l'envoyer à la mort avant de l'avpir con^
fronté avec moi?
BURLEIGH.
Vos deux secrétaires, Kurl et Nau ont aussi
aflirmé par serment que c'étaient là les lettres que
votre bouché leur a dictées.
MARIE.
Et l'on me condamne sur le témoignage de mes
domestiques ? Oh donne foi et confiance à ceux qui
me trahisisent, moi , leur reine , et qui ne peuvent
2i6 MARIE STUART,
témoigner contre ^loi qu'en violant un devoir df
fidélité ?
BURLEIGH.
Vous-même reconnaissiez autrefois Técossais Kurl
pour un homme rempli de conscience et de vertu.
MARIE.
Je l'ai connu tel. Cependant les instans du péril
sont la véritable épreuve de la vertu humaine : les
angoisses de la torture ont pu lui faire avouer et ra-.
conter ce qu'il ne savait pas. Il a cru , par un faux
témoignage , se délivrer de la souffrance sans nuire
beaucoup à sa reine.
BURLEIGH.
U a librement attesté ce fait par serment.
MARIE.
Non pas devant moi* Comment , milord^ il existe
deux témoins , ib vivent encore , et on ne les amène
pas en ma présence , on n^ lieur fait pas reaouveler
leur témoignage devant mes yeux? Pourquoi me
refuser une faveur^ un droit que l'on accorde à un
assassin? J'ai siï, de la bouche de Talbot^ mon an-
cien gardien , que sous ce règne il avait été rendu
un biH qui ordonnait de faire toujours comparaître
raccusateur devant l'accusé. Cela est-il ainsi ^ ou
bien ai-je mal entendu? Sir Paulet^ je vous ai tou-
jours trouvé honnête homme; donnez -m'en une
preuve , répondez avec conscience ; cela n'est-il pas
ainsi? N'existe-t-il pas une telle loi en Angleterre?
PAULET.
Cela est ainsi , madame ; cela est de droit en An^
gleterre : la chose est vraie, j^ dois le dire.
ACTE I, SCÈNE YIl. ai?
MAIRIE.
I
Eh bien ^ milofd , puisqu'on m'applique avec tant
de sévérité les lois anglaises^ lorsqu'elles me sont
contraires , pourquoi leur bienfait me serait*il re*
fusé? répondez. Pourquoi Babingtoin n'a*t-il pas
été confronté avec moi , comme la loi l'ordonnait ?
pourquoi en est41 de même pouï" mes deux secré-
taires^ eux qui vivent encore?
BURLEIGH.
Ne vous emportez pas, madame; votre intelli-
gence avec Babington n'est pas le seul motif qui....
!
MARIE.
Cest le seul qui puisse me rendre sujette au glaive
de la justice , le seul dont je puisse avoir k me justi-
fier. Milord, demeurez dans la question, ne vous-
en détournez pas.
tURLVIGtf.
U est prouvé que vous avez ilégocié avec Men-
doee, l'envoyé d'Espagne.
Marie, vÎTement. :
Ne détournez pas la question , milord.
BURLCIGH.
Que vous avez formé des complots pour ren^
verser la religion du royaume , que vous avez pro-
voqué tous iea souvemina de llSurope à la guerre
contre l'Angleterre.
MàBIB.
Quand ai^je fait cela? Je ae Vat poittt fait. Et
d'ailleurs I quand cela serait aixisi? Milord, on me
retient prisonnière contre tout droit des gêna : je ne
ai8 MARIE STUART,
suis point venue dans ce royaume les armes à la
main; j'y yins comme une suppliante , me jeter
entre les bras d'une reine unie par le sang avec
moi , réclamant les saints droits de l'hospitalité. Ce
fut ainsi que je tombai en .son pouvoir, et que je
trouvai des chaînes où j'avais espéré des secours. Ré-
pondez, ma conscience est-elle engagée envers ce
royaume? ai-je quelque devoir envers l'Angleterre?
Et si je m'eiForçais de rompre les murs de ma pri-
son, d'opposer la force à la force, si je tâchais d'é-
mouvoir et d'appeler à mon secours tous les souve-
rains du continent, n'userai-je pas du droit sacré
des opprimés? Tout ce qui, dans une guerre légi-
time, est juste et loyal , j'aurais pu l'employer ; l'as-
sassinat seul, et les complots obscurs et meurtriers
me sont interdits par la fierté et la conscience. Un
meurtre flétrirait mon honneur; mon honneur,
dis-je, car il n'y a rien' de condamnable aux yeux
de l'équité ; entre l'Angleterre et moi , il n'est point
question de la justice , mais de la violence seu-
lement.
BURLEIGH.
N'en appelez pas , madame , au redoutable droit
du plus fort; il n'est pas favorable aux prisonniers.
r Je suis faible et elle est puissante. Qu'elle use de la
force ; qu'elle m'envoie à la mort ; qu'elle me sacrifie
à son repos, soit; mais qu'alors elle avoue que c'est de
la force seulement qu'elle tient ces droits , et non de
ia justice ; qu'elle n'emprunte pas le glaive des lois
pour frapper une eiinemie quelle hait ; qu'elle ne
ACTE I, SCÈNE VIII. 219
revête pas d'une sainte apparence la yiolence san-
glante , et l'audace déhontëe : une pareille comédie
n'abusera pas les yeux du monde ; qu'elle me fasse
périr, et non pas juger. EUe y eut unir les profits du
crime au saint éclat de la vertu ; et ce qu'elle est ,
eUe n'ose pas le paraître.
(Elle tort.)
1
SCÈNE VIIL
BURLEIGH , PAULET.
BURLEIGH.
Elle nous brave , et elle continuera à nous bra-
ver, chevalier Paulet, jusque sur les marches de
l'échafaud. On ne peut abattre ce cœur altier. La sen-
tence l'a^t-elle seulement étonnée? L'avez-vous vu ré-
pandre une larme? A-t-elle changé de visage? Elle
n'a pas cherché à émouvoir notre pitié ; elle sait les
hésitations de notre reine, et ce sont nos craintes
qui lui inspirent du courage.
PAULET.
Lord grand trésorier , cette vaine arrogance s'é-
vanouira quand on ne lui donnera plus de prétexte.
Si j'ose le dire , il s'est passsé dans ce procès des
choses irrégulières. On aurait dû la confronter avec
Babington et Tichburn , et faire comparaître ses
secrétaires devant elle.
BURLEIGH, ▼ivement.
Non, non, chevaUer Faulet, on ne pouvait risquer
cela. Elle exerce un trop grand pottToii* sur les
aao MARIE STUART,
esprits; s€S larmes ent trop de puissance. Son secré-
taire Kuri^ si on l'amenait devant elle, voudrait-il
prononcer des paroles d'où dépend la vie de sa
reine? il se rétracterait timide^aent, il retirerait
son témoignage.
PAUIET.
Ainsi les ennemis de l'Angleterre rempliront le
monde entier de bruits odieux , et l'éclat solennel
de ce procès ne semblera qu'une imprudente au-
dace.
BmElLEIGH.
Et c'est là ce qui afflige notre reine. Ah! pour-
quoi cette femme , artisan de nos maux , n'a-t-elle
p» trouvé la mort avant de mettre le pied sur le
sol de l'Angleterre !
PAULET.
Ah! plÀt à Dieu!
SURLEXGH.
Si elle avait succombé en pri3on à la maladie?
PAULET.
Que de malheurs cela eût épargnés à notre pays ?
JURLEIGH.
Et pourtant , si die périssait par le cours ordi-
naire de la nature 9 nous passerions néanmoins pour
ses meurtriers.
PAULET.
Cela est vrai. On ne peut empêcher les hommes
de penser ce qu'ils veulent.
BURLEIGH.
La diose ne pourrait pas être prouvée , et il ea
résulterait moins de bruit.
ACTE I,SCÈHE VIII. 221
PADLET.
Qu'importe le bruit? C'est la jlistice^ et non pas
l'éclat du blâme qui peut blesser.
BtJHLBrGH.
Aussi la justice sacrée ne peut-elle point éviter
le blâme. L'opinion se range toujours du parti des
malheureux^ et l'envie s'attache à la prospérité
triomphante. Le glaive de la justice qa'un homme
porte dignement est haï dans les mains d'une femme.
Le monde ne croit jamais à l'équité d'une femme ^
lorsqu'une autre femme en est la victime. C'est
vainement que nous^ autres juges avons prononcé
d'après notre conscience. La Reine a. le droit souve-
rain de faire grâce ^ il faut qa'elle en use; on ne
souffrirait pas qu'elle laissât un libre cours à la ri-
gueur des lois.
PAULET.
Et ainsi?
BURLEIGH.
Ainsi elle vivrait.... Non , il ne iant pas qu'elle
vive; jâmaift. G'^t là ce qui jette m)tre reine dans
l'anxiété ; c'est là ce qui chasse le sommeil de sa
couche. Je lis dans ses yeux les combats de son âme :
sa botu:he n'ose proférer aucun souhait^ mais son
regard muet et expressif semble demander : n'est-il
pas parmi tous mes serviteurs quelqu'un qui veuille
m'épargner une délibération odieuse ^ et m'arracher
à l'alternative^ terrible- soit de nuire à la sûreté de
mon royaume , seit de livrer cruellement à la hache
une reine unie à moi par les liens dn sang ?
222 MARIE STtJART,
PAULET.
On ne peut rien changer à cette situation ^ elle est
nécessaire.
BURLEIGH.
Elle pourrait être changée^ à ce que pense la
reine ^ si elle avait seulement des serviteurs attentifs.
PAULET.
Attentifs I
BURLEIGH.
Lorsqu'on ôta la garde de la reine d'Ecosse à
Schrewsbury^ pour la confier au chevalier Paulet ,
on pensait que....
PAULET.
On pensa, j'espère, milord, que l'on ne pou-
vait placer une charge plus difficile dans des mains
plus pures. Je jure Dieu, que si j'ai accepte' cette
place de geôlier, c'est que je ne crois pas qu'on pût
la confier à un plus honnête homme en Angleterre !
Laissez-moi croire que je n'en ai pas été redevable
à un autre motif que ma bonne réputation.
Qui sussent comprendre un ordre tacite. |
PAULET.
Un ordre tacite !
BURLEIGH.
Qui, lorsqu'on leur donne en garde un serpent
empoisonné , ne conservassent pas comme un trésor
précieux et sacré l'ennemi confié à leurs soins. i
i
PAULET comprend tout ce qu'on veut lui dire.
La bonne renommée, la gloire sans tache de la ^
Reine est un précieux trésor auquel on ne saurait
trop veiller.
I
BURLEIGH. i
ACTE I, SCÈNE VIII. m3
BURLEIGH.
On rëpaudrait qu'elle s affaiblit , sa santé deyien-
drait de plus en plus mauvaise , et enfin elle suc*
comberait; sa mémoire s'évanouirait ainsi dans l'es-»
prit du public , et votre réputation resterait pure.
PAULET.
Mais non pas ma conscience.
BURLEIGH.
Si vous ne voulez pas prêter votre propre main y
vous n'empêcherez pas du moins qu'une main éti^an-
gère....
PAULET , rinterrompant.
Tant que Dieu protégera ma demeure, aucun meur-
trier n'approchera du seuil de sa porte ; sa vie m'est
sacrée, aussi sacrée que celle de la reine d'Angleterre.
Vous êtes ses juges , eh bien , jvgez-la ; prononcez
son arrêt de mort: et quand il en sera téirnps , qu'on
vienne avec la hache et la scie dresser l'échafaud.
La porte de mon château ne s'ouvrira que pour le
schérif et le boun^eau. Maintenant elle est confiée
à ma garde, et soyez assuré que je la garderai de
façon qu'elle ne pourra ni faire, ni redouter le
moindre mal.
( Ib i'ea foat. )
FIN DU PREMIER ACTE.
aft4 MARIE STU ART,
»»%f t >»»li M« » »» W * * <i» »» l^*f**WW**^V<'*^^'''*1 ' ^**^'** i ^'^'*^''^»*^^''*"***^** **'"***" "*"** *^*'* "
ACTE DEUXIEME.
La scène est au palais de Westminster.
SCÈNE PREMIÈRE.
Le comte de KENT, et sir GUILLAUME DAVISON
se rencontrent.
DAViaON.
JisT-CE vous, milord? Déjà de retour du tournois?
La fête est donc finie?
KENT.
Comment? n'étiez-vous pas à cette cérémonie?
DAVISON.
Les dev<Hr$ de ma place m^'oiit retenu i.
KBNT.
Vous avez perdu , milord, le plus beau spectacle;
il ne pouvait être imaginé avec plus de goût, ni
exécuté avec plus de dignité. On avait représenté la
chaste forteresse de la Beauté investie par les Désirs.
Milord maréchal, le grand juge, le sénéchal avec
dix autres chevaliers , défendaient la forteresse de
la reine, et les chevaliers Français l'attaquaient.
D'abord a paru un héraut d'armes, qui a, par un
madrigal, sommé le château de se rendre; et du
ACTE II, SCÈHE \/ aaS
haut des murailles le chancelier a repondu , puis
l'artillerie a commence à tirer : les canons étaient
ornés d'une manière chairmante ; on les chargeait
avec des essences exquises et embaumées ^ et ils lan-
çaient des bouquets de fleurs^ mais Tainement;
fous les assàutà ont été. repoussés, et les Désirs ont
été forcés de se retirer.
Comte 9 c'est l'augure d'un mauvais succès pour
les prières de mariage de la France.
Ah ! cela n'était ^tfiïn J€u. Et pour parler sérieu-
âemetrt, je crois que la forteresse finira par se
rendre.
I^ÀYISOF.
Le çrojezHiPous ? Je pense qu^e cela n'arrivera ja-
laaiâ.
KENT.
Les articles les plus délicats sont déjà réglés et
accordés par la France. Monsieur se contente d'exer-
cer son culte dans une chapelle domestique > et il
s'engage à honorer publiquement y et à protéger la
religion du royaume. Que n'avcz-vous vu la joie du
peuple lorsque t:ette nouvelle a été répandue ? Car
la crainte de l'Angleterre a toujours été que la Reine
mourant sans postérité , l'Écossaise lui succédât sur
le trône , et que le royaume retombât sous le joug
du papisme.
DAVISON.
0n doit bien étm délivré de cette éraînte : quaiid
la Réin« marchera à l'auté); i'Écossaifie marchera à
jj^'échafaud.^
KBWT.
La Rmie vient.
ToM. III. i5
226 •^^MARIE STUARTi
SCÈNE IL
Les précëdens; ELISABETH, conduite par LEICES-
TER- le comte de l'AUBESPINE, BELLIÈVRE;
le comte de SCHREWSBURY, LORD BURLEIGH,
et plusieurs autres seigneurs français et anglais.
ELISABETH, à F Aubespine.
Comte, je plains ces nol)les seigneurs qu'un ga-
lant empressement a port;ps à trayerser la mer pour
venir ici. Us n'auront pas retrouve chez moi la ma-
gnificence de la cour de Saint-Germain. Je ne sau-
rais inventer des fêtes aussi éclatantes que la reine-
mère. Un peuple joyeux , dès que je me montre en
public, se presse autour de ma litière en me bénis-
sant ; c'est là le spectacle que je puis , avec quelque
orgueil , offrir aux regards des étrangers. L'éclat des
nobles dames qui ornent des fleurs dé la beauté la
cour de Catherine, éclipserait et moi et mon cortège
modeste.
l'AUBESPINE.
La cour de Westminster présente , aux yeux des
étrangers surpris, une femme qui t'assemble en
elle seule tous les attraits séducteurs de son sexe.
BELUÈVRE.
Madame, votre majesté permettra que nous pre-
nions congé d'elle pour aller pôhet à MonsicJur,
notre royal seigneur, l'heureuse espérance qui le
comblera de joie. Sa vive impatience ne lui a pas
permis de demeurer à Paris , il attçnd à Am;iens la
ACTE II, SCÈNE IV 217
•nouvelle de son bonheur; et tout est disposé jusqu'à
Calais pour que le consentement que prononcera
votre bouche royale soit apporté à son avide em-
pressement avec toute la rapidité possible.
ELISABETH.
Comte de Bellièvre , ne me pressez pas davantage.
Ce n'est pas le moment, je vous le répète , d'allumer
maintenant les joyeux flambeaux de l'hymen. De
sombres nuages s'élèvent sur ce royaume , et il me
conviendrait mieux de me revêtir des vêtemens de
deuil, que de l'éclat d'une pçrure nuptiale; car un
coup déplorable est prêt à atteindre et mon cœur
et ma maison «.
BELLIÈVRE.
Donnez-nous seulement votre promesse, reine;
des jours plus heureux en amèneront l'accomplisse-
ment.
ELISABETH.
Les rois ne sont que des esclaves de leur condi-
tion; ils ne peuvent suivre le vœu de leur propre
cœur. Mon désir fut toujours de mourir sans avoir
eu d'époux; et j'aurais mis ma gloire à ce qu'on lût
sur mon tombeau : « Ici repose une vierge reine. »
Cependant, mes sujets ne le veulent pas ainsi; ils
songent déjà avec prévoyance au temps où je ne
serai plus. Ce n'est pas assez de répandre mainte-
nant sur cette terre une heureuse bénédiction, il
faut^ncore que je m'immole à leur bonheur à venir;*
que je sacrifie à mon peuple mon bien le plus pré-
cieux, ma liberté virginale, et que je me soumette
à un maître. Le peuple me montre par-là qu'il ne
voit en moi qu'une femme seulement, et je croyais
228 MAUtE STUÂ&T,
çepen4^pt savoir gouy ernç' comiae un h^uBiaei comme
lin roi. Ce n'est pas que je pense que se dérober au
yœu (le la.nature , $oit un hommage agréable à Dieu;
etc eux qui m'ont précédée s^r le trône méritent des
louanges pour avoir ouvert les cloîtres , et rendu
aux devoirs de la nature mille victimçs d'une piété
mal entendue. Mais il semblerait qu'une reine dont
les jours ne se sont pas écoulés dans une oisive et
inutile contemplation , qui , sans relâche et sans dé-
couragement, a su pratiquer les plus difficiles de
tous les devoirs , pourrait être exceptée de ce joug
que la nature impose à la moitié de la race humaine ,
la souniettant à l'autre moitié.
L'AUBESPINE.
Reine y vous avez fait briller toutes les vertus
sur le trône, il ne vous reste plus qu'à présenter à
votre sexe un exemple éclatant de l'accomplisse-
ment de ses propres devoirs. Je conviens qu'il n'est
aucun homme sur la terre digne que vous lui fas«
siez le sacrifice de votre liberté; cependant, si la
naissance, la grandeur, l'héroïque vertu, la m,âle
beauté peuvent rendre un nao^el digne, de^ çe.t hoa-
neur...
ELISABETH.
$ans nul doute, niQnsieujr l'aoïbassadeiw^i U^e
£|lliance avec un royal fils de la France doit m'ho^
norer i oui ,^ je IVoue hauten;ieat , s'i<l faut que cela
soit ainsi, si je ne puis, faire autrement que d'ob^û?
aux instances de mon peuple, si., conupae je le craàBS^
elles l'emportent sur mes. désirs , jq nje- connaia
aucun prince dans l'Europe., anqu4 jç. fissîe avec
ACÎE It, SCÈKE II. 229
moins de regret le sacrifice de ma liberté' , mon plus
cher trésor) que cet ateu vous suffise.
beIlièVrè.
C'est la plufe belle des èspët^ancfts j cependant ce
n'est qu'uiie espérance^ et itidh maître touhàité
davantage.
iéUSAlËEtH.
Que souhaite-t-il? j(jE'//e Ure un anneau de sa
main et le regarde en réfléchissant). Eh quoi ! une
reine n'a donc rien au-dessus d'une simple citoyenne.
Le même sy&bole exprime pour elle les mêmes de-
voirs^ le même esclavage. L'anneau est le signe dU
mariage, et en effet c'est avec des anneaux qu'on
forme les chaînes. Portez ce don à son altesse. Ce
n'est pas encore un lien qui m'enchaîne, mais celui-
là pourrait amener à un autre qui m'enchaînerait
tout*à-fait.
BELLIÈTRE reçoit la bague en mettant nn genon en terre.
Grande reine, je reçpis en son nom, à genoux,
ce don précieux, et en signe d'hommage je baise la
main de ma princesse.
ELISABETH, au comte dtf Leicttste*, qlielle a regardé atténtivenhent pendadit les
dernières paroles cpi'eUe a prononce'es.
Permettez, milord. {Elle lui prend son cordon
bleu et en orne le comte de Belliès^re.) Remettez à
son altesse cette décoration dont je viens de vous
revêtir, en vous admettant parmi les chevaliers de
mon ordre. — Honi^y soit qui mal y pense : — Tout
nuage doit se dissiper entre les deux nations , et un
lien de confiance réciproque doit joindre les cou-
ronnes de France et d'Angleterre.
-*3o MARIE STUART,
L'AUBESPINE.
Grande reine , ce jaur est un jour d'allégresse;
puisse-t-elle s'étendre à tous, et puisse aucun in-
fortuné n'avoir à gémir dans cette île! La bonté
brille sur votre visage. Ah ! qu'un rayon de ce doux
éclat tombe sur une malheureuse princesse^ qui
touche d'aussi près la France et l'Angleterre.
ELISABETH.
• C'est assez , comte ; ne melons point deux affaires
importantes, et qui n'ont point de rapport entre
elles ; si la France recherche sérieusement mon al-
liance f elle doit partager tous mes soucis , et ne pas
avoir mes ennemis pour amis.
L'AUBESPINE.
Si la France , en concluant cette alliance , ou-
bliait une infortunée qui lui est unie par la religion j,
qui est la veuve de son roi, ce serait une indignité
même à vos propres yeux. Non-seulement l'honneur,
mais l'humanité exigent....
ELISABETH.
En ce sens, je saurai prendre en considération
votre intercession. La France remplit un devoir
d'amitié, ce sera à moi à remplir mon devoir de
reine.
( Elle salue ks seignearB français» qui sont reconduits en cérémonie par les seigneurs
anglais. ) «
J
ACTE II, SCÈNEIlI. ,a3i
SCÈNE III.
ELISABETH, LEICESTER, BURLEIGH, TALBOT.
(L« reine s'assied.)
BURLEIGH.
Glorieuse reine , vous couronnez aujourd'hui les
souhaits les plus ardens de votre peuple ; pour la
première fois , nous pouvons jouir entièrement des
jours heureux que nous vous devons , car nous n'a-
vons plus à considérer en frémissant un avenir
orageux. Cependant la nation a encore un regret
qui l'afflige. Il est une victime que toutes les voix
demandent. Accomplissez aussi ce vœu, et que ce
jour fonde à jamais le bonheur de l'Angleterre.
ELISABETH.
Que désire encore mon peuple? Parlez, milord.
. BURLEIGH.
Il demande la tête de Marie Stuart. Si vous voulez
assurer à votre peuple le précieux trésor de la li-
berté , et la lumière si chèrement achetée de la vraie
religion , il faut que Marie n'existe plus. Pour que
nous cessions de trembler sans cesse pour votre vLe
adorée, il, faut que votre ennemie périsse. Vous
savez que tout votre royaume n'est pas soumis à la
même opinion, et que l'idolâtrie romaine compte
encore dans cette lie beaucoup d'adorateurs secr^s«
Tous nourrissent des pensées hostiles, Leurs coeurs se
tournent vers cette fille des Stuarts, et ils ont des in-
telligences, avec les Locrains,.ces irréconciliables en-
nemis de votre nom. Ce parti vous a juré, dans sa fu-
\
232 MlilRUSTUART,
reur, une guérite implacable ^ et ils combattent avec
des armes perfides et infernales. C'est à Rheims^
siège de rarchevêque de Lorraine , que sont forgés
cçs traita. Çcst là qu'on eqseigne le régicide; c'est
de là que sont envoyés sans cesse dans cette ile des
émissaires^ enthousiastes dévoués qui se cachent sous
toute sorte de déguisemens. A^oici déjà le troisième
assassînr qui est parti de là^ et ce gouffre vomira
sans fin de nouveaux ennemis secrets. C'est dans le
château de Fotheringay qu'habite la furie qui
anime cette éternelle guerre ; c'est elle qui einbrase
ce royaume avec le flambeau de l'amour. C'est pour
elle , c'est à cause des espérances flatteuses qu'elle
sait donner, que la jeunesse se dévoue à une itiort
assurée. La délivrer, tel est le prétexte; la placer
sur votre trône, tel est le but de ces complots. Car
cette maison de Lorraine ne reconnaît pas vos droits
sacrés; ils vous traitent d'usurpatrice, couronnée
par la fortune seulement. C'étaient eux qui avaient
persuadé à cette insensée de prendre le titre de
reine d'Angleterre. Aucune paix n'est à espérer
avec cette maison. Vous devez, ou frapper le coup
ou le recevoir. Sa vie est votre mort , et sa mort
votre vie.
ELISABETH.
Milord, vous vous acquittez d'un devoir cruel*
Je connais la pureté de votive zèle empressé; je
sais qu'une sagesse siucère parle par votre bouche.
Cependant cette prudence , qui exige de verser du
sang , m'est odieuse au fond du cœur. Proposez des
consuls plus doux; milord Sckrewsbury ! Dites-nous
v-otre opinion «
ACTE II, SCÈNE ÏII. i33
TALBOT.
Vous donnez de justes louanges au zèle qui anime
le eœur de Burleigh. Et moi au^si, bien que ma
bouche s'exprime avec moins d'éloquence , un cœur
non moins fidèle bat dans ma poitrine. Puissiéz-vous
vivre long-temps , reine; faire la joie de votre peu-
ple et lui assurer long-temps le bonheur de la paix.
Jamais^ depuis qu'elle est soumise à ses rois, cette
île n'a vu des jours aussi heureux. Mais s'il lui fallait
jamais acheter son bonheur aux dépens de sa
gloire y ah ! puissent les yeux de Talbot se fermer le
jour où il en serait ainsi.
ELISABETH.
Dieu nous préserve dci souiller notre gloire.
TALBOT.
En ce cas, il vous faudra chercher un autre
moyen pour sauver le royaume; car l'exécution de
Marie Stuart est un moyen injuste. Vous ne pouvez
prononcer la sentence de celle qui n'est pas votre
sujette.
ELISABETH.
Ainsi mon conseil d'état et mon parlement se sont
ti'ompés; ainsi toutes les cours de justice du
royaume sont dans l'erreur, quand unanimement
elles me reconnaissent ce droit.
TALBOT.
La pluralité des voix n'est pas une preuve de la
justice ; l'Angleterre n'est pas le inonde ; votre par-
lement ne représente pa& toutes les générations hi»-
maines. L'Angleterre d'aujourd'hui n'est pas plus
l'Angleterre de l'avenir qu'elle n'est celle ctes temps
a34 MARIE STUART,
passés; les affections changent de cours, et les
flots mobiles de l'opinion s'élèvent et s'abaissent
tour à tour. Ne dites pas qu'il tous faut obéir à la
nécessité et aux instances de votre peuple. Dès que
vous le voudrez, à chaque instant vous pouijrez
éprouver que votre volonté est libre. Tentez, dé-
clarez que vous avez horreur du sang., que vous
voulez sauver la vie de votre sœur ; montrez à ceux
qui vous ont donné d'autres conseils une véritable
indignation , et bientôt vous verrez cette nécessité
s'évanouir et cette justice devenir une injustice.
Vous-même devez prononcer, vous seule. Vous ne
pouvez vous appuyer sur ce roseau mobile et flexi-
ble. Livrez-vous avec confiance à votre bonté. Dieu
n'a pas placé la sévérité dans le sensible cœur des
femmes ; et les fondateurs de cet empire -, en per-^
mettant que les rênes de l'état fussent confiées aux
mains des femmes , ont fait voir que les rois de cette
contrée ne devaient point mettre leur vertu dans la
sévérité.
ELISABETH.
Le comte de Schrewsbury est un zélé défenseur
de l'ennemie du royaume et de moi ; je préfère les
conseils dictés par le dévouement à mes intérêts.
TALBOT.
Peut-on lui envier un défenseur , quand personne
n'ose parler pour elle , et s'exposer au poids de votre
colère? Âh! permettez à un vieillard qui , sur le
bord de la tombe , ne peut plus être guidé par aucun
motif terrestre, de secourir celje qui est abandon-
née; qu'^ ne soit pas dit que dans votre conseil
ACTE II, SCÈNE III. 235
d'état la passion et l'intërét personnel seuls ont
éleyé la voix^ et que la pitié est restée muette. Tout
s'est conjuré contre elle. Vous-même n'ayez jamais
Yu son visage^ et rien dans yotre cœur ne parle
pour une étrangère. Je ne prétends pas la justifier
de ses fautes. On dit qu elle a consenti au meurtre
de son époux. Il est vrai du moins qu'elle a épousé
le meurtrier : c'est un grand crime ; mais cela s'est
passé au milieu d'un temps sinistre et déplorable ,
parmi les cruels déchiremens d'une guerre civile.
Elle se voyait^ dans sa faiblesse, pressée vivement
par des vassaux insoumis , elle s'est jetée dans les
bras de celui qui montrait le plus de force et de ca-
ractère. Qui sait par quels artifices on a triomphé
d'elle; car la femme est un être fragile.
ELISABETH.
La femme n'est point un être faible. Le sexe a
produit des âmes fortes. Je ne veux pas qu'en ma
présence on parle de la faiblesse des femmes.
TALBOT.
Le malheur a été pour vous une . école sévère.
La vie ne se montra pas à vous d'abord sous un
aspect riant. Vous ne portiez pas vos regards sur la
perspective d'un trône, mais sur un tombeau ouvert
devant vos pas. C'est à Woodstock, dans l'obscurité
d'une prison , que Dieu protecteur de cette terre a
formé votre âme par l'adversité. Là, aucun flatteur
ne s'empressait vers vous ; loin du vain tumulte du
monde, votre esprit apprit de bonne heure à se re-
cueillir , à rentrer en lui-même par la méditation ,
et à apprécier les véritables biens de cette vie. Dieu
a36 MARIE STUART,
n'a pas donne cet avantage à Finfortunëe; encore en^
fant j elle fut transplantée en France dans une cour
où régnaient la légèreté et les plaisirs frivoles. Là ,
dans l'ivresse continuelle des ^êtes , elle ne put en^-
tendre la voix sérieuse de la vérité j elle se laissa
éblouir par des vices brillans ^ et elle fut entraînée
dans le torrent du désordre. Elle avait en partage
les vains dons de la beautés Par ses attraits elle bril-
lait par-dessus toutes les femmes ^ et ses charmes
non moins que sa naissance. ...
ELISABETH.
Revenez à vous, milord Schrewsbury; pensez
que nous siégeons ici pour des affaires sérieuses : les
charmes qui inspirent une telle chaleur à un vieil-
lard doivent être incomparables. Milord Leicester,
vous seul gardez le silence ; ce qui excite l'éloquence
de milord Schrewsbury, vous ferme-t-il la bouche?
LEICESTER.
Je demeure muet d'étonnement , en voyant de
quelles terreurs on vient vous entretenir, en voyant
les chimères qui agitent le peuple crédule dans les
rues de Londres , troubler le calme dans votre con-
seil, et occuper sérieusement des hommes sages. Je
reste saisi de surprise, je l'avouerai, de ce que la sou-
veraine dépouillée de l'Ecosse , qui n'a pas su se
maintenir sur son propre trône , qui est la fable de
ses vassaux , que son royaume a rejetce , est , du
fond de sa prison , un objet d'épouvante pour vous.
Au nom du ciel ! qui peut la rendre redoutable ?
seraient-ce les prétentions qu'elle a sur ce royaume,
et le refus que font les Guises de vous reconnaîti'e
ACTE II, SCÈNE III. 137
pour reine ? Et que peut faire Topposition des Guises
contre les droits que la naissance tous a donnes,
que la volonté du parlement a confirmes ? N'a-t-elle
Sas été tacitement exclue par les dernières yolontés
e Henri ; et l'Ângjleterre , qui a le bonheur de jouir
des lumières de la réforme , ira^^-^elle se jeter dans '
les bras d'une reine papiste? Âbandonnera-4«elle
TOUS y sa souveraine adorée y pour la meurtrière de
Bamley? Que prétendent ces hommes inquiets qui,
peiïdant que vous vivez encore , vous alarment sur
votre héfiftier? Il semble qu'ils ne puissent pas
vous donner un époux assez vite , tant ils craignent
pour l'état et pour l'église ? Et n'êtes-vous donc pas
dans la force et dans la fleur de la jeunesse , tandis
qu'elle chaque jour la flétrit et l'entraîne au tom-
beau ? Par le ciel ! vous pourrez pendant bien des
années encore passer sur son tombeau, sans qu'il
vous soit nécessaire de l'y précipiter.
BURLEIGH.
Lord Leicester n'a pas toujours» été de cette opinion .
LEICEISTER.
Il est vrai, j'ai donné ma voix pour sa mort au tri-
bunal; dans le conseil d'état je parle d'autre sorte.
Il ne s'agit pas ici de discuter ce qui est juste, mais
ce qui est avantageux. Est-ce maintenant le moment
de SaL regarder comme dangereuse , quand son seul
appui , quand la France l'abandonne , quand vous
allez accorder au fils de ses rois l'heureux don de votre
main ,, quand l'espoir de voiir naître^ un/e noui/^elle
race royaU réjouit l'Angleterre? Pourquoi lui dont-
ner la mort? N^est-elle pas déjà mort^? G'oat L'oubli
238 MARIE STUART,
des hommes qui est la vraie mort. Gardez-vous de
la rappeler à la vie en excitant la compassion. Mon
avis est donc qu'on laisse subsister dans tonte sa
force la sentence qui condamne sa tête : qu'elle vive,
mais qu elle vive sous la hache du bourreau ; et si
un seul bras s'arme en sa faveur^ qu'aussitôt sa tête
tombe.
ELISABETH fe lève.
Milords , j'ai écouté vos avis > et je vous remercie
de votre zèle. Avec l'aide de Dieu , qui éclaire l'es-*
prit des rois , j'examinerai vos motifs , et me déci-
derai pour ce qui me semblera plus sage.
■
SCÈNE IV.
Les précédens; le chevalier PAULET avec MOR-
TIMER-
ELISABETH.
Voici le chevalier Faulet. Sir Paulet, qui vous
amène vers nous ?
PAULET.
Glorieuse reine , mon neveu qui naguère est de
retour de voyages lointains , se prosterne à vos
pieds et vous présente ses jeunes hommages. Re«-
cevez-le avec bonté , je vous prie ; laissez tomber
sur lui un rayon de votre faveur.
MORTIMER met un genou enterre.
Puissiez-vous vivre long-temps , madame et sou-
veraine ; et puissent le bonheur et la gloire orner
votre couronne I
ACTE II, SCÈWE'IV. aSg
ELISABETH.
Levez-vous ; soyez te Bienvenu en Angleterre y
sir M ortimer. Vous avez fait un long voyage , vous
avez vu Rome et la France^ vous avez habité Rheims^
dîtes-moi ce que trament nos ennemis.
MORTIMER.
Puisse Dieu les confondre et tourner contre leur
propre sein les traits qu'ils veulent lancer à ma
reîne I
ELISABETH.
Avez-vous vu Morgan et l'archevêque de Ross , ce
grand artisan de coinplots ?
MORTIMER.
J'ai pu connaître tous les Écossais bannis qui for--
gent à Rheims des CQiuplQts contre cette île; j'ai
gagné leur confiance^ afiba de découvrir quelque chose
de leurs trames.
PAULET.
On lui a confié une lettre en chijQTres pour la reine
d'Êcos^e, et d'une nxain fidèle il nous l'a remise.
ELISABETH. *
Dites , quels sont leurs dèiiiiers projets ?
MORTIMER.
Us ont été frappés comme d'un coup de foudre en
voyant la France: les abandonner, et conclure une
étroite alliance avec- l'Angleterre ; maintenant leur
espoir se^ porte sur l'Espagne.
* ELISABETH.
Walsingham me l'écrit ainsi.
a4* MâKIE ST0ÀKT,
■OIITIIIER.
Le pape Sixte-Qumt Tient de lancar du Vatican
uife bulle contre tous : die était parvenue à Rheims
eomme j'eu partais-^ et le p^mier paquebot l'appor-
tera dans cette ile.
LEIGESTER.
De pareilles armes ne font plus trembler rAn"-
flleterre»
Elles peuvent deveuir dangereuses dans la main
des enthousiastes.
ELISABETH, ««mlliiiuil MdrtStaiet arv«t péfatftrttioA.
On vous accusait d'avoir strirvi les ëcoleâ de Rheîms,
et d'avoir abjuré votre croyaouee.
MORTiitBa.
J'en ai &st le semManf ; je tk^e le nie points taiït était
gradoide mon «rd^uif à vota servir.
ÉLI^A BET H , à Pàvlét , qui tire un papUr.
Que tenez-vous là ?
C'est ua éevit que la reine d^É^osse vous adresse.
BURLEIGH TCàit le taMi<ur«c empressement.
DonnezHmoi ceMe lettre.
P AU LET domw leipapier à la reine.
Pardon:^' milovd trésorier; elle mi'a recommandé
de remettre la lettre' auxs pvopres maiins de la reine.
Elle dit toujours que je suis son/ ennemi; jesai^
l'ennemi de ses crimes :9eiilemenl; : tout ce qui à^ae-
corde avec mon devoir, je le fais volontiers pour elle.
( La reine a pris la lettre. Pendant qu'elle la Ut, Hiortimcr et Ucefler aerdÎMOt'^tt^
ques mots è yoix basse. )
ACTE II, SCÈHE IV. 241
BITRLBfGB, k Pkolet.
Que peut contenir cette lettre? de vaines plain-
tes , que Ton aurait dû ëpargher au cœur sensible
de la Reine.
POULET.
Elle ne m'a point caché ce que contient la lettre;
elle sollicite la faveur d'être admise en présence de
la Reine.
Jamais.
lALBOT.
Pourquoi pas? Sa demande n'a rien que de juste.
Celle qui a complote la mort de la Reine, qui
avait soif de son sang, n'a pas mérité de jouir de
son auguste aspect ; quiconque est fidèle à sa souve-
raine ne peut lui donner ce mauvais, ce perfide
conseil.
TALBOT. ,
Si la Reine veut la sauver , deve^vous arrêta ç^
mouvement généreux de clémence ?
B'URLEIGH.
Elle est condamnée, sa tête est sous la hache. Il
est indigne de la majesté royale d'admettre en sa
présence celle qui, est dévouée à la mort. La sentence
ne pourrait plus s'accomplir, si une fois elle avait
vu la Reine; l'aspect du roi porte grâce.
ÉLIS ABETH ennyBat ses larmes apr^ «voir lu la kitre.
Qu'est-ce que l'homme ? qu'est-ce que le bonheur
sur cette terre? Où en est-elle réduite , cette reine
qui commença sa carrière ai^ÇQ 4§^ SH?^?nPW^ 9^
Toii. m; 16
342 idÀftIE STUART,
orgueilleuses , qui fut appelée sur le trône le plus
ancien de la chrétienté, qui dans sa pensée croyait
déjà réunir trois couronnes sur sa tête? Quel autre
langage elle tient aujourd'hui, que lorsqu'elle prenait
récusson d'Angleterre, et lorsqu'elle se laissait ap-
peler par les flatteurs de sa cour, reine des iles
britanniques ! Pardon , milords , mais mon âme est
déchirée , mon cœur saigne , et je suis saisie de
trouble quand je yois la fragilité des choses ter-
restres , et les terribles coups du destin tomber si
près de ma tête.
■^ TALBOT.
O reine ! Dieu a touché votre cœur ; écoutez cette
émotion béleste : certes elle a expié cruellement ses
cruelles fautes. Tendez-lui la main au fond de l'a-
bime oh elle est tombée ; paraissez comme un ange
de lumière dans la nuit funèbre de sa prison.
BURLEIGH.
Grande reine , montrez de la fermeté ; ne tous
laissez pas égarer par un généreux sentiment dliu-
manité ; ne vous privez pas du pouvoir de faire ce
qu'exige la nécessité. Vous ne pouvez ni lui faire
grâce , ni la sauver ; ainsi ne méritez point l'odieux
reproche d'avoir, avec une joie cruelle et triom-
phante , rassasié vos regards de la vue de votre
victime..
LEICESTER.
Demeurons dans les bornes detiotre devoir, mi-
lords ; la Reine n'a pas besoin de nos conseils , elle
saura dans sa sagesse choisir le meilleur parti : l'en-
trevue de deux reines n'a rien de commun avec le
cours ordinaire de la justice; les lois d'Angleterre,
ACTE Ui SCÈNE V. 243
et non pds la voloiitë de la Reine ^ ont condamné
Marie. Il est digne de la grande âme d'Elisabeth de
suivre les nobles impulsions de son cœur^ tandis
que la loi conserve son inflexible rigueur.
ELISABETH.
Allez , milords ; - nous trouverons moyen d'unir
convenablement ce qu'exige la clémence et ce
qu'ordonne la nécessité. Maintenant, allez. (I/s
sortent. Elle rappelle Mortimer. ) Sir Mortimer ,
un mot.
»
SCÈNE 'V.
ELISABETH, MORTIMER.
ÉLI S ABETH , après avoir , pendant'quelques momens , fixe sur lui de» regards pënrf-
trans.
Vous avez montré un courage déterminé et un
empire sur vous-même rares à votre âge. Celui
qui sait déjà sitôt pratiquer l'art difficile de la dis-
simulation mérite d'être récompensé avant le temps,
et abrège ses années d'épreuve. Le destin vous ap*
pelle à parcourir une belle carrière, je vous le pré-
dis; et cet oracle, je puis, pour votre bonheur,
l'accomplir moi-même.
MORTIMER.
Grande reine, ce que je suis , ce que je puis être,
est consacré à votre service-
ELISABETH.
Vous avez connu les ennemis de l'Angleterre; ?eur
haine contre nM)i est irréconciliable , et leurs san*
244 MARIE STUART,
glan» desseing se renouvellent toujonis. Jusqu'à ce
jour, il est vrai, le Tout-Puissant m'a préserrée.
Cependant la couronne ne sera jaraab afSsrmie sur
ma tête , tant que vivra celle qui sert de prétexte à
leur zèle enthousiaste et qui nourrit leurs espé-
rances.
MORTIMER.
Dès que vous l'ordonnerez elle ne vivra plus.
ELISABETH.
Hélas ! sir Mortimer, je croyais déjà me voir au
but , et je ne suis pas plus avancée que le premier
jour. Je voulais laisser agir les lois et conserver ma
main pure de son sang : la sentence est prononcée ,
qu'ai-je gagné à cela ? U faut qu elle s'accomplisse ,
Mortimer, et c'est moi qui dois ordonner son exécu-
tion. C'est toujours sur moi que retombe l'odieux j
je suis contrainte à y donner mon aveu, et je ne
puis sauver l'apparence. Voilà ce qui est le plus rude.
MORTIMER.
Que vous importe une fâcheuse apparence quand
la chose est juste ?
ELISABETH.
Vous ne connaissez pas le monde , jeune homme ;
chacun vous juge sur ce que vous paraissez , per*
sonne sur ce que vous êtes. Je ne puis persuader que
la justice est peur moi; ainsi je dois apporter mes
soins à cacher dans un doute éternel la part que
j'aurai à sa mort. Dans de telles affaires , qui peu-
vent offrir deux aspects différens , la seule ressource
c'est de s'envelopper dans une ombre mystérieuse.
Ce qui est fâcheux ^ c'est d'avouer publiquement les
ACTE II, SCÈNE V. 245
choses; tant qiï'on se tient à l'écart il n'y a rien de
perdu.
MORTIMER la p^n^trant.
Ainsi, le mieux serait.. ••
Assurément, ce serait le mieux. Oh! c'est mon
bon ange qui tous fait parler ; poursuives , achevez ,
cher Mortimer. Votre esprit est ferme , tous péné-
trez au fond ; vous êtes un tout autre homme que
votre oncle.
MORTIMER interdit.
Avez-vous montré au chevalier Paulet quel était
votre désir ?
ELISABETH.
Je le regrette , mais je l'ai fait ainsi.
MORTIMBR.
Pardonnez à ce vieillard , les ans l'ont rendu scru-
puleux. De tels coups exigent la force d'esprit de la
jeunesse.
ELISABETH Wv«»ent;
Puis*je compter sur vous ?
MORTIMER.
Je vous prêterai mon bras. Tâchez de sauver
votre renommée.
ELISABETH.
Âh ! Mortimer, si un matin vous veniez me réveil-
ler avec cette nouvelle : Marie Stuart , votre stii-
glante ennemie, cette nuit a cessé de vivre.
MORTIMER.
Comptez sur moi.
^^
246 MARIE STUART,
ELISABETH.
Et quand pourrai-je enfin reposer d'un sommeil
tranquille ?
MORTIMER.
A la prochaine lune vos craintes seront finies.
ÊX.ISABETH.
Adieu y sir Mortiner. Ne prenez aucun chagrin de
ce que ma reconnaissance sera forcée d'emprunter
le voile de la nuit. Le silence est un dieu qui pro-
tège le bonheur. Les liens les plus étroits et les plus
délicats sont ceux qui sont fondés sur le mystère.
( Elle sort. )
SCÈNE VL
MORTIMER seul.
Va, reine fausse et hypocrite ; je te trompe, comme
tu trompes le monde. C'est une chose juste, c'est
une bonne action que de te trahir. T'ai-je donc paru
ressembler à un assassin? Âs-tu donc lu sur mon
fVont la vocation du crime? Fje-toi seulement à
mon bras , et suspens tes coups; donne-toi aux yeux
du monde la pieuse et ipensongère apparence de la
clémence, tandis que tu comptes çn secret sur le
succès de mon crime; va, et pendant ce temps là
.nous gagnons des délais pour travailler à sa déli-
vrance. Tu veu^ me porter à un rang élevé. Tu
affectes de me iiiontrer dans le lointain une pré-
cieuse récompense. £t quand toi-même et tes fa-
veurs seraient Cette récompense , que possèdes-tu ,
^t que peux-tu donner? L'ambition et son vain éclat
ACTE II, SCÈNE VIL 247
ne me séduisent pas. C'-est elle seulement qui pos^
sède ce qui peut charmer la vie . Autour d'elle vol-
tigent en chœur les heureuses et éternelles divinités
de la jeunesse et de la grâce ; c'est sur son sein qu'est
le bonheur céleste , et toi , tu ne peux accorder que
des faveurs glacées. Jamais tu n'as joui du plus
grand des biens , du plus bel ornement de la vie ,
de là vraie couronne de ton sexe. Tu ignores ce que
c'est qu'un cœur à la fois entraîné et entraînant ,
qui , dans un doux oubli de lui-même , se donne à
un ^utre cœur. Jamais ton amour n'a fait le bon-
heur de personne.
Il faut que j'attende ce lord pour lui remettre la
lettre. Odieuse commission ! Mon cœur sent de l'é-
loignement pour ce courtisan. Je puis la délivrer
moi-même^ moi seul^ et retenir pour moi ledanger^
la gloire et la récompense.
( n veut sortir , et rencontre Paulet.)
SCÈNE VIL
MORTIMER, PAULET,
I
PAtJLET.
Que t'a dit la Reine?
MORTIMER.
Rien, sir Paulet, rien d'important.
P A ULET le regerde fixement et d'un cnl t^Tère.
Écoute , Mortimer, tu marches sur un chemin dan^
gereux et glissant. La faveui: des rois est attr^yaate »
!»48 MARIE STUAR/f ,
et la jennesBe est «ride At^ hùtnenri. Ne te laisse
point égarer par l'amliition.
MORTIMER.
Et n'est-ce pas vous-même qui m'avex conduit à
la cour?
PAULBT.
Je regrette de l'avoir fait. Ce n'est pa« à la cour que
l'honneur de notre maison a été gagné. Sois ferme ^
Mortimer. N'achète pas la faveur trop cher ; écoute
la voix de ta conscience.
•'MORTIMER.
Quelle est vott^ pensée ? quel soin vous agite ?
PAULET.
Quelle que soit la grandeur oh la Reine a promis
de t'élever, ne te fie point à ses flatteuses paroles.
Quand tu lui auras obéi^ elle te désavouera. Elle
voudra assurer l'honneur de son nom , et elle ven-
gera le meurtre qu'elle-même aura ordonné.
ilORflMEÏt.
Le meurtre ^ dites-vous !
PAULET.
Trêve à toute dissimulation. Je sais ce que la Reine
a exigé de toi ! Elle espère que ta jeunesse ambitieuse
sera plus complaisante que mon inflexible vieillesse.
Lui as-tu promis ? Âs-tu ....
MORTIMER.
Mon oncle....
PâULBT.
Si tu Tas fiiit, je te maudis ^ cl rejette de....
ACTE II, SCÈNE VIII. 149
L£IGEâ^ER«iitoe.
Sir Paulet^ perâiettez. J'ai un mot à dire à TOtre
neveu. La Reine est favorablement disposée pour
lui. Elle veut que la garde de lady Stuart lui soit
entièrement confiée. Elle se repose sur sa fidélité.
PAULET.
Elle s'y repose?.... bien.
LEIGESTER.
Que dites-vous, chevalier Paulet?
PAULET.
La Reine s'en repose sur lui ; et moi 1 milord , je
m'en répose sur moi-même ^ et j'ai les yeux ouverts.
(Dwrt.)
SCÈNE VIIL
LEICESTER, MORTIMER.
LËIGESTSa
Que Toalait dire le
MORTIMER.
Je l'ignore. La coofittuce inattendue que m'ac-
corde la Reine
LEI G E STSR k regnèiat •««> ptatftmiMui.
Et méritea-vous p sir Mwtinfcer, que l'on se confie
ji vous?
MORTIMER, 8ur-le-«]umag^.
Je vous ferai la même question , milord Leicester.
LEIGESTER.
Vous avez à me parler en secret.
aSo MARIE STUART,
MORTIMER.
Assurez-moi d'abord que je puis l'oser.
LEICESTER.
Et qui me donnera cette assurance pour vous?
Ne vous- offensez pas de ma méfiance. Vous tous
montrez ici sous deux faces différentes. Il en est une
qui nécessairement est fausse; mais quelle est la
véritable?
MORTIMER.
Xen puià dire autant de tous, comte de Leicester.
LEICESTER.
Lequel doit le premier abjurer la réserve?
MORTIMER.
Celui qui court le moins de danger.
LEICESTER.
Eh bien! c'est vous.
MORTIMER.
C est vous au contraire. Le témoignage d'un lord
puissant et considérable pourrait me perdre , et le
mien ne pourrait rien contre votre rang et votre fa-
veur.
LEICESTER.
Vous VOUS trompez, sir Mortimer ; en toute autre
affaire y je suis puissant ici, mais sur le point délicat
oii il faut que je me livre à votre bonne foi, je suis
dans cette cour le moindre des hommes , et le plus
méprisable témoignage pourrait me perdre.
MORTIMER.
Le tout-puissant lord Leicester s'abaisse' devant
moi, au point de me faire un tel aveu. J'ose pré«<
ACTE II, SCÈNE VIII. a5/
sumer de moi davantage , et je lui donnerai un
exemple de grandeur d'âme.
LEIGESTSR.
Montrez«-moi de la franchise , je vous imiterai*
MORTIMER, présentant avec promptitude la lettre.
La reine d'Ecosse vous envoie cette lettre.
LEICESTER effraye , saisit la lettre précipitamment.
Parlez bas^ sir Mortimer. Ah ! que vois-je? Hëlas !
c'est son portrait.
M O RT I M E R f qui pendant la lecture Ta regardé attentirement .
Milord, maintenant je me fie à vous.
LEICESTER, après avoir parcouru rapidement la lettre»
Sir Mortimer, vous savez ce que contient cette
lettre?
MORTIMER.
Je ne sais rien.
LEICESTER.
Elle vous a sans doute confie. . . .
MORTIMER.
Elle ne m'a rien confie : Vous devez , a-t-elle dit ,
m'ëclaircir cette énigme. C'est en effet une énignie
pour moi que de voir le comte de Leicester, le favori
d'Elisabeth , un des juges de Marie, et compté parmi
ses ennemis , être l'homme en qui la reine a placé
l'espoir d'une heureuse délivrance. Cependant, cela
doit être ainsi, car vos yeux expriment avec trop de
vérité ce que vous éprouvez pour elle.
LEICESTER.
Découvrez-moi d'abord comment il se fait que
âSa MARIÉ STUART,
TOUS preniez à son sort un intérêt aussi passionne ,
et comment vous avez gagne sa confiance.
ttORTIHER.
C'est ce dont je puis , milord , tous éclaircir en
peu de mots. J'ai abjuré ma croyance à Rome, et je
suis attaché aux Guises. Une lettre de rarchevéque
de Rheims m'a accrédité auprès de la reine d'Ecosse.
LEIGESTER.
Je savais votre changement de religion , et c'est
ce qui vous a acquis ma confiance. Donnez*moi la
main> pardonnez-moi mes doutes; je ne saurais
user de trop de précautions. Walshingham et Bur-
leigh me haïssent, je le sais, et me tendent des ena-
bûches secrètes. Vous pouviez être leur créature^
leur instrument , pour m'attire;r dans le piège.
MORTIMER.
Ah ! qu'un si grand seigneur marche timidement
dans cette cour! Je vous plains, conite.
LEIGESTER.
Je me jette avec joie dans le sein d'un aïni fidèle ,
et je me soulage enfin d'une longue contrainte. Vous
êtes surpris, Mortimer, que mes sentimens pour
Marie aient si rapidement changé; jamais, dans le
&it, je n'avais eu de haine pour elle. La nécessité
des temps m'avait fait son ennemi. Vous savez qu'il
y a déjà bien des années qu'elle m'avait été destinée;
avant qu'elle eût donné sa main à Darnley , lors-
qu'elle brillait encore de tout l'éclat de sa grandeur.
Je répoussai aloss firoidemeiit ce Ibonheur ^ et main*
ACTE II, SCÈNE VIII. rS^
tenant qu'elle est en prison, aux portes de la minrt ,
je cherche à l'obtenir au péril de ma Tie.
MORTIMKR.
Voilà une conduite généreuse.
LEICËSTER.
Depuis y les choses ont bien changé de face. Ce-
^tait l'ambition qui me rendait insensible à la jeu-*
nesse et à la beauté. Je ne trouvais pas alors l'hymen
de Marie assez grand pour moi ^ j'espérais posséder
la reine d'Angleterre.
MORTIMER.
On sait qu'elle tous a j^éféré au restée dea hociw
mes.
LEIGESTEK.
Cela semblait ainsi ^ sir Mortlmer; et mainte-
nant , après dix années perdues d'une infatigable
assiduité^ d'une détestable contrainte.... Âh! Mor-
timer ! il faut que je tous oi^vre mon cœur ; il faut
que je me soulage d'une longue oppression. On me
croit heureux! ah! ^ l'on garait ce que sont ces
chaînes que l'on m'envie!... Quand j'ai sacrifié à
l'idole de la vanité dix années amères et éteradles ;
quand ^ avec la complaisance d'un esclave , je me
suis soumis aux variations de ses caprices despoti-
ques ; quand j'ai été le jouet de sa bizarrerie et de
ses moindres fantaisies ; tantôt caressé par sa ten«^
dresse, tantôt repoussé avec une réserve orgueil-
leuse; également vexé par sa faveur ou *par saséW*-
ritéj gardé comme un prisonnier par l'œil perçai^t
de la jalousie; interrogé sur mes actions comme nn
154 MARIE STU ART,
enfiint; outrage comme un valet... Oh ! il n'est pas
de parole pour peindre un tel enfer !
MÔRTIMER.
Je vous plains , comte.
LEICESTËR.
Et quand je touche au but , on me ravit la rëcom**
pense. Un autre vient m'enlever les fruits d'une
constance qui m'a tant coûte; je perds des droits
établis depuis si long-temps; un époux, dans la
fleur de la jeunesse, me les enlève, il faut que je
descende de ce théâtre où si long-temps j'ai brillé le
premier. Ce n'est pas sa main seule , c'est sa faveur
que je suis menacé de voir passer à c^ nouveau
venu. Elle est femme, et il est fait pour plaire.
MORTIMER.
Il est fils de Catherine ; il à dû apprendre à une
bonne école l'art de la séduction.
LEICESTËR.
Ainsi croulent mes espérances. Dans ce naufrage
de ma fortune, je cherche une planche où me sau-
ver; et mes regards, se reportent vers de premiè-
res et belles espérances. L'image de Marie, dans
tout l'éclat de ses charmes, est venue se représenter à
moi. La jeunesse et la beauté rentrèrent alors'dans
tous leurs droits ; ce ne fut plus une froide ambition ,
c'est le cœur qui compara, et je sentis quel trésor
j'avais perdu. Je la vis avec terreur précipitée dans
l'abîme du * malheur , et précipitée par ma faute.
Alors s'éveilla en moi l'espérance de la délivrer , et
de la posséder. J'ai pu; au moyen d'une main fidèle.
ACTE II* SCÈNE VIII. :ïS5
lui rëyëler le changement de mon cœur. Cette let-
tre que TOUS m'apportez m^assure qu'elle me par-^
donne ^ et que si je la délivre^ elle se donnera à
moi pour récompense.
MORTIMER.
Vous n'avez rien fait pour la délivrer. Vous l'avez
laissé condamner, vous avez donné votre propre
voix pour sa mort! Il a fallu un miracle; il a fallu
que la lumière de la vérité touchât le neveu de son
geôlier ; il a fallu que le ciel lui préparât au Vati-
can , à Rome, un libérateur inattendu, seulement
pour qu'elle pût trouver un chemin jusqu'à vous.
LEIGESTER.
Hélas, sir Mortimer , j'en ai ressenti assez de dou-
leur. Vers ce temps-là , elle fut transférée du châ-
teau de Talbot à Fotheringay , et confiée à la surveil-
lance sévère de votre oncle. Toute voie pour arriver
à elle fut interdite. Il me fallut continuer , aux yeux
du monde, à la persécuter. Cependant ne pensez
pas que j'eusse jamais pu souffrir qu'elle allât à la
mort. J'espérais, et j'espère encore prévenir de
telles extrémités, jusqu'au moment où un moyen
s'offrira de la délivrer.
MORTIMER.
Le moyen est trouvé. Leicester, votre noble con-
fiance mérite un juste retour; je veux la délivrer,
c'est pour cela que je suis ici : les' mesures sont déjà
prises ; votre puissante assistance nous assure d'une
heureuse réussite.
256 , MARIE STUART,
LEIGESTER.
Que dites - vous ? vous m'effrayez ! Quoi ! vous
voulez....
MORTIMER.
L'arracher de vive force de sa prison. J'ai des
compagnons ; tout est prêt.
LEIGESTER.
Vous avez des confidens de votre dessein ? Mal*-
heur à moi I dans quel hasard voms m'enb^unez 1
Us savent aussi mon secret?
N*ayez point de souci ; le projet a été formé sans
vous , il sera accompli sans vous : mais elle a voulu
vous devoir sa délivrance.
LEIGESTER.
Ainsi vous pouvez m'assurer avec toute certitude
que mon nom n'a pas été prononcé dans votre com-*
juration ?
MORTIMER.
Soyez tranquille. Eh quoi , tant de scrupules in-
quiets sur une nouvelle qui vous est favorable!
Vous voulez délivrer Marie et la posséder^ vous trou-
vez tout à coup des amis sur lesquels vous ne comp-
tiez point , un moyen subit vous tombe du ciel ! ce-
pendant vous montrez plus de trouble que de joie.
LEIGESTER.
Il ne faut point de violence; une entreprise té*
mécaire est trop dangereuse.
MORTIMER.
La lenteur Test ausssi.
ACTE H, SCÈNE VIIL a57
LEIGESTER.
Je VOUS le dis, Mortimer, cela ne peut pas être
essayé.
MORTIMER, avec amertume.
Oui, par tous, qui voulez la posséder; mais
nous , qui ne voulons que la délivrer, nous n'ayops
point tant d'hésitation. ' \
LEIGESTER.
Jeune homme , vous vous montrez trop passionné
dans une affaire difficile et dangereuse.
MORTIMER.
Et VOUS trop prudent, quand il y va de l'honneur.
\ LEIGESTJSR. - , •
Je vois' les filets qui nous environnent de toutes
parts.
MORTIMER. .
Je me sens le courage de les rompre tous.
LEIGESTER.
Ce çoiu*age est un délire , une folle^ témérité. .
MORTIMER.
Cette prudence n'est pas courageuse, milord. *
LEIGESTER.
Souhaitez-vous donc de finir comme Babington ?
MORTIMER;
Et vous, vous ne voulez point imiter la grandeur
d'âme de Norfolk?
LEIGESTER.
Norfolk a-t-<il réussi à conduire Marie à l'autel ?
ToM. III. 17
aSS MARIE STUÀAT,
i
MOR^IMER.
Il a^du ^noins montre qu'il en était digne.
LEIGESTER.
Ce n'est pas en mourant que nous la sauverons.
MORTIMER.-
' Ce n'est pas en ménageant notre vie que nous la
délivrerons.
LEIGESTER.
Vous ne réflécbjl^ez ppint , vous n'écoutez point ;
votre aveuglç çt impétuieiuse vivacité va détruire
tout ce qui était en si bon chemin.
MORTIMER.
Et queVest ce si bon chemin que vous aviez tracé?
qu'avez -vous fait pour la délivrer? Eh quoi! si
j'eusse été assez misérable*. pour yaâsassiidfMr comme
la Reine me Fa ordonné ^ et comme à l'heure même
elle espère encore que je le ferais dites-moi ^ quel
moyen aviez-vous préparé pour préserver sa vie ?
LEIGESTER, surpris.
La Rieine voua â ^doni^é cet ordre sanglait?
MORTIMER.
Elle s'est i^éprise sur moi^ comme Marie s'est mé-
prise sur vous.
LEIGESTER.
Et vous avez promis^ vous avez....
MORTIMRR.
Pour qu'elle ne fit pas cboHC'dfune autre» main j'ai
offert la mienne.
LEIGESTER..
Vous avez bien fait ; ceci nous met à l'aise. Elle se
.j
ACTE II, SCÈNE \IIL aSg
repose sur votre sanglante promesse; la sentence
demeure sans exécution y et nous gagnons du temps*
BfORTIMER, avec impatience.
Nous perdons du temps.
LEICESTËR.
Comptant sur vous , elle renoncera d'autant moins
à se donner aux yeux du monde Thonneur apparent
de la clémence. ^.-^Peul'^etre poûrrai-je adroitement
lui persuader d'attàî|> une entrevue avec sa rivale ,
et alors elle aura les oUsiins liées. Bùrleigh a raison ;
la sentence ne pourra plus êti^ exécutée du moment
qu'elles se seront vues* Voilà à quoi je veux réussir^
et je disposerai tout pour cela#
MORTIMER.
Et qu'obtieudrez-vous par-là ? lorsque Voyant là
t ie de Marie se prolonger , la Reine recon naîtra qu'elle
s'est trompée sur mol , tout ne sera-t-il pas comme
auparavant ? Elle ne serait jamais libre ; et ce qui
pourrait lui arriver de plus heureux , ce serait une
éternelle captivité. Il vous faiidrait cependant finir
par une tentative hardie : pourquoi ne voulez-vous
pas commencer par-là ? Vous en avez la puissance
entre les mains ; vous pouvez rassembler une ar-
mée, ne fût-ce qu'en armant la noblesse de vos
nombreux domaines. Marie a encore beaucoup d'a-
mis secrets. Les nobles maisons des Percy et des
Howard, bien que leurs chefs aient été abattus,
sont encore riches en héros; elles attendent seule-
ment que quelque seigneur puissant leur . donne
l'exemple. Plus de dissimulation; agissez ouverte-
ment, défendez en chevalier celle que vous aimez.
26o MARIE STU ART,
Livrez un noble combat pour elle. Vous serez maître
de la personne.de la reine d'Angleterre quand vous
le voudrez; attirez-la dans un de vos châteaux :
souvent elle vous y a suivi. Là, montrez-vous homme,
parlez en maître , assurez-vous d'elle , et retenez-la
jusqu'à ce qu'elle ait délivré Marie.
LEICESTEH.
Je m'étonne et je frémis. Où vous entraîne le dé-
lire? Connaissez-vous cette contrée? savez- vous ce
que c'est que cette cour? savez-vous dans quels liens
étroits une reine sait contenir tous les esprits ? Cher-
chiez cet héroïsme qui jadis animait cette terre? il
a succombé sous le joug d'une femme. Le courage
de toutes les âmes est abattu ; suivez ma direction ,
^'entreprenez rien légèrement. J'entends venir,
sortez.
MORTIMER.
Marie espère , et je ne lui rapporterai que de
vaines consolations.
,, ' LEICESTÊR.
Rappprtez-lui le serment de mon éternel amour.
< . . ; MORTIMER;
Portez-le lui vous-même. Je veux bien servir d'in-
strument pour sa délivrance, mais non pas de mes-
sager à votre amour.
(Dsorl. )
ACTE II, SCÈNE IX. 261
SCÈNE IX.
ELISABETH, LEICESTER.
ELISABETH.
Avec qui étiez-vous? j'ai entendu parler.
LEICESTER se retourne rapidement en entendant la voix de la reine, et paratt
troublé.
C'était sir Mortimer.
ÉUSABETH.
Qu avez-vous , milord, vous êtes troublé?
LEICESTER reprend contenance.
Votre aspect.... Jamais je ne vous vis si char-
mante; j'ai demeuré ébloui de votre beauté. Hélas !
ELISABETH.
Pourquoi soupirer?
LEICESTER.
Et n'ai-je pas sujet de soupirer? lorsque je con-
temple vos attraits , je renouvelle l'idée de la perte
qui me menace , et j'accrois une douleur si amère !
ELISABETH.
Que perdez-vous ?
V
LEICESTER.
Je perds votre cœur ; je vous perds , vous qui êtes
si adorable : bientôt vous trouverez le bonheur dans
les bras d'un jeune et ardent époux ^ et il possédera
votre cœur sans partage. Il est d'un sang royal ^ et
je n ai point cet honneur; mais je défie le monde en-
a62 MARIE STUART,
tier d'offrir un seul homme qui ressente pour vous
une adoration plus vive que la mienne. Le duc
d'Anjou ne vous a jamais vue , il ne peut aimer que
votre gloire et votre splendeur ; moi , c'est vous que
j'aime. Vous seriez la plus pauvre bergère , et moi le
plus grand prince de la terre^ que je m'empresserais
de descendre de mon rang pour mettre mon dia-
dème à vos pieds.
ÉLISA-SETH.
Plaignez moi ^ Dudley^ ne me reprochez rien. Je
n'ose interroger mon cœur. Hélas! il eût fait un
autre choix. Ah ! combien j'envie les autres femmes ,
qui peuvent à leur gré élever l'objet de leur amour.
Je n'ai pas eu assez de bonheur pour pouvoir placer
la couronne sur le front de l'homme que je préfère
à tous les autres. Il a été accordé à Marie Stuart de
donner sa maiq d'après ses penchans ; elle s'est tout
permis , elle s'est enivrée dans la coupe de tous les
plaisirs.
LEICESTER.
Et y maintenant , elle épuise le calice amer de la
douleur.
ELISABETH.
Elle \ n'a jamais respecté en rien l'opinion des
hommes; elle a vécu légèrement^ jamais elle ne
s'est imposé le joug auquel je me soumets. Je pou-
vais bien aussi prétendre au droit de jouir de la vie,
de respirer librement ; înais j'ai préféré les devoirs
sévères de la royauté. Et pourtant elle s'est concilié
la faveur de lous les hommes ; elle ne s'est point
efforcée d'être plus qu'une femme, et la jeunesse et
la vieillesse l'entourent de leurs hommages. Ainsi
ACTE II, SCÈNE ÎX. a63
sont les hommes. Le "plaisir les attire tous. Ils s'em-
pressent vers la firivolité et k volupté, et iie cott-
naissent point le prix de ce tgti'ïls devratent rè&pec^
ter. Ce Talfcol lui-^néttte hé semblait-il pas ste
rajeuïiir, en paï*lant de ses attraits.
LEÏGESTÊR.
Excusez-le : il a été son gardien , et par d'àdroitës
flatteries elle a égaré son esprit.
ELISABETH.
Est-il vrai en effet qu'elle soit si belle? Si souvent
j'ai entendu célébrer sa figure , que je voudrais sa-
voir ce qu'on en doit penser. Les peintures sont
flatteuses, les récits mensongers ; je ne m'en rappor-
terais qu'au jugement de mes propres yeux. Mais
pourquoi me regardez-vous ainsi?
LEICESTER.
Je vous place dans ma pensée à côté de Marie.
Je. désirerais, je ne m'en cache pas, avoir le plaisir,
si cela pouvait se faire secrètement , de vous voir
en regard de Marie. Alors, pour la première fois^
vous jouiriez de tout votre triomphe; je me rqoui- '
rais de contempler son humiliation , lorsque par ses
propres yeux, car l'envie a les yeux pénétrans, elle
se verrait convaincue que vous l'emportez sur elle
par la noblesse de vos traits, aussi-bien que par
toutes les vertus de l'âme.
ELISABETH.
Elle est plus jeune.
LEÏCESTER.
Plus jeune! à la voir on ne le croirait pas. Sesu
264 MARIE STUART,
douleurs, il est vrai, ont pu la vieillir ayant le
temps. Ce qui rendrait son chagrin plus amer, ce
serait de Toir en vous une nouvelle fiancée. Les
belles espérances de la vie sont maintenant loin
derrière elle , et elle vous verrait au contraire mar-
cher vers le bonheur ; elle , qui jadis se prévalait
et se montrait si orgueilleuse de lalliance de la
France, dont elle implore encore maintenant l'ap-
pui , elle vous verrait fiancée avec un royal fils de la
France.
*
ELIS AB ET H , avec ahandon el négligence.
On me persécute pour que je la voie.
^ LEICESTER, vivement.
Elle le demande comme une faveur , accordez-le
comme une punition. Vous l'enverriez sur un san-
glant échafaud , qu'elle en souffrirait moins que de
se voir effacer par vos attraits. Par-là vous lui don-
nerez le coup mortel, comme elle voulut vous le don-
ner. Quand elle apercevra votre beauté , conservée
par la sagesse , illustrée par une gloire vertueuse et
sans tache que dans ses ardeurs frivoles elle a dé-
daignée, rehaussée de l'éclat d'une couronne, et
maintenant ornée de l'aimable parure d'une fiancée;
ah ! c'est alors que l'heure de sa ruine aura sonné !
Oui, quand je jette lés yeux sur vous , il me semble
que jamais vous n'avez eu autant d'avantage pour
disputer le prix de la beauté. Quand vous êtes en-
trée, j'ai été frappé de l'éclat de vos charmes. Pour-
quoi , telle que vous voici , telle que vous êtes main-
tenant, ne pouvez-vous vous montrer à elle; vous
ne trouverez jamais une heiire plus favorable.
ACTE II, SCÈNE IX. 265
ELISABETH.
Maintenant. Non , non y Leicester, non pas main-
tenant. Il faut que je réfléchisse , et qu'avec Bur-
leigh
LEIGESTER, vivement.
Burleigh. Il ne pense qu'au bien de votre royaume.
Mais comme femme 9 vous avez aussi d'autres droits^
et ce point délicat doit être réglé par vous, et
non par un homme d'état. Hé, la politique ne con-
seille-t-elle pas ^ussi de voir Marie , et de se con-
cilier l'opinion publique par une démarche géné-
reuse ? vous pourrez après vous délivrer d'une
ennemie détestée de la manière qui vous conviendra.
ELISABETH..
Il né serait pas convenable que je visâe ma parente
dans le dénûment et l'humiliation. On dit qu'elle
n'est environnée d'aucun éclat royal j et l'aspect de
ce dénûment serait un reproche pour moi.
LEICESTER.
Il est inutile que vous approchiez de sa demeure.
Écoutez mon conseil. L'occasion est telle qu'on la
peut souhaiter. On fait aujourd'hui une grande
chasse , elle vous conduira devant Fotheringay,
Marie sera dans le parc , vous 'entrerez comme par
hasard. Il faut que rien ne semble préparé d'avance.
S'il ne vous convient pas de lui parler, vous pourrez
ne pas lui adresser la parole.
ELISABETH.
Si ce que je fais n'est point raisonnable , la faute
en est à vous, Leicester, et non à moi. Je veux au-
^^■■di^d
2i66 MARIE STUART,
jourd'hui ne tous rien refuser^ car tous êtes, de tous
mes sujets^ celui que j'ai le plus affligé. (Elle le
regarde tendrement. ) Et quand ce ne serait qu'une
fantaisie de vous... c'est une preuve d'affection que
d'accorder de son plein gré ce qu'on n'approuve pas.
(LtîovUr M jette h fenonx defint bUi. La Coile t0mbh. )
FIN DU DEUXIÈME ACTE.
ACTE m, SCÈNE 1. sôj
9W¥M^m*^nn>9itt*fvvw n mnivvyt^m^nivM/^m%%m»nnitnm%* M 0%.'tmk*mtm*f%nfV^%^n^tn%M*ww^^/*^'tn%%i%^
ACTE TROISIEME.
La scène représente un paysage dans un parc ; des arbres sont
sur le devant ; au fond , une perspective lointaine.
SCÈNE PREMIÈRE.
MARIE marche d'un pas rapide à travers les aï'bres ,
KENNEDY la suit plus lentement.
KENNEDI*
Il semble que vous ayez des ailes ; vous marcher
dun pas si rapide^ que je ne puis vous suivre.
Attendez-moi.
MARIE.
Ah! laisse-moi jouir du plaisir nouveau de la
liberté. Laisse-m'en jouir comme un enfant , imite-
moi. Laisse-moi sur le vert gazon de la prairie
courir, voler d'un pas précipité. Suis-je en effet sortie
de mon obséur cachot? Ce triste tombeau ne me
tient-il plus renfermée. Laisse-moi m'abreuver à
longs traits dans la libre atmosphère des cieux.
KEKNEDI.
ma chère maîtresse, votre prison est seulement
un peu moins resserrée. — Vous ne voyeaj pas les
murs qui nous renferment , parce que l'épais feuil-
lage des arbres les cache à vos yeux.
a68 MARIE STUART,
MARIE.
Eh bien ! grâces , grâces soient rendues à la ver-
dure de ces arbres bjlenfaisans qui cachent les murs ^
de ma prison. Je veux rêver que je suis libre et heu-
reuse. Pourquoi me tirer de ma douce illusion? Ne
suis-je pas sous la vaste voûte des cieux? Les re-
gards libres et sans obstacles s'étendent sur un espace
sans bornes. Là^ où s'élèvent ces antiques montagnes
nuageuses, commence la frontière de mon royaume;
et ces nuages qui courent vers le midi , ils vont cher-
cher l'Océan et la France.
Nuages rapides dont le ventsemble enfler les voiles,
ah ! qui pourrait voyager, voguer avec vous! Saluez
pour moi la terre de ma jeunesse. Je suis prisonnière,
je suis dans les fers, hélas! je n'ai point d'autres
ambassadeurs; vous traversez librement les airs,
vous n'êtes point soumis au pouvoir de cette reine.
KENNEDI.
Helas! ma chère maîtresse, vous êtes hors de
vous; ce retour à la liberté, qui vous fut si long-
temps ravie, vous égare.
MARIE.
Là un pêcheur conduit sa barque. Ce misérable
esquif pourrait servir à ma délivrance , et ihe trans-
porter rapidement dans quelque ville amie. Il sert à
procurer Une subsistance modique à ce malheureux.
Ah ! s'il me prenait dans son canot , je le chargerais de
trésors. Jamais il n'aurait fait une aussi bonne jour-
née ; il devrait à ses filets le bonheur du reste de sa vie.
KENNEDI.
Inutiles souhaits. Et ne voyez-vous pas que des
ACtE III^ SCÈNE I. 269
espions surveillent de loin tous nos pas. De sinistres
et cruels ordres écartent de nous toute créature
compatissante.
MARIE.
Non , chère Anna , crois-moi, ce n'est pas en vain
que la porte de ma prison s'est ouverte. Cette faveur
légère présage un bonheur plus grand. Je ne me
trompe pas. C'est la main empressée de l'amour à
qui j'en dois rendre grâce. Je reconnais ici la puis-
sante protection de lord Leicester j ma captivité de-
viendra de moins en moins étroite. Par un peu de
liberté , on m'accoutumera à une liberté plus grande,
jusqu'à ce qu'enfin je puisse voir celui qui doit
rompre mes chaînas pour toujours.
KENNEDI.
Hélas! je ne puis m'expliquer cette contradiction.
Hier encore on vous annonça la mort, et aujourd'hui,
tout à coup, une telle liberté ! J'ai entendu dire qu'on
ôtait les chaînes à ceux qui attendent l'éternelle dé^
livrance.
MARIE.
Entends-tu les sons de la trompe? Entends-tu
retentir ces cris à travers la forêt et les campagnes?
Que ne puis-je m'élancer sur un clieval rapide parmi
cette troupe joyeuse! Ah! ces sons me rappellent
des souvenirs à la fois douloureux et doux ; souvent
ils frappèrent mon oreille, quand la chasse bruyante
iretentissait sur les bruyères élevées des montagnes.
^lo MARIE STUART,
SCÈNE IL
Les précédens; PAULET.
PAULET.
Hé bien ^ madame^ êtes-vous enfin contente de
moi! Ai-je une fois mérité YOtre reconnaissance?
MARIE.
Quoi ^ eheTulier^ sejrait-^e t(hi9 qui m'^uriei; <^
tenu cette faveur? Swait-^e tous?
PAtJLÇT,
Pourquoi ne serait«<-ce pas moi? Je suis allé à la
cour^ et j'ai remis votre lettre.
MARIfi.
Vous Favez remise? Réellement vous Fauriez fait
liinsi? Et eette liberté dont je jouis maintenant est
un fruit de ma lettre ?
PAULET.
Et ce ne sera pas le seul ; préparez-vous, à en re-
cueillir un plus grand'
i
MARXE.
U^ plus grand 9 sir Paulet! que voulez-vous diire?
PAULET.
Vous entendez les sons du cor.
MARIE recule avec preMentimant *'
Vous m'effrayez.
PAULET.
La Reine chasse près de ce lieu.
ACTE III, SCÈNE II. 271
MARIE.
Eh bien !
PAULET.
Dans peu d'instans^ elle paraîtra devant vous.
KENNEDI courant vers Marie, qui, toute tremblante, semble prête i s^vanouir.
iju'avez-vous , ma chère maîtresse ? Vous pâlissez.
PAULET.
Eh, quoi! ai-je doue eu tort? N'était-ce pas votre
désir? il a; été satisfait plujs tôt que vous ne le pensiez.
Yous^ dont la bouche s'exprime si facilement^ c'est
maintenant que les discours sont de saison^ c'est
mainten^Uft ^VU convient de parler.
MARIE.
Ah ! pourquoi ne m'a-t-on pas préparée! xnain-
tenahty je sui$ mal rassurée , je ne suis point dispo-
sée. Ce que j*ai sollicité comme une suprême faveur
me semble maintenant effrayant et terrible. Viens,
Aiîna, reconduis-moi que je reprenne des forces et
de l'assurance.
PAULET.
' Demeurez; il faut l'attendre ici. Je conçois bien
que vous ressentiez quelque angoisse de paraître
ainsi devant votre juge.
272 MARIE STUAAf,
SCÈNE m.
« r-
Les précédèns; TALBOT.
MARIE.
Ah! ce n'est pas là ce qui m agile. Dieu! j'ai un
tout autre souci. Hëlas! noble Schrewsbury, vous
venez à moi comme an ange envoyé du cieL Je ne
puis la voir, délivrez-moi, délivrez-moi de son
odieuse vue.
TALBOT.
Revenez à vous , reine j rappelez votre courage >
voici l'heure décisive.
MARIE.
Je l'ai attendue long-temps. Depuis bien des an-
nées, je m'y suis préparée; je me suis dit souvent,
et j'ai gravé dans ma pensée, comment je voulais la
toucher et l'émouvoir. Tout est oublié, tout est effacé
soudainement , et en ce moment je ne retrouve en
moi d'autre sentiment que le souvenir cuisant de ce
que j'ai souffert. Tout mon cœur se soulève d'une
haine sanglante contre lelle. Toutes mes bonnes pen-
sées m'échappent , et il semble que les sinistres fu-
ries m'entourent en secouant leurs serpens.
TALBOT.
Commandez à cet epiportement farouche et fu-
rieux. Renfermez l'amertume de votre cœur; le
combat de la haine contre la haine ne peut produire
rien de bon. Quelque révolte intérieure que vous
éprouviez , obéissez à la nécessité des circonstances ;
elle est la plus forte. Humiliez-vous.
ACTE III, SCÈNE III. 273
MARIE.
Devant elle? non , jamais.
TA L BOT.
Il le faut cependant. Parlez avec respect, avec
résignation : appelez-en à sa générosité , ne la bra-
vez pas. Il ne s'agit pas maintenant de vos droits,
ce n'est pas le moment.
MARIE.
Ah ! c'est l'arrêt de ma perte que j'ai sollicité , et
ma prière a été exaucée pour mon malheur. Nous
n'aurions dû jamais nous voir, jamais ; rien, rien de
bon n'en saurait advenir : le feu et l'eau s'accorderaient
plutôt ensemble , l'agneau jouerait plutôt avec le
tigre. Je suis trop profondément blessée; j'ai trop
souffert par elle : jamais, jamais il n'y aura de par-
don entre nous.
TALBOT.
Voyez-la seulement d'abord. J'aî aperçu quelle
était émue par votre lettre , ses yeux ont versé des
larmes ; non , elle n'est pas insensible : prenez une
meilleure confiance. C'est pour cela que je me suis
hâté au-devant d'elle pour vous donner de l'assu-
rance et vous avertir.
MARIE, lui prenant la main.
Hélas ! Talbot , vous avez toujours été mon ami ;
que ne suis-je demeurée sous votre garde bienfai-
sante ! On m'a traitée bien durement, Schrewsbury .
TALBOT.
Oubliez tout en ce moment ; pensez seulement
avec combien de soumission vous devez l'abordei .
TOM. III. lâ
274 MAaiE STOART,
MAEIE.
Burleigh mon mauvais génie est-il aussi avec elle?
TALBOT.
Elle n'-est*ccwnpagnée que du^omie de Leicester.
Lord Leicesterl
TALBOT.
Ne craignez rien de lui , il ne veut point votre
perte; et si la Reine a consenti à cette entrevue,
<;'est son ouvrage.
MARIE.
Ah ! je le savais bien.
Que dites-vous ?
PAULET.
Voici la Reine !
(Tous se retirent. Marie demeure seule appuyée sur Kennedi.)
SCÈNE IV.
Les précédens; ELISABETH, le comte de LEI-
CESTER. Suite.
ELISABETH, iLeicesUr.
Comment se nomme ce lieu?
LEICESTEK.
Le château de Fotheringay.
ELISABETH, A TaUwt.
Que ma suite parte ^ et me devance à Londres. Le
peuple se porte avec trop d'empressement. sur ma
ACTE III, SCÈNE IV. 175
route, cherchons le repos dans ce parc solitaire.
( Talhotfait éloigner la suite; elle adresse la parvle
àPaulet, et pendant ce temps-là ellejixe les jeux
sur Marie. ) L amour de mon bon peuple est trop
TÎf ; il témoigne sa joie d une manière démesurée et
idolâtre : c'est ainsi qu'on honore Dieu et non pas
les hommes.
MAKIE, qui pendant^ ce temps là ëtait appnyée A demi évanouie sur m nourrice, •»
relève, et ses regards rencpotrent le regard fixe d'Elisabeth; elle tressaille ëpouvantëe,
•t M rejette sur le sein d'Anna.
Dieu ! l'expression de ces traits n'annonce point
de cœur.
ELISABETH.
Quelle est cette dame?
( Tout le monde garde le silence. )
LEICESTER.
Vous êtes à Fotheringay, reine.
ELISABETH se montre surprise et irritée. Elle lance un regard sinistre sar LeÀcester.
Qui a disposé cela , lord Leicester ?
- , LEICESTER.
La chose est faite y reine ; et puisque le ciel a di-
rigé ici vos pas y laissez triompher la générosité et
la miséricorde.
TALBOT.
Laissez-Yous fléchir, reine; tournez vos regards
sur cette infortunée , qui s'évanouit à votre aspect.
(Marie rassemble ses forces ponr marcher vers Elisabeth. Elle s'arrête toute tremblante
i moitié du chemin. L'expression de les traits laisse voir on combat TÎoIeat. )
ELISABETH.
Eh qUôil milords, qui m'avait donc annoncé une
profonde soumission? je vois uhe orgueilleuse que
le malheur n'a nullement fléchie.
■
276 MARIE STUART,
MARIE.
I
Eh bien , soit ; je vais encore m'abaisser devant
elle. Fuis, vain orgueil d'une âmefière; je veux ou-
blier qui je suis et ce que j'ai souffert, et me pro-
sterner devant celle qui me plonge dans cet oppro-
bre ! ( Elle se tourne s^ers la reine. ) Le ciel a pro-
noncé pour vous, ma sœur; votre heureuse tête a
étë couronnée par la victoire : j'adore la Divinité
qui fait votre grandeur; ( Elle met le genou en terre
devant la mné;) Cependant, soyez maintenant géné-
reuse , ma sœur : ne me laissez pas dans l'humilia-
tion ^ tendez-moi votre main , et montrez-vous reine
en me relevant de cette chu|;e profonde.
ELISABETH s« retirant.
Vous êtes à votre place, lady Marie; et je remer-
cie la bonté de Dieu , qui n'a pas voulu que je fusse
contrainte d'être à vos pieds comme maintenant
vous êtes aux miens.
MARIE, aTec une émotion croissante.
Songez à la vicissitude des choses humaines. Il y a
un Dieu qui punit l'arrogance; honorez-le, redou-
tez-le, ce Dieu qui me précipite à vos pieds, devant ces
témoins qui nous entourent : honorez-vous vous-
même en moi; ne profanez pas, n'outragez pas le
. sang des Tudor, qui coule dans mes veines comme
dans les vôtres. Dieu du ciel ! ne soyez pas ainsi
âpre et inaccessible , telle que ces roches escarpées
que le malheureux naufragé s'efforce vâjineistent de
saisir et d'embrasser! Tout mon être, ma vie, mon
sçrt dépend en ce moment du pouvoir de mes pa-
ACTE III, SCÈNE IV. 277
rôles y de ,me&, larmes;, soulagez mon cœur^ ^^ j^
puisse , toucher le vôtre : tant que vous jetterez sur
moi ce regard glacé , mon cœur sera tremblant et
resserré, mes larmes. ne pourront . couler, et une
froide horreur tiendra mes supplications enchaînées
dans mon sein.
«
ELISABETH, arec froideur et s^vëritë.
Qu'avez-vous à me dire, lady Stuart?'vous avez
voulu me parler ? J'oublie que je suis reine, que je
suis cruellement offensée , pour remplir le pieux
devoir d'une sœur, et vous accorder la consolation
de me voir : je cède aux inspirations de la généro-
sité, et je m'expose à un juste blâme pour m'être
tant abaissée... car vous savez qu'il n'a pas dépendu
de vous que je périsse.
MARIE.
Par oii dois-je com^mencer, et comment pourrairje
parler avec assez de prudence pour vous toucher le
cœur et ne point vous offenser? mon Dieu, donne
de la force à mon discours , émousse tous les traits
qui pourraient blesser. Je ne puis dépendant parler
pour moi sans me plaindre amèrement de vous., et
c'est ce que je ne voudrais point faire. Vous en avez
agi injustement envers moi ; je suis reine comme
vous, et vous m'avez retenue prisonnière ; je suis ve-
nue à vous comme une suppliante; et vous, mépri-
saut en moi les saintes lois de l'hospitalité et les droits
sacrés des nations, vous m'avez enfermée dans tés
murs d'un cachot ;. mes amis, mes serviteurs ont été
cruellement; séparés; de moi ; j'ai été laissée en proie à
un indigne denùment. On m'a traduite devant un
I
/
â^S MAEÏE STUART,
injurieux tribunal... N'en parlons plu& j qné oe que
j'ai souffert soit plongé dans un éternel oubli :
voyeai , je veux tout attribuer à la destinée. Vous
n'ê^s pas coupable , je ne suis poiaft coupable non
plus : un mauvais esprit sorti de l'abîme est venu al-
lumer cette haine qui nous a divisées dè^notre tendre
jeunesse ; elle a crû avec nous } des hommes me-
chans ont attisé et soufflé cette malheureuse ttamme ;
des enthousiastes insensés ont armé du glaive et du
5)oignard des mains dont on n'avait pas invoque
e secours. Tel est le déplorable sort des rois; dès
qu'ils sont divisés , leur hai w p^J^ts^e 1? nionde , et
toutes les furies de la discorde sont déchaînées-
liïaintenant il n'y a plus entre nous auCuu tiers
étranger. ( Elle se rapproche (Telle avec cor^nce ,
et parle d'un ton caressant.) Nous sommes près l'une
de l'autre; maintenant parlez, ma sœur; dites-moi
mes torts , je veux vous donneb' une pleine satlsfac-
tfem» Hâas ! que ne m'avez-vous plus tôt accordé de
m!eiitendre, quand je demandais si instamment à
paraître devant vous j les choses ne seraient pas allées
si loin , et maintenant nous n'aurtons pas cette triste
ffitrevue dans ce lieu cruel et déplorable.
ÉlUSABETH.
Ma bonne.éloile m'a préservée de réchauffer un
serpent da«^ mon* sein ; n'accusex pas la destinée,
rnai^ la noirceur 4^ votre âme et l'ambition féroce
de votre maisoa. Rien d'hostile n'avait encore
éclaté entre nous, quand vota^ ondle^ ce prêtre or-*
gueiUeux et avide de domination , qui , d'une mai»
audacieuse, attente à toutes les couroiioa^K™*^^^
ACTE ni, SCÈlïE IV. «79
d^ra inimftiié , et iroug pefr^Uadà foUeni^m de prei^
dre tnes ai^méi» ^ de Totis^ »ltrilmeF mon titre royal ,
et d'engager avec moi un e^mfiat à la vie et k là
mort ; que n'a-t-il pad etcité CMiftre moi? La langne^
des prêtres , les glaives des peuples^ et les redouta-
bles armes des pieux insensés ; ici même y au milieu
du séjour paisible de mon royaume > il a souf&ë le
feu de la sédition. Cependan^t Dieu est pour moi ,. et
cet orgueilleux prêtre n^a pas eu la idctoire : ma
tête fut menacée du coup fatal ^ et c'est la vôtre qui
tombe.
M A AIE..
Je sais dans la mam de Dieu f vous n'abuserez pas
de votre {Puissance avec tant de cruauté. ^
ELISABETH.
Qui peut m'en empêcher ? Votre oncle a enseigné
par son . exemple à tous les rois de la terre quelle
paix ils doivent faire avec leurs ennemïs. Que la
Saint-Barthélemi me serve de leçon I Que me- sont
les liens du sang, les droits des peuples? l'église ne^
rompt-elle pas le lien de tous les devoirs ^ ne con-
sacre-t-elle pas le parjure > le ré^cide? Je pratique
seulement ce que vos prêtres enseignent. Dites,,
quel gage pourrait m'assurer contre vous^ si ma
générosité détachait vos fers ? quels liens pourraient
me garantir votre sincérité ,, s il n'en est point que
lés clefs de saint Pierre ne puissent délier ? la vio-
lence seule fait ma sûreté : point d'alliance avec une
race de serpens.
MABIE.
que ces soupçons sont cruels et sinistres ! Vous
m'avez toujours regardée comme une ennemie et
28o MARIE STUART,
une étrangère. Si vaus m'aviez déclarée votre héri-
tière , suivant le$ droits de ma' naissaoce> vous
auriez eu de moi reconnaissance et amour , et vous
auriez trouvé une fidèle amie et une sœur.
ELISABETH.
Lady Stuart , vos amis sont des étrangers ; votre
famille ce sont les papistes ; vos frères ce sont les
prêtres. Vous déclarer mon héritière, vous! Piège
perfide ! Afin que dès mon vivant vous égariez mon
peuple, afin qu'artificieuse Armide vous enlaciez
adroitement dans vos filets séducteurs la noble jeu-
nesse de mon royaume , afin que tous les regards se
tournent vers l'aurore d'un nouveau règne et que
moi...
MARIE.
Gouvernez en paix ; j'abjure toute prétention à
ce royaume. Hélas ! l'essor de mon âme est abattu ,
la grandeur ne m'attire plus ; vous avez réussi , je
ne suis plus que l'ombre de Marie ; la fierté de mon
courage a été brisée par les longs outrages de la
captivité , vous m'avez réduite aux dernières extré-
mités , vous m'avez flétrie dans ma fleur : mainte-
nant, finissez, ma sœur, prononcez cette parole
pour laquelle vous êtes ici, car je ne puis croire que
vous soyez venue pour insulter cruellenient yotre
victime. Prononcez cette parole ; dites-moi : h Soyez
» libre , Marie , vous avez éprouvé ma puissance ,
» maintenant apprenez à honorer ma générosité. «
Dites cela et je recevrai ma liberté, ma vie, comme
un présent de votre main ; un mot efiacera tout le
passé, je l'attends. Ah ! ne me le laissez pas trop long-*
ACTE III, SCÈNE IV,. 281
temps attendre ; malheur à vous si vous ne finissez
point par cette parole ! car si yous ne vous séparez
pas de moi comme une divinité souveraine et bien-
faisante j, ma sœur ,' je ne voudrais pas pour tout
ce riche royaume , pour tous les pays gu environne
la mer , paraître à vos yeux telle que vous paraissez
aux miens.
ELISABETH.
Vous reconnaissez-voiis enfin vaincue? êtes-vous
à bout de vos complots ? n'y a-t-il plus aucun meur-
trier en route? n'est-il aucun aventurier qui ose
encore se faire votre malheureux chevalier? C'en
est fait, lady Marie, vous n'en abuserez plus aucun ;
le monde a d'autre^ soins. Aucun ne cherchera plus
à devenir votre... quatrième mari, car vous donnez
la mort à vos amans comme,à.vQS époux.
MARIE, «eocmtenant.
Ma soeur , ma sœur ! mon Dieu , mçn Dieu !
donne-mot de la modération.
ELISABETH la regarde long-temps avec un orgueilleux dédain.
Lord Léicester , ce sont donc là les attraits qu'au-
cun homme ne regarda jamais impunément , dont
aucune femme n'osa braver la comparaison? Certes
cette renommée fut acquise à bon marché. Il est
facile de paraître belle aux yeux de tous , quand on
veut bien appartenir à tous.
MARIE.
C'en est trop.
, ELISABETH, souriant avec raillerie. y
Maintenant vous montrez votre véritable visage ;
jusqu'ici nous n'avions vu que le masque.
zSa MARIE STUàRT,
MARIE, «èflaiilmëé de colère , mois c^jpeûêttA atf^e uim'ftbtle dignité.
«Tai pu faire des fautes ; la jeunesse y la fragilité
humaine^ la puissance^ ont pu m'égarer; mais je ne
me sui^ pdint cachée dans Fombre; j^al dédaigné
avec une flcsrté ï*«yale dés âpjparcnces hypocrites;
mes plus grandes fautes^ le monde ne les ignore
pas^ et je puis me dire meilleure que ma renommée.
Malheur à vous i si on vient à arracher ce manteau
de l'honneur^ cjuq votre dissimulation a jeté sur
l'ardeur effrénée de vos désordres secrets ; vous avez
dû hériter des vertus de votre mère ; on sait assez
pour ç|[uelle cause Anne de Bouîen monta sur Técha-
faud.
TA L BOT s'avance entre lès deux reines.
Dieu du eîeH cela devait-îl erï venir là? Est-ce-
là de rhumilité, dé la'^modératrôn , lady Marte?
De la modéi*ation ! Jar supporte tout ce <juî peut
être humainement supporté. Loin de m6î cette rési-
gnation au ccBttr d'agneau j reprends ton vol vers le
ciely. douljfmreuse pfttienee ; que la colère loiig-4emps
retenue rompe en&i sesilienë et sorte de sa retraite;
et toi qui donnas au basilier irrité un regard mort^,
fais que mes paroles làneéntb dea tr^^tfi emfMSowaés^
TAL»OT.
. Oh ! elle est hors d'elte-ttïéîné , pàtàont^ëÈ k sàtt
emportement; elle a été cruellement excitée.
( Elisabeth , muette de colère , lance des regards filrîeùx i Marié. )
LEIGESTER, dans uûé agitation extrême, ttclie f éloigner Elisabeth.
N'écouf ez point ses fureurs j qtiittei , qtiittei ce
déplorable lieu.
ACTE III, SCÈNE V. !i83
*AKlfe. •-
Le trône d'Angleterre est prôfanl^ pkt le fruit de
l'adultère ; le noble peuple de l'Angleterre est abusé
par une artificieuse hypocrite. Si le sort eût suivi la
justice^ vous sériée maintenant dans la poussière
devant moi, car je suis votre reine.
(ElÎMbeth s'âoi^ne rafidtHifi^; 1«>1#^4M*^ suiwtaBti «toMiilrfnt li||us grand trouMe.)
■ SCÈHÉ V.
MÂRŒ, KENNEDL
9
KENJ7EDI.
Ah ! qu'avez^voi^ fait? Elle part furie«bs^ i Dftfan^
^n^nt c'en est fait^ toute espérance a'éy,a^ov^t 4
• Elle part furieux , el ehiporle lé trait fnoHi&l é^hi
s&ntœav.'(Sê jetant dnns lès brti$ iffuéhnà.) Ah\
qudi]^ doiicemr^ Annal Ënfki) enfin^ àpi^slaM d'â^"-
nées d'abaissement et de souffrance , un instant de
vengeance et. d^ trîonaphe ! De qwl énor^ie p^ids
moa cœur h été soula|;jé<! J'aipor,té 1? pi^îgP^vd 4wA
le sein de mon ennemie.
KENNEDI.
Ah! malheureuse^ quel transpoiit Vpijs égarfi^
Vous avez blessé Fimplacable; elle tient la .foudtf;eji
elle est reine. Vous Tavez outragée aux yeux de son
amant.
* ' • . . ■ ■ '
Je l'ai hwailm d;evant Leice»tan Jq Ite Vêjfalâ ^ sqA
a84 MARIE STUART,
maintien attestait mon triomphe. Quand j'abaissais
l'orgueilleuse , il était là , sa présence me donnait
des forces.
SCÈNE VL
Les précédens , MORTIMER.
KEIÏNEDI.
Ah ! sir Mortimer , quel dénomment !
MORTIMER.
JTai tout entendu. ( Il fait signe à la nourrice de
se placer en sentinelle et il s^ approche ; toute sa con-
tenance exprime une disposition çiolente et passion-
née. ) Vous avez vaincu j vous l'avez foulée dans la
poussière. C'était vous qui étiez la reine, et elle la
coupable. Votre courage m'a transporté d'admira-
tion. Je vous adore comme une divinité » et vous
me paraissez grande et souveraine en cet instant.
Marie.
Avez-vous parlé à Leicester ? lui avez-vous remis
ma lettre et mon portrait V Parlez, sir Moi^timer.
MORTIMER, la regardant d'un œil eoflâmmtf.
Ah ! de quel éclat vous embellissait cette royale
indignation ! Que vos attraits brillaient à mes yeux !
Nulle femme sur la terre n'est aussi belle.
MARIE.
Je vous en conjure, calmez mon impatience. Qua
dit milord? Ah ! dites, que puis-je espérer ?
ACTE III, SCÈNE YI. a85
MORTIMER.
Qui , lui? C'est un lâche , un misérable.^espérez
rien de lui, méprisez-le, oubliez-le.
MARIE.
Que dites-vous?
MORTIMER.
Lui , vous délivrer et vous posséder I Lui , qu'il
Fose seulement ! lui, il faudrait qu'il combattit avec
moi à la vie ou à la mort.
MARIE.
N^auriez-vous point remis ma lettre ? Ah ! c'en
est donc fait !
MORTIMER.
Le lâche aime la vie. Celui qui veut vous délivrer
et vous obtenir , celui-là doit sans hésiter se dévouer
à la mort.
MARIE.
Il ne veut rien faire pour moi.
MORTIMER.
Ne parlons plus de lui. Que peut-il faire? Qu'a-t-
on besoin de lui? Je vous délivrerai moi seul.
MARIE.
Hélas ! que pouvez-vous ?
MORTIMER.
Ne vous abusez plus , comme hier encore vous le
faisiez. De la manière dont la Reine vous a quittée ,
et dont cette entrevue s'est terminée , tout est perdu ;
il ne reste aucun moyen de grâce. Maintenant il
faut agir, et l'audace doit en décider. Il faut ris-
quer tout , pour tout obtenir ; il faut que vous soyez
libre demain avant que le jour paraisse.
2B6 MARIE 8TUART»
MAKIE.
Que dites-vous? Celte nuit! Comment serait-il
possible ?
MOKTIMER.
Écoutez ce qui est résolu» Xai rassemblé mes
compagnons dans une secrète chapelle. Un prêtre
a entendu notre isonfessionj il nous a absous de
toutes les fautes que nous avons commises , et nous
a donné aussi labsolution de toutes celles que nous
Sourrions encore commettre. Nous avons reçu les
erniers sacremens , et nous sommes prêts pour le
dernier, pour l'éternel voyage.
MARIE.
> Ab ! queU terribles apprêts!
MORTIMER.
Nous pénétrerons cette nuit dans le diâteau } les
clefs sont en mon pouvoir ; nous tuerons les gar-
diens, et nous vous arracherons de votre prison. Et,
pour qu'il ne reste person^e qui puisse avertir de
cet enlèvement , nous n'épargnerons pas une créa-
ture vivante. Tous périront d'une mort violente.
MARIE.
. Mais Drury , mais Paulet , mes gardiens ? Us ve]>
seront plutôt la dernière goutte de leur sang.
MORTIMER.
Ils tomberont les premiers sous mes coups.
MARIB.
Quoi ! votre oncle , votre second père ?
ACTE m, SCÈNE VI. 287
MORTIMER.
Il périra de ma main. Je lui donnerai la mort.
MARIE.
crime sanglant !
MORTIMER.
Je suis absous de tous mes crimes futurs;^ je puis
en venir à tout, et je le veux ainsi.
MAIliE.
Ô terreur , terreur !
MORTIMER.
Et du8së-je frapper la Reine elle-même y je l'ai
jure sur l'hostie.
MARIE.
Non y M ertiiner y plutôt que de voir pour moi
couler tan t de sang. . • ^
MORTIMER.
Et que m'importe la vie de tous les hommes et la
mienne auprès de la vôtre et de mon amour? puis-
sent se rompre tous les ressorts qui meuvent l'uni-
vers, puisse un second déluge engloutir dans ses
flots tout ce qui respire , je ne respecte plus rien ;
plutôt que je renonce à toi, puisse le monde s'a-
néantir.
MARIE, reculant.
Dieu! quels discours, sir Mortimer! quels re-^
gards! ils me troublent, ils m'épouvantent.
MORTIMER, «TCGun r«gar^4g<rë, et rimpresiioi» d'uni dâirt cdme.
La vie n'est qiji'un instant , la mort non plus n'est
qu'un instant. Qu'on m'entraîne à Tyburn , qu'on
m'arrache chaque membre avec des tenailles brû-^
lantes ! ( // s'approche d'elle avec un mouvement pas^
288 MARIE STUART,
sionné pour la saisir dans ses bras. ) Mais que je te
tienne dans mtô bras , toi que j'idolâtre.
MARIE, M retirait.
Arrêtez, insensé.
MORTIMER.
Que je te presse sur mon sein , sur ma bouche qui
respire l'amour.
MARIE.
Au nom de Dieli , sir Mortimer , laissez*moi m ë-
loigner.
MORTIMER.
Ne serait-il pas bien insensé , celui qui ne retien-
drait pas par un lien indissoluble le bonheur queDieu
place sous sa main ? Je te délirrerai , m'en coùta-t-il
mille morts ; je te déliTrerai , je le veux ; mais
aussi vrai que Dieu nous entend , je le jure , je veui
aussi te posséder.
MARIE.
Aucun Dieu, aucun ange ne viendra-t-il me se-
courir ? Redoutable destinée , tu me précipites cruel-
lement d'une terreur dans une autre. Ne suis-je
donc née que pour inspirer la fureur? La haine et
l'amour sont conjurés pour me glacer d'effiroi.
MORTIMER.
Oui, je t'aime comme ils te haïssent! Us veulent
trancher cette tête charmante; ils veulent que la
haché partage ce cou d'une éblouissante blancheur.
Ah ! consacre au dieu du plaisir et de la vie ce qu'il
te faudrait sacrifier en offrande sanglante à la haine.
Que tes attraits, qui appartiendraient au trépas,
enivrent ton heureux amant. Que cette chevelure
ondoyante , que ces boucles si belles , qui déjà sont
ACTE III, SCÈNE VI. 2S9
ëthues au sombre empire de la mort, servent à en-
chaîner ton esclave pour toujours.
&ARIE.
Ah ! quels discours me faut-il entendre! Sir Mor-
timer , si le front d'une reine ne vous inspire pas le
respect, mes malheurs et mes souffrances devraient
vous être sacres.
MORTIMER.
Ta couronne est tombée; tu n'as plus rien, de ta
puissance royale. En vain tu voudrais commander;
j)as un ami, pas un libérateur ne viendrait à ton
commandement. Il ne te reste plus rien que ta
beauté i*avissante, que la puissance divine de tes
attraits. C'est elfe Ijui me fait tout hasarder et tout
faire^ c'est elle qui m'a fait braver la hache des
bourreaux.
MARIE.
Ah ! qui me délivrera de sa rage ?
MORTIMER.
Celui qui rend un service audacieux a le droit
d'exigôr'une récompense audacieuse. Et pourquoi ^ le
brate répandrait-il son sang? car. la vie est le plus
piréçieuiL des biens. Il est insensé, celui qui la pro-.
digue sans motif. Je veux auparavant m'enivrer de
ce qu'elle offre de plus doux.
( Il la presse dans ses bras. )
MARIE.
Ah! faut-il donc que je demande du secours contre
qui veut me délivrer?
MORTIMER.
Tu n'es point insensible; le monde ne t'accuse
ToM. III. 19
ago MARIE STUART,
point d'une froide austérité. Les ardentes instances
de Famour peuvent te toucher. Le chanteur Bkcio
t'a dû le bonheur , et Bothwell a su t'entraîner*
MARIE.
Votre audace«.«.
MORTIMER.
Il était ton tyran ; tu tremblais devant lui lorsque
tu Faimais. Si la terreur seule peut te vaincre , eh
bien, par' losi divinités infernales. ...
MARIE.
Laissez-moi .... la fureur vous égare.
MORTIMER.
Non, tremble devant moi.
KENNEDY, vrmiit prëcipitamBievt.
On approche^ on vient, le jardin est rem^ i»
gens armés.
MORTIMER transporte, et saisiMantsonëpëe.
Je te secourrai.
MARIE.
Ok! kaaui, délKvre^moi de ses mains. Ah! mal-
heureuse^ ok tMuv^rais-je un asile? A quelle àWi-
nité auraî-je recours? Ici est la violence , Ik est la
mort.
( EUe fuit vert lechâtoiiu Aum la rait. )
ACTE III, SCÈNE VIL 29s
SCÈNE VIL
MORTIMER; PAULET et DRURY arrhent avec
précipitation. Leur suit# s'empresse sur la scène.
PAULBT.
. FeroKz les portes.. é. Levez le poat.
HfORTIMEB.
Qu est-ce?
Où est la coupable ? Qu'on la renferme dans un
sombre cachot.
MORTIMER.
Qu'y a-t-il? Qu'est-il arrivé?
La Reine... • Une main furieuse^ une audace^ in-*
fernale.
MORTIMER.
La Reine.... Quelle reine?
PAULET.
La Reine d'Angleterre^ elle a^té assassinée sur la
route de Londres.
( n jentre ta cbàteau avec hftte. >
agi MARIE STUART,
SCÈNE VIII.
MQRTIMER , un instant après OKELLY.
•
MORTIMER.
Suîs-je dans le délire? Quelqu'un ne vient-il pas
de s'écrier : « La Reine est assassinée? » Non, non,
c'est une vision. Mon égarement me fait voir comme
réel ce qui occupe mes sombres pensées. Qui vient?
c'est Okelly . . . . Pourquoi si épouvanté ?
O KELLY, accourant avec précipitation.
Fuyez, Mortimer; fuyez, tout est perdu.
MOBTIMEH.
Quoi, perdu?
OKELLY.
N'en demandez pas plus. Songez à Une prompte
fuite.
MORTIMER.
Qu'y a-t-il donc ?
OKELLY.
Souvage a fait le coup , le frénétique !
MORTIMER.
Ainsi il est vrai... ?
OKELLY.
Vrai, vrai. Sauvez-vous.
MORTIMER.
Elle a péri, et Marie va monter sur le trône d'^An-
gleterre.
OKELLY.
Elle a péri ! cpii dit cela ?
ACTE III, SCÈNE VlII. agS
MORTIWER.
Vous-même..
OKELLY.
Elle vît, et vous et moi nous sommes tous en
proie à la mort.
Elle vit! ^ ...
OKELLY. .
Le coup a pprtë à faux, a percé son manteau, et
Talbot a désarmé l'assassin .
MORTIMER.
Elle vit!
OKELLY.
Oui, pour nous perdre tous; venez, le parc est
déjà entouré. ,
MORTIMER.
Et qui a fait ce coup insensé ?
OKELLY.
C'est ce barnabite de Toulon que vous avez vu
assis dans la chapelle et qui semblait si profondé-
ment pensif, quand le prêtre a parlé de l'anathème
que le pape a lancé avec malédiction sur la Reine.
Il voulait saisir l'occasion la plus prompte et la
plus prochaine pour délivrer , par un coup auda-
cieux, l'église du Seigneur et gagner la couronne du
martyre ; il n'a confié son dessein qu'au prêtre, et il
l'a exécuté sur la route de Londres.
MORTIME R, après un moment de silence.
Ah ! malheureuse ! un destiii cruel et impitoyable
te poursuit. Maintenant, oui maintenant il faut
que tu périsses. Ce qui devait faire ton salut fait ta
perte.
9g4
Marie 8TUART,
Dites ^ où dirigez-vous Totre fuite? le vtals me
cacher dans les forêts de l'Ecosse.
MORTIMER.
Fuyez y Dieu protège votre retraite. Moi, je de-
meure , j'essaierai encore de la délivrer ^ et si je ne
le puis f je mQurrai sur son cercueil.
(Jh ft*en Tdqt fta àevof, côtés éiSénp». )
FIN DU TROISIÈME ACTE.
>■
r 9
i •
, K
, 1 I • . • » t
.... » . ,
t
; « « [ ; \
ACTE lY, SCÈNE ï. igS
m(utiytM¥¥tnf¥tnMVv»n^i»^it^¥tM^fi(^fl^iiM^n^n » n^n^mt/tn*Mt m m m %n9^»ni^m^Mwwtm%ftnMtn^
ACTE QUATRIEME.
Le théâtre reprjésente rintérieur d'un appartement.
SCÈNE PREMIÈRE.
a f
Le comte de L'AUBESPINE, KENT et LEICESTÊR.
UAUBESPINE.
Comment ya sa majesté? Milords, vous me voyez
encore toirt trouWë lie tert-enr. Comment cela est-il
;arrici!é ZComncnitv m« mîlvebi d^ f^ift^e éi fftiliKe. .?
LEifcÉStER,
tie n^ésl point de ce peuple qu'est parti le cou|> j
le coupable est un sujet de votre roi , un Français.
Quelque furieux asssoMiiteBt
; /. ÇWttri; i»9tjps^ste ^ <)9mte.
, < * t
I ■ j 1 1
• •• l# ' . ! . • • .
» • • • " • ■ •
^_-'
âge MARIE STUART
SCÈNE IL
Les prëcédens; BURLËIGH entre "en parlant à
DAVISQN.
BURLEIGH.
Qu'on rédige sur-le-champ l'ordre de l'exécution
et qu'il soit revêtu du sceau ; quand il sera prêt, il
sera présenté à la signature de là Reine. Allez, il n'y
a pas de temps à perdre.
DAYISON.
Cela sera fait.
l4*AnBESPINE\aIUnti]areiwontMdoBatlei|^.,,^ ' l .
\ Milotd, je partage d'un cœur sincèreLlabjoie^ si
juste de toute l'Angleterre ; grâces soient rendues au
ciel qui a préservé du coup de l'assassin la tête d,e la
Reine. . • .
BURLEIGH. ' *"' i ^'
Grâces lui soient rendues , pour avoir confondu
la scélératesse de nos enneniis.> ' ::') .m^î . ->
L*AUBESt»INE.
Puisse Dieu maudire les auteul*s de cet érecràble
attentat.
BURLEIGH.
Leurs auteurs et leurs indignes instigateurs.
UAUBESPINE, ^Kent.
Quand il plaira a votre seigneurie , milord maré-
chal, de m'introduire che:^ sa majesté, je mettrai à
ACTE IV, SCÈNE III. «99
Je pan , j'^abaiyâonne pe rfffMtme, «^ù le ^droît ^"es
gens est foulé aux pieds^ QàTon se joue des traités.
Cependant^ .mon jpsi^tre len tir^a ujue ^^nglfiiite
vengeance.
BURtEISH.
Quil vienne la demander.
( Kent et T Aubespiae sortent. )
* •
SCÈINE III.
LFJGESTER, ©MLEfGffl.
LEICESTER.
Ainsi vous-même 'brisez TalHance que vous
aviez conclue sans nécessité avec tant d'empresse-
ment. L'Angleterre voi^s a peu d'obligation , et vous
auriez pu vcmis épargner dç \^ pçine.
Mon dessein était bon. Dieu en a ordonntéiMitm»-
ment. Heureux ceux qui' n'otit pas de plus grands
reproches à se faire !
Qn fi*€9CC(n^^t C^ç^l ^ sqh mum^a ^lé«ék2leu.\
quand U «st h U pouips^ta 4e cpicâqfftiB txikm
d'éUt. *- MaiA^^nti if^i^o^r^^ vçidi ttn imifni|x
jQounBent jpojp* «fous^; un i^and e»ime ^^wat À'pthtat tt
ses 'auteuijis soi^t eiç^cpre ^^lj9]ppé$ ^Mns le^ i^jistèvb.
J(Jn tiibunal d'inquisit^i:^ v^s'j^>ii^ri|*^^fsiMqri09<tt
Iqs ï)reig4M?4^ liFpHt êjtpe pf)$^&.d4t¥^ h hiàixAe^^ hs
pensë^i elleftHménies seront «onmises au jugement.
3o» MARIE STUARf,
Vous yoici tout-puissant dans Tétat ^ l'Atlas de FAn-
|^terre> tous soutenez^ tout le poids du royaume.
BURI.BIGH.
♦ ■■
Je vous reconnais pour mon maître , milord;
votre éloquence a remporte une victoire telle que
je n'en ai jamais obtenu.
LEICESTER.
Que voulez-vous dire, milord?
BURLEIG-H.
N'est-ce pas vous qui, à mon insu, avez attiré Ift
Reine au château de Fotheringay?
LEICESTER.
A votre insu! quand ai-je été contraint de vous
cacher mes actions ?..
burleigh:
Comment, vous avez conduit la Reine à Fotherin-
gay ? Mais non, vous n'y avez pas conduit la Reine;
c'est la Reine qui a eu la complaisance de vous y
amener. '••:•.. ■
L^ÏCESTER.
Qu'entendez-vous par-là, miloixl?
BURLEIGH.
Lé noble personnage que vous ave* fait là jouer
à la Reine ! quel triomphe éclatant vous avez su lui
préparer, à elle, qui se confiait à vous sans méfiance!
Pauvre princesse, comme oiti fr'èsteflrohtément joué
de toi , comme on t'a livrée sans T>itié ! -Voilà donc
pourquoi vous avez soudainement tant parlé de
magnanimité, de clémence. dans le bbnseil d'état;
voilà pourquoi Marie était une entiètaîe^^ ftfîble et
ACTE IV, SCÈWE Vf. 3oi
si méprisable, que ce n'était pas la peine dé se
souiller*^ de son sang. Un plan habile , adroitement
conçu ! mais le trait était si finement aiguisé, que la
pointe $'est brisée.
LEIGESTER.
Misérable! suivez-moi sur-le-champ; venez au
pied du trône , devant la Reine , me rendre raison
de ceci.
BURLBIGH. '
Vous m'y trouverez; et tâchez , milord, à ne point
manquer d'éloquence , quand vous y paraîtrez,
(Il sort.)
«
SCÈNE IV.
LEICESTER seul, puis MORTIMER.
LEICESTEB.
Je suis découvert, on m'a pénétré! Comment ce
malheureux a-t-il découvert ma trace ? Malheur à
moi s'il a des preuves ! Si la Reine apprend qu'il
existait des intelligences entre Marie et moi. Dieu!
combien je lui paraîtrais coupable, combien sembla
raient artificieux et perfides mes conseils et mes
efforts pour la conduire à Fotheringay ! elle se verrait
cruellement jouée par moi et trahie pour une
odieuse ennemie. Oh ! jamais, jamais elle ne pour-
rait me le pardonner; tout lui paraîtrait concerté
d'avance, et la tournure amère qu'a prise l'entrevue
et le triomphe de sa rivale , et ses outrages orgueil-
leux. . . Etméme ce terrible et affreux asssfôsinat qu'un
destin sanglant et inattendu a mêlé dans tout ceci>
302 MARIE STUART,
e'est moi qui l'aïu^i -pto^tHfSÊé. H ne vois pas de
saliit f je n'en vois au^uâ*. M ai& qui yient iei ?
MO R TIME R arriT« uwee une rive ÎDquitftade et regarda «vtccninfce autour de lui.
Comte Leicester ^ est«^e tous? sommes-nous san$
témoins?
LEIGES7ER.
Malheureux; reàrez-yous! que cherchez-vous ici?
MORTIMBB:.
O^ est sur nos traces, sur les vôtres aussi. Songez
à vous.
LEICESTER.
Retirez- vous ! retirez-vous !
MORTIMER.
On sait que le mystérieux rassemblement a eu
lieu chez le comte de TAubespine.
LEICESTER.
Que n'importe?
Que le meurtrier s'y est tro^iié*
LEtCESTER.
Cest votre affaire. Malheureux, comment ose^*
vous me mêler à votre sanglant attentat? Tâchez
vous-même de vous tirer de votre mauvaise si-
tuation.
MORTIMER.
Êcoutez-moi seulement.
■
L£IG ESTER d^ol u*. Vi£ tcanfpuit.
Fuyeit aux 6Afei?si!i f eiirqim rois» attoelieai-voiis^ à
m;es ptB^ comniie un mauvais esprit? Je ne vous gou*
ACTE IV, SCÈNE IV. 3^î
naia p<nnt ; je n'ai rien de commun avec des as«
sassins.
MORTIMER.
Vous ne voulei point m'entendre? J'étais venu
TOUS avertir que vos démarches sont aussi décou*
vertes.
LEIGESTER.
Ahî
MORTIMER.
Le grand trésorier est allé à Fotheringay aussitôt
après cette malheureuse tentativer La chambre, de
la reine a été sévèrement fouillée , et l'on v a
trouvé.... ,
LElfCESTER.
Quoi?
MORTIMER.
Une lettre commencée de la reine à vous.
LEIGESTER.
L'infortunée !
MORTIMER.
' Où elle vous demande de tenir votre parole , vouS;
renouvelle la promesse de sa main^ rappelle ie don
du portrait.
LEIGESTER.
Mort et damnation !
MORTIMER.
Lord Burleigh a la lettre.
LEIGESTER.
Je suis perdu I
(n M promène ça et U tvec d^espoit, pendant que Mpritmcr lui parle.) ^
M0RTIMBR.
Saisissez le moment ^ prévenez le coup; sauvez-
3o4 MARIE STOART,
TOtts^ sauvez-la; dites - vous iniioceiit, jureas qae
TOUS l'êtes , détournez le plus grand danger. Moi-
même je ne puis plus rien faire; mes compagnons
sont disperse's de tous côtes', notre conjuration est
dissoute ; je cours en Ecosse pour y rassembler de
nouveaux amis. Pour vous, maintenant, essayez ce
cpie pourra faire votre crédit, Fassurance de votre
maintien.
XEICESTERs^arrête, puis ftvce une inspiration soudaine.
'C'est ce que je veux faire. (// s^a à la porte ^ Vou^^re
et crie, ) Holà, gardes \ {A im officier qui entre avec
des gens armes.) Assurez-vous de ce criminel d'état ,
et gardez-le bien. Le plus infâme complot vient
d'être découvert, et je vais moi-même en porter la
nouvelle à la Reine.
MORTf MER, demeure d'abord immobile dVtonnement; bientôt il se remet et lance
à Leicesler un regard du plus profond mépris.
Ah , infâme ! Mais je le mérite : qui a pu faire que
je me confiasse à ce misérable? Il m'écrase , me foule
aux pieds , et fait de ma ruine l'instrument de son
salut! Va, sauve-toi, ma bouche restera fermée:
je ne veux pas t'entraîner dans ma perte. Même
dans la mort , je ne veux rien avoir de commun
avec toi ; garde la vie , c'est l'unique bien des mé-
chans. ( A F officier qui s' aisance pour le saisir. ) Que
veux-tu, lâche esclave de la tyrannie? je te mé-
prise; je suis libre.
( Il tire un «poignard. )
L'OFFICIER.
Il est armé; arrachez-lui spn poignard.
(Lessoldits rentottrcBt ; il m dégage àe leurs mains.)
ACTE IV, SCÈNE Y. 3o5
MORTIMER.
Dans ce dernier moment je veux ouvrir mon
cœur et parler sans contrainte. Ruine et male'dic-
tion sur vous, qui avez trahi Dieu et votre véri-
table reine; qui avez trahi Marie, de même que
vous aviez abandonne sa céleste patronne, qui vous
êtes vendus à une reine illégitime !
L'OFFICIER.
Entendez-'vous ses blasphèmes ? Saisissez-le.
HORJIMER.
Reine adorée, si je n'ai pu te délivrer, du moins je
Vais te donner un exemple de courage! Mèje de
Dieu, céleste Marie, prie pour moi., et appelle-
moi à toi dans les cieu^L !
(Il se frappe de son poignard, et tottiLe dans' les bras des gardés. )
SCÈNE V.
Le théâtre représente l'appartement de la Reine.
ELISABETH une lettre à la main, BURLEIGH.
ELISABETH.
Me conduire là ! m exposer à un tel affront ! Le
traitre ! m amener en triomphe devant son amante I
Burleîgh , jamais une femme ne fut ain^i trahie !
BURLÉTGH.
Je ne puis concevoir par quel charme , par quel
pouvoir il a su tellement égarer la prudence de ma
souveraine.
TOM. III. 9.0
3o6 MARIfi STUART,
ELISABETH.
J'en meurs de honte. Combien il devait se railler
de ma faiblesse ! Je croyais qu elle serait humiliée i
et c'est moi qui ai été l'objet de ses outrages.
BURLEIGH.
Vous Toyez maintenant combien mes conseils
étaient sincères.
ELISABETH.
Ah ! je suis dm^ement punie de m'être écartée de
vos sages ayis. Et comment ne l'auraifr-je pas cru?
Pouvais-je soupçonner un piège dans les sermens du
plus fidèle amour? A qui puis-je me fier s'il m'a tra-
hie? lui que j'ai fait grand, parmi les grands de
ma cour! lui qui toujours a été le plus près de mon
cœur! lui que j'ai comme autorisé à agir dans ce
palais en maître , en roi !
BURLEIGH.
Et dans le même temps il vous trahissait' pour
cette perfide reine d'Ecosse.
ELISABETH.
Oh ! elle le payera de son sang ! Dites , la sentence
est-elle rédigée?
BURLEIGH.
Elle est prête ainsi que vous l'avez ordonné.
ELISABETH.
Qu'elle meure ! qu'il la voie périr et périsse après
elle. Je l'ai chassé de mon cœur. Je ne sens plus
d'amour et ne j'espire que la vengeance. Que .sa
chute soit aussi honteuse et aussi profonde que son
élévation avait été grande. Qu'il soit un monument
ACTE IV, SCÈNE V. 307
de ma seTérité , comme il a ëtë un exemple de ma
faiblesse. Qu'on le conduise à la Tpur , je vais dési-
gner des pairs pour le juger ; qu il soit livré à toute
la rigueur des lois.
BURLEIGH.
Il s'introduira près de vous, il se justifiera.
ELISABETH.
Comment peut-il se justifier ? La lettre ne le con-
vaincra-t-elle pas ? Ah ! son crime est plus clair que
le jour.
•' BURLEIGH.
Mais vous avez tant de douceur et d'indulgence ;
son aspect, le pouvoir de sa présence....
* ELISABETH.
Je ne veux pas le voir. Jamais, jamais. Avez-vous
donné l'ordre de ne le point recevoir , s'il vient.
BURLEIGH.
Cela est ainsi ordonné.
UN PAGE entre.
Milord Leicester.
ELISABETH.
Le traître.... Je ne veux pas le voir ; dites que je
ne veux pas le voir.
* LE PAGE.
Je n'oserai point dire cela à milord ; il ne voudrait
pas me croire.
* ELISABETH.
Ainsi je l'ai élevé si haut que mes serviteurs trem-
blent plus devant lui que devant moi.
BURLEIGH, au page.
La Reine lui défend d'approcher.
( Le Page sort ea montrapt de Thàitaition.)
s
3o8 MARIE STUARÏ,
ELIS A3 E TH , après un instant de sâence;
Si cependant il ëlait possiUe.... S'il |>ouTait se
justifier.... Dites ne pourrait-ce pas être un piëge
que me tend Marie paur me priver de mon plus
fidèle ami ; elle a tant de ruse et de perversité. Si
elle n'avait écrit cette lettre que pour répandre dans
mon cœur un soupçon empoisonné , et pour précipi-
ter dans le malheur Leicester qu'elle hait.
BURLEIGH.
MaiS; madame^ songez...»
SCÈNE VI.
Les prëcëden^ ; LEICESTER.
LEiGESTER ouvre la porte avec Tioleace, et entre d'un air audacieux.
Je veux voir l'insolent qui m'i&terdît l'apparte-
ment de la Reine.
ELISABETH.
Téméraire ! . . .
LEIGÊSTEB.
N'être point reçu ! Quand elle est visible pour un
Burleigh > elle l'est aussi pour moi,
BURLEIGH.
Vous êtes bien audacieux, milord, d'entrer de
fo^c^ ;ip4 faa^ré la défense.
L£IC£S7£K,
£t vous y bien hardi de prendre la parole ici. La
défense ! £h quoii est-^l quelqu'un dans ^ette cour
de la bouche duquel le'comtexle. Leicester ait à re-
ACTE IV, SCÈNE VI. 5og.
eetàiv weê6 permiBsèoni om une d^Ws6. (i/ s'apfinoçhe
humblement d/Éiisab^h.) Se ymtx reeevo&r da k
proptre boucha de ma sf atsinnie. . . .
ÉLTS'À'BÉTir, sans le r<^rdel^
Fuyez dé mes yeux, indigne!
LEICESTER.
■ #
G& n'est pas- mon aimable SDuveraine , mais ce
lord , mon ennemi , que je reconnais dans ces dures
paroles..... Je m'adresse à ma reine chérie. Vous
avez prêté l'oreille à ses discours ;, je réclamé le
même droit.
ÉllSABETri.
Parlez, infâme Ajoutez encore a vôtre cnme,
niez-le.
LBrCROTBH.
F
Éloigîtez tfâbof dcet îrtïp6rttm . . . . Sfertte, miibpd :
ce dont je veux entreteifr'fe rein« doit étl»e SftttWs-ttf*-
moin , allez.
ELISABETH, iBurleigh.
Demeure* , je votw Fordotine.
LEÏCÉSTBB.
Doit-il y avoir un tiers entre vous et moi.... J'ai
à m'entretenir avec ma sott'^€itiine adorée Jfe ré-
clame les droits de ma place, cé sont des droits sa-
crés, et >,éxige encore qjie milord.s'élpigpie,
Él»IS>A«£a7H^
Il VOUS sied bien de tenir cet orgueilleux langage!
LEIGEJSI^EK.
Chxi , ee langage sied àr Fkeureux mortel à- qui vous
âvez donné lé sublime privilège de votre faiT^eur,
3io MARIE STUAKT,
que vous avez élevé au-dessus de ce lord , et au-dessus
de tous. Votre cœur m'a conféré ce rang illustre ; et
ce que votre amour m'a donné , je jure que je saurai
le conserver aux dépens de la vie,... Qu'il sorte, et
il ne sera besoin que de deux instans pour que je me
fasse entendre de vous.
ELISABETH.
Vous espérez en vain me séduire par votre adresse.
LEICESTER. '
Cet orateur aura pu vous séduire, mais moi je ne
veux parler qu'à votre cœur. Et ce que j'ai osé, me
confiant en votre faveur, je ne veux le justifier que
devant votre cœur — Je ne reconnais d'autre tri-
bunal pour me juger, que votre sentiment.
ELISABETH.
Indigne ! et c'est ce sentiment même qui vous rend
plus coupable.... Montrez-lui la lettre, milord.
BURLEIGH.
Là voici.
LEIC ESTER parcourt la lettre sans dianger de maintian.
C'est l'écriture de lady Stuart.
ELISABETH.
Lisez, et soyez confondu.
LEICESTER tranquillement, après aroir Lu.
L'apparence est contre moi: J'ose espérer toute-
fois que je ne serai pas jugé d'après l'apparence.
- ^ ELISABETH. ,
Pouvez-vous nier que vous ayez eu un commerce i
seci'et avec lady Stuart , que vous ayez reçu son por- i
trait, que vous ayez travaillé à la délivrer ? .
y
ACTE IV, SCÈNE YI. 3ii
LEIGESTER.
' Il me serait facile ^ si je me sentais coupable de
récuser le témoignage d'une ennemie ; mais comme
je n'ai rien à me reprocher, je confesse quelle n'a
rien écrit que de vrai.
ELISABETH.
Ainsi donc, malheureux....
BURLEIGH.
Sa propre bouche le condamne.
ELISABETH.
Sortez de ma vue, traître.... Qu'on le conduise à
la Tour. »
LEIGESTER.
Je ne suis point un traître. J'ai eu tort de vous
faire un secret de mes démarches ; mais mon des-
sein était pur. Je voulais pénétrer votre ennemie et
la perdre.
« ELISABETH.
Misérable défaite !
BURLEIGH.
Quoi , milord , vous croyez. . . .
LEIGESTER.
J'ai joué un jeu hasardeux, je le sais ; et le comte
de Leicester pouvait seul dans cette cour risquer
une telle chose : la haine que je porte à lady Stuart
est assez connue. Le rang dont je suis revêtu, la
confiance dont m'honore la Reine ne pouvaient lais-
ser aucun doute sur la fidélité de mes sentimens;
l'homme que dans votre faveur vous avez distingué
de tous , pouvait bien s'acquitter de son devoir d'une
manière plus particulière et plus audacieuse.
■iMaftâa^iaMAMi
3l2
ÀfARIE STUART,
Mai» ^ TOtre desseia étatt boQ f poiiripim gardliffl-
Toua le sîlfiiee?
LEICSSTER.
Milord , vous avez coutume de pérouer avant A'a-
gir : vous êtes la trompette de vos actions , c'est là
votre méthode; la mienne est d agir avant de parler.
BURLEIGH.
Vous ne parlez maintenant que parce qpue vous y
êtes contraint.
LEICEST'ER le lOMure d'un regard orgueilleux et mëprkant.
Et vous, vantez -vous d'avoir merveilleusement
conduit une si grande affaire , d'avoir sauve la reine,
d'avoir démasqué la trahison ! Rien n'échappe à vo-
tr« œil pénétrant y croyezrvous? Quelle pauvre va-
nité ! En dépst de voire sagacité , Marie é^it cepen-
dant libre aujourd'hui , si je ne l'eusse empêché.
BURLElGn.
Vous auriez....
LEJCESTER.
Oui, milord, la Reine ô'est confiée à Mortimerj
elle lui a ouvert son âme; elle est allée jusqu'à lui
donner dieg ordres sanglons contre Marie , après que
Paulet eut refusé avec horreur de se charger d'une
telle commission. Dites, cela n'est-'il pas ainsi?
( La reine ef Burleigh se regardent avec surprise. )
BDRLEIGH.
Comment cela est-il venu à votre connaiss^ance?
Cela n'est;- il pas ainri? BH. bifôa^ milosdv où
ACTE IV, SCÈNE VI. 3i3
étaient donc vos regards pénëtransy pour n'avoir
pas vu que ce Mortimec \pus trahiss£^it? qu'il était
un papiste fanatique^ un instrument des Guises^
une créature de lady Stuart , un enthousiaste au-
daci<E^3^ venu, pour la délivrer et assassiner la Reine?
• * ,
ELISABETH, avec un extrême étonnement.
Quoi! Mortimer?
EÈFCES^EK.
C'est par lui ^lie Marie entretenait commerce
avec moi, et c'est ainsi que j'ai appris à le con-
naître. Elle devait être aujourd'hui arrachée de sa
prison ; c'est ce que je viens d'apprendre à l'instant
dje la bouche de Mortimer. Je Fai fait sur-le-champ
arrêter ; et dans le désespoir de voiir son entreprise
inutile et d'être démaâ<^é> il s'est donné la mort.
ELISABETH.
Ah ! j'ai été indignement trompée. Ce IVfortimer...
BCRLEIG».
Et cela vient d'arrivèn maîntletiatit, depuis^quier je
vous ai quitté ?
LEICESTER.
Il est fâcheux po^ir moi q^'it ait aiasi terminé son
sprtj; s'il vivait,, son témoignage- me justifierait plei-
nement, et dissip'ferait tous les doutes. Je Tauraisr
livré à la main de la justice, et un jugement rendu,
dans toute la rigueur des formes aurait attesté et
$cejlé mon inno.cei^ee aux yeux.de toiitr le. monde.
BURLEIGH.
Il s'est tué, dites-vous, kii-ifaême ; et ce n'est pas
3i4 MARIE STUART,
LEIGESTER.
Inf4me soupçon ! On peut entendre les gardes à
qui je l'avais remis. (Il ça à la porte et appelle;
V officier des gardes entre. ) Rendez compte à sa ma-
jesté de ce qui vient de se passer au sujet de Mor-
timer.
LOFFICIER.
J'étais à mon poste dans la salle des gardes y lors-
que milord a ouvert tout à coup la porte , et m'a o^
donné de m'assurer du chevalier Mortimer comme
d'un criminel d'état. Nous l'avons vu sur-le-champ
entrer en fureur ; et , se répandant en imprécations
contre la Reine, tirer un poignard, et, sans que
nous ayons pu l'arrêter, se percer le cœur.
. LEIGESTER.
C'est assez. Vous pouvez vous retirer, la Reine est
satisfaite.
<
( L*oi&cier sort. )
ELISABETH.
Ah ! quel abîme d'horreur !
LEIGESTER.
Maintenant, Reioe, qui vous a sauvée? est-ce
milord . Burleigh ? Connaissait - il les dangers qui
vous environnaient? est-ce lui qui les a écartés.
Votre fidèle Leicester veillait sur vous comme votre
bon génie.
BURLEIGH.
Comte , ce Mortimer est mort bien à propos pour
vous.
. . ELISABETH.
JTignore ce que je dois penser j je crois vos dis-
\
ACTE IV, SCÈNE VI. 3i5
cours , puis je ne les crois plus ; je pense que vous
êtes innocent, puis j'en doute. Ah ! odieuse, qui me
cause tous ces tourmens !
LEICESTER.
Il faut qu'elle périsse ; moi-même maintenant
j'opine pour sa mort. Je vous avais conseillé de
laisser la sentence sans exécution , jusqu'au moment
où un nouveau bras se lèverait pour sa défense.
Cela est ainsi arrivé, et j'insiste pour que la sentence
soit accomplie sans délai.
BURLEIGH. «
Vous le conseillez ainsi , vous ?
^EICESTER. ' '
Bien qu'il m'en codte d'en venir à de telles
extrémités, je vois maintenant et je pense que le
salut de la Reine exige ce sanglant sacrifice. Ainsi je
propose que l'ordre de l'exécution soit donné sur-le-
champ.
BURLEiGH, à la reine.
Puisque milord montre une opinion si ferme et
si fidèle , je propose que l'exécution de la sentence
soit confiée à ses soins«
LEICESTER.
A moi?
BURLEIGH.
A VOUS. Vous n'avez pas de plus sûr moyen de
dissiper les soupçons qui pèsent encore sur vous;
vous avez été accusé d'aimer Marie , vous présiderez
à son supplice.
3i6 MARIE STUART,
I^SfS^BE/râ, r^pv^Huié (tzMaé*t tHiitestér.
Le conseil est sage; qu'il en soi(? akisMi ceta est
arrêté.
LEICESTER.
Bien que i'ëlëvation de mon rang dût m'affranchir
de cette cruelle commîssioh ^ qui de toute façon con-
viendrait mieux à un Bùrtéigh ; Lien que celui qui
a Favantage tfêtre placé si près de ïa Reine -ne îàt
pas être un instrument de rigueur; cependant, pour
marquer mon zèle et satisfaire ftf Reine, je dérogerai
aux privilèges de ma dignité, et j'accepterai cet
odieux devoir.
ELISABETH.
LordBurleigh lepartageraavec vous. (A Burleigh.)
Prenez soin que Tordre soit prêt sur-le-champ.
( BUrléigh ^rt On etitend'dVi ttuntol^aa dlbltoa. )
SCÈFÉ VIT.
ELISABETH, LEICESTER et KENT.
ELISABETH.
Qu'eatt-ce, myWd Ken4b,.qiiel mowvameitt troubler
la ville? qu'y a-t-il ?
KENT.
Reine, c'est le peuple qui entoure le palais et
demande instamment à vous voir.
ELISABETH.
Que veut mon peuple?
X£NX.
La terreur est répandue dans Londve^Q oa cyNaiîl;
ACTE IV, SCÈNE VIII. "Si?
votre vie nenaGée>^ on dit 4}ue des meurtriers ^en-
voyés ipar le pafNe /^ont re^Màxidus ^partout., que les
catholiipies aoot «conjures pour arraclier^ à fçrce
ouvenley lady Stuart de sa prifiou et la proclamer
reine. Le (peuple «croit ^es bruits et se souJLè^ ; et
l'on ne pourrait le calmer qu'en faisant tomber
aujourd'hui la tête de lady Stuart.
ELISABETH.
Quoi ! l'on Toodrait due contraindre ?
KENT.
Ils sont résolus à ne point se retirer que vous
n'ayez ^ignë la sentence.
SCÈNE vm.
Les précédens; BURLEIGH, DAVISON un papier
à la main.
ELISABETH.
Qu ajgportez-T^uB , Dayison ?
Heine; ce que tous aTee demandé.
ELISABETH.
Qu'est-ce? (Elle \^eut prendre le papier, tressaille
et recule. ) Bien !
<BI7KLEIGH.
Obéissez à la voix du peuple , c'«st la voix de Dieu.
ELISABETH, inréMioe et combattue.
Ak ! milords , qui me dira si j'entends en effet
la voix ée tout mon peuf^e^ la voix de l'univers?
3i8' Marie stuart,
Hélas ! si j'obéis maintenant au désir de cette popu*
lace y je crains que bientôt elle ne fasse entendre
un tout autre langage, et que ceux-mêmes qui me
poussent avec violence à cette résolution, ne me
blâment sévèrement dès qu'elle sera accomplie.
SCÈNE IX.
Les précédens; TALBOT.
TALBOT entre avec agitation.
On veut vous contraindre, reine; soyez ferme,
soyez inébranlable. {Il aperçoit Das^ison qui tient la
sentence.) Ou bien en est-ce fait ? Cela est-il réel ?
J'aperçois dans cette main un écrit funeste qui ne
devrait pas en ce moment être mis sous les yeux de
la Reine .
ELISABETH.
Noble Schrewsbury, on me contraint.
TALBOT.
Et qui peut vous contraindre? Vous êtes souve-
raine; c'fest ici le moment de montrer votre puis-
sance. Imposez silence à ces voix séditieuses qui
osent vous prescrire une opinion et commander à
votre volonté royale. La terreur, une rage aveugle
agitent ce peuple; vous-même êtes hors de vous,
cruellement offensée, en proie aux faiblesses de
l'humanité, vous ne pouvez maintenant porter un
jugement.
^ BURLEIGH.
Tout est jugé depuis long-temps. Il ne s'agit pas
de prononcer une sentence, mais del'eiécuter.
> 1
ACTE IV, SCÈNE IX. Sig
K£ N T , qui s'était ëioignë lorsque Talbot «st entré , revient.
La sédition s'accroit : on ne pourra plus long-
temps contenir le peuple.
ELISABETH, 4 Talbot.
Vous voyez si l'on me presse.
TALBOT.
Je VOUS demande seulement un délai. Ce trait
de plume privera votre vie de la paix et du bon-
heur. Vous y avez réfléchi pendant de longues
années; voulez-vous donc vous décider en un in-
stant^ au milieu de l'orage. Seulement un court dé-
lai : rappelez vos esprits^ attendez un moment plus
calme.
BURLEIGH, vivement
Attendez, hésitez, différez jusqu'à ce que le
royaume soit embrasé, jusqu'à ce que votre enne-
mie ait enfin réussi à accomplir ses desseins homi-
cides ! Trois fois Dieu a éloigné de vous le poignard :
aujourd'hui encore, il s'est approché de votre seinj
espérer encore un miracle, c'est vouloir tenter la
Providence.
TALBOT.
LeDieu qui quatre fois de sa main miraculeuse vous
a préservée 9 qui aujourd'hui a donné au bras débile
d'un vieillard la force d'arrêter un furieux , ce Dieu
mérite qu'on mette sa confiance en lui. Ce n'est pas
la voix de la justice que je veux faire entendre, ce
n'est pas le moment ; au milieu de ce trouble elle
ne serait point écoutée. Je vous dirai une seule
chose. Vous craignez maintenant Marie pendante
qu'elle est vivante : ce n'est pas vivante que vous
320 MARIE STUART,
avez à la redouter ; trembles devant -elle quand elle
ne sera plus^ ?qiiand sa tête sera tombée. Elle se re-
lèvera de son tombeau conme une d^sse de dis-
corde , elle parcourra vôtre royaume comme le fan-
tôme de la vengeance , et elle détournera de vous le
cœur de vos peuples. Maintenant l'Anglais la craint
et la déteste : il voudra la venger quand elle aura
péri; il ne verra plus dans celle qu'il pleurera Ven-
i^mie de la religion , mais la fille de ses rois^ mais
la victime de la haine et de Tenvie. Bientôt tous
pourrez éprouver ce changement. Après cette san-
glante exécution traversez Londres , montrez-vous
î ce peuple , qui jadis se pressait avec allégresse au-
tour de vous, vous verrez alors un autre peuple,
une autre Angleterre. Vous ne n^archerez plus en-
vironnée de la divine justice qui vous avait en-
chaîné tous les coeurs ; la terreur, seule compagne
de la tyrannie , marchera devant vous., et rendra
déserts les chemins où vous passerez; car vous aurez
fait le dernier, le plus terrible pas , et nulle tête ne
sera en sûreté, quand cette tête sacrée sera tombée.
ELISABETH.
Hélas, Schrewsbury! vous m'avez aujourd'hui
sauvé la vie ; vous avçz détourné de moi le poignard
de l'assassin. Pourqupi avez-vous arrêté le coup?
toute incertitude serait finie, il n'y aurait plus de
combats à livrer ; et, pure de tout reproche, je repo-
serais tranquillement dans le tombeau. Ah ! certes,
je suis lasse de la vie et de la royauté ; et s'il faut
qu'une des deux reines succombe pour que l'autre
vive , et je sais bien que cela ne peut être autrement,
y
ACTE IV, SCÈNE IX. Sat
ne puis-je donc être celle qui cède la place ? Mon peu-
ple peut choisir, je lui remets sa souveraineté. Dieu
m'est témoin que ce n'est pas pour moi, mais pour
le bien de mon peuple que j'ai vécu. S'il espère de«^
voir à cette séduisante Marie des jours heureux et
prolongés, car elle est la' plus jeune, je descendrai
volontiers du trône ; j'irai retrouver cette tranquille
solitude de Woodstock, où j'ai passé mon inno-
cente jeunesse; où, loin des frivoles grandeurs de la s
terre , je trouvais en mon âme toute ma grandeur.
Je ne suis point née pour être souveraine : le souve-
rain doit avoir une âme ferme , et mon cœur est
faible. J'ai gouverné heureusement cette ile pendant
long-temps , parce que je n'avais que des bienfaits
à répandre. Pour la première fois il faut que je rem-
plisse un devoir de rigueur , et je sens toute ma
faiblesse. >
BDRLEIGH.
' * Au nom du ciel ! quand il me faut entendre des
paroles si peu royales scftl^r de la bouche de la Reine,
je trahiraiis mon devoir, je trahirais ma patrie, si je
gardais plus long-temps le silence. Vous dites que
vous aimez votre peuple plus que vous-même ; c'est
maintenant qu'il faut le prouver. Vous ne devez
pas chercher le repos pour vous en livrant le
royaume aux tempêtes; songez à la religion. Faut-il
voir revenir avec Marie l'antique superstition? Les
moines doivent-ils encore revenir régner ici ? Un lé-
gat , parti de Rome , doit-il encore fermer nos églises^
détrôner nos rois? Je vous rends comptable du sa-
lut de vos sujets; d'après ce que vous déciderez
maintenant, ils sont ou sauvés ou perdus. Ce n'est
TOM. III. 21
323 MARIE STUA&T,
pas ici le moment de montrer une pitié de femme ;
le bien du peuple est votre suprême devoir. Schrews-
bury a sauvé votre vie; moi, je veux faire plus ^ je
veux sauver rAngleterre*
ELISABETH.
Qu on me laisse à moi*même. Dans cette grande
affaire il ne peut me venir des hommes ni conseils,
ni consolations. J'en réfère au suprême juge; ce
qu'il m'inspirera, je le ferai. Éloignez-vous, milords.
(^A Davison. ) Vous , Davîson , demeurez près d'ici.
( Les lords se retirent. Tal]>ot seul demeure un instant de plus dfrmnt la Reine , et la re-
garde d*m «ir «xprtisif ; pni» il l'éloicpe lentement «i laiesant voir une praftadi
affliction. )
SCÈNE X.
ELISABETH seule.
Ah! tyrannie des volontés du peuple, honteux
esclavage! Combien jb suis lasse de flatter cette
idole, que dans mon cœur je méprise ! Quand pour'
rai-*je librement régner sur ce trône? il me faut
respecter l'opinion, courtiser l'estime du vulgaire;
il me faut agir au gré de cette populace qui se paie de
vaines comédies. Ah ! ce n'est pas être roi qu'être
forcé de complaire au monde entier; celui-là seul
règne qui n'est point obligé d'obtenir le suffrage des
hommes.
Farce que j'ai pratiqué la justice , parce que j'ai
toute ma vie détesté l'arbitraire, je me suis lié les
mains , et je ne puis en venir à une première
et inévitable violence; l'exemple que moi-même
j'ai donné me condamne. Si j'avais régné tyrannie*
ACTE IV, SCÈNE X. SaS
quement comme Fespagnole Marie , qui lii' a précé*
dée sur le trône ^ je pourrais aujourd'hui verser un
sang royal sans encourir de blâme. Cependant est-
ce de mon propre choix que j'ai toujours ainsi res-
pecté la justice? La «nécessité toute-puissante qui
dompte les libres volontés des rois , la nécessité m'a
prescrit la vertu.
La seule faveur du peuple me maintient sur un
trône contesté et de toutes parts entouré d'ennemis ;
toutes les puissances du continent s'efforcent de
m'anéantir. Le pape implacable lance de Rome
l'anathème sur ma tête; la France veut me trahir
sous des apparences de fraternité et d'alliance ; les
Espagnols plus ouvertement se préparent à me faire
avec fureur une guerre d'extermination. Ainsi j'ai à
combattre contre tout l'univers, moi, faible femme;
il faut que par une vertu sublime je cache la fai«
blesse de mes droits , et la tache dont mon propre
père a flétri ma naissance. Mais mes efforts sont
vains ; la haine de mes ennemis en réveille sans cesse
le souvenir, et me présente cette Marie comme un
fantôme éternellement menaçant.
Oui I il faut que cette crainte finisse ; il faut que
sa tête tombe. Je veux obtenir la paix. Elle est la
furie qui trouble ma vie; c'est un esprit que le
destin a déchaîné contre moi pour m'pbséder. Je ne
forme pas une espérance , je ne promets pâs une
joie que ce serpent infernal ne se présente sur mon
passage. Elle m'enlève mon amant, elle ipe fait
perdre mon époux; tous les malheurs ^i m'ont
frappée portent le nom de Marie. Qu'elle soft re-
tranchée du nombre des vivans , alors je suis libre
324 MARIE STUARÏ,
comme l'air sur la montagne. (Elle se tait unmo^
ment. ) Âyec quel dédain elle m'a regardée ; il sem-
blait que son regard dût me terrasser. Impuissante !
j ai de plus fortes armes ; elles portent la mort y et
c'en est fait de toi. (Elle marche dùn pas rapide
vers la table et prend la plume. ) Je suis le fruit de
l'adultère; malheureuse, je ne le suis que parce
que tu yis , que parce que tu respires ; dès que je
t'aurai anéantie , tous les doutes sur ma royale nais-
sance seront anéantis ; dès que l'Angleterre n'aura
plus un autre choix à. faire, alors je suis la fille
légitime du lit de l'hyménée.
(£Ue signe avec un mouTement rapide et ferme, pois elle laisse tomlier la plume et n-
cule comme épouTanUe. Après un instant , eUe sonne. )
SCÈNE XL
ELISABETH, D A VISON.
ELISABETH.
Où sont les autres lords ?
DAVISON.
Us sont allés calmer le peuple déchaîne) le tu-
multe s'est en un instant apaisé dès que le comte
Schrewsbury s'est montré : « C'est lui, se sont écriées
D cent voix, c'est lui qui a sauvé la Reine^ écoutons-
» le, il est le plus digne homme de l'Angleterre. »
Alors le noble Talbot a commencé à reprocher au
peuple^ par de douces paroles, sa conduite séditieuse;
et il a parlé avec tant de force et de persuasion , que
tout s'est calmé et que la foule s'est tranquillement
dispersée.
ACTE IV, SCÈNE XL SaS
ELISABETH.
AK ! pe^uple yariable que le moindre yent fait
changer ! Malheur à celui qui s'appuie sur ce roseauji
C'est assez , sir Dav ison ^ tous pouvez maintenant
vous retirer (il se retire vers la porte) ; et cet écrit,
reprenez-le , je le mets entre vos mains.
DAVIS ON jette un regard sur le papier, et semUe eflfiraytf.
Reine , vous avez signe votre nom?
ELISABETH.
Je devais signer; je l'ai fait. Cela ne décide point
encore. Une signature n'est pas la mort.
DAVISON.
Votre nom y Reine , au bas de cet écrit y décide
tout. C'est le coup mortel. C'est un trait de la fou-
dre , un trait inévitable. Cet écrit ordonne aux
commissaires et au shérif de se transporter sur-le-
champ au château de Fodieringay, auprès de la
reine d'Ecosse y de lui annoncer sa mort , et de la
faire exécuter demain avant la pointe du jour. Il n'y
a aucun délai, et si cet ordre sort de mes mains,
elle a vécu.
ELISABETH.
Il est vrai , sir Davison , Dieu remet en vos fai-
bles mains une grande et importante décision. Sup-
pliez-le de vous éclairer de sa sagesse. Je vous
laisse ; acquittez-vous de votre devoir.
( Elle veut sortir. )
DAVISON se place devant elle. .
Non, Reine, vous ne me laisserez pas avant d'avoir
manifesté votre volonté; il ne me faut point ici
326 MARIE STUART,
d'autre sagesse que de suivre littéralement yos com-
mandemens. Vous laisses cet ordre entre mes
mains; est^e pour que j'en procure la prompte
exécution?
ELISABETH.
Je m'en remets à Totre prudence.
DATISON, avec frajenr et emprMcemant.
Non pas à ma prudence; Dieu m'en préserve.
Obéir est toute ma prudence. Rien en ceci ne doit
demeurer à la décision de votre serviteur ; la moin-
dre erreur serait un régicide , amènerait un mal-
heur horrible, irréparable. Permettez que, dans
cette grande affaire , je sois seulement votre instru-
ment aveugle et sans volonté. Exprimez clairement
votre volonté ; que doit-on faire de cet ordre san-
glant ?
ELISABETH.
Il s'explique asâez de lui-même.
DAvrsoiï.
Ainsi , vous voulez qu'il soit exécuté sur-l^
champ ?
ELISABETH.
Je ne dis point cela , et je tremble à le penser.
DAVISOIï.
Ou bien , dois-je encore le tenir secret?
ELISABETH, précipitamment.
A vos risques et périls ? Vous répondez des suites.
DATISON.
Moi, grand Dieu! Parlez, Reine, que Toulez-
vous?
ACTE IV, SCÈNE XI. ii^j
ELISABETH, avec impatience.
Je veux qu'il ne soit plus question de cette mal-
heureuse affaire; je yeux enfin qu'elle ne trouble
plus mon repos.
DAVIBON.
U ne vous coûtera qu'un seul mot. Ah ! parlez,
ordonnez , que faut-il faire de cet ordre ?
, ÉLiSABBTH.
Je vous l'ai dit. Ne me persécutez pas davantage.
DAVISON.
Vous, me Savoir ditî Non, vous ne m'avez rien dit.
Je supplie votre majesté de vouloir bien songer....
ELISABETH, fra)ppaDt du pied.
Quelle contrainte !
DAVI80N.
Ayez quelque indulgence pour moi. J'occupe de*
puis peu de mois cette charge; je ne connais pas le
langage de la cour et des rois. J'ai vécu dans des
moeurs simples et franches. Supporter patiemment
votre serviteur ; daignez lui dire une parole qui l'é-
claircisse , qui lui apprenne son devoir. ( // s'appro-
che (Telle d'un air suppliant; elle lui tourne le dos;
il laisse voir son désespoir , puis parlant dun ion plus
ferme : ) Reprenez cet écrit. Reprenez-le , il me sem-
ble que je porte dans mes mains un feu dévorant.
Ne me choisissez pas pour vous servir dans cette cir^
constance terrible.
ELISABETH.
Faites le devoir de votre charge.
1
338 MARIE STIXART,
V
SCÈNE XII.
' DAVISON seul; puis BURLEIGH.
DAYlSOir.
Elle sort. Elle me laisse sans dëcision , hésitant
sur cet ordre cruel. Que ferai-je? Dois-je le garder?
Dois-je en user? ( A Burleigh qui entre. ) Âh! heu-
reusemeuty heureusement yous arrivez^ milord.Cest
TOUS qui m'avez placé dans la charge que j'occupe ,
délivrez-m'en . J'y renonce , j'en ignore les devoirs.
Laissez-moi retourner dans l'obscurité dont tous
m'avez tiré : je ne conviens pas à cette place.
BURLEIGH.
Qu'est-ce donc^ sir Da vison ? remettez-vous ! ouest
la sentence? La Reine vous a fait appeler.
DAVISOW.
Elle vient de me laisser. Elle était fort irritée. Ab!
conseillez-moi ^ venez à mon secours ; arrachez-moi
à ce doute infernal.... Voici la sentence.
B URL £ IG H emprené.
Vous l'avez^ donnez-la moi. ...Donnez.
DAVISON.
Je n'ose point.
BURLEIGH.
Pourquoi?
DAVISON.
Elle ne m'a point positivement expliqué sa vo-
lonté.
ACTE IV, SCÈNE XII. 329
BURLEIGH.
Quoi , positiTement? Elle a signé. • . . Donnez.
DAYISOIT.
Dois-je la faire exécuter? Ne le doi&'je pas ? Grand
Dieu! sais-je quel est mon devoir?
BURLEIGH, le pressant.
Vous devez sur-le-champ^ à l'instant , la faire
exécuter ••.. Donnez.... Vous êtes perdu ^ si vous dif-*
ferez.
DAVISON.
Je suis perdu ^ si je hâte l'exécution.
BURLEIGH.
Vous êtes insensé.... Vous êtes hors devons....
Donnez.
( U lui arraclie la sentence , et Ven Ta en remportant. )
DAVISON le suivant.
Que faites-vous? Arrêtez.... Ah! vous me préci-
pitez dans ma ruine.
FIN DU QUATRIÈME ACTE.
33« HAIIIE STUART,
mivw*mm mmm itm/9n^m9m0mitt/tmmnnmt it imn0*0mitmytmtmmitt^wtmv w /^mtm^MmmyiM%wt0^ni^^
ACTE CINQUIÈME.
Le théâtre représente la prison , comme au premier acte.
SCÈNE PREMIÈRE.
ANNA KENNEDI, vêtue en grand deuil, les yeui
humides de larmes, et accablée d'une douleur pro-
fonde, mais calme; elle est occupée à cacheter des
papiers et des lettres. Souvent sa douleur la force
à s'interrompre , et elle se met à prier. PAULET
et DRURY, vêtus aussi en noir. Ils sont Suivis de
plusieurs dome^iques qui portent des vases d'or
et d'argent, des tableaux et autres objets précieux,
dont ils remplissent le fond du théâtre. Paulet
remet à la nourrice un écrin avec un papier , et
lui fait signe que c'est la liste de ce qu'il contient.
La vue de toutes ces richesses renouvelle le cha-
grin de la nourrice , elle retombe dans un profond
désespoir; pendant ce temps, chacun se retire
en silence. MELVIL entre.
KEIIN EDI s'écrie dés qu'elle raperçoit.
Melvil.... C'est vous !.. • Je vous revois.
MELVILLE.
Oui , chère Anna , nous nous revoyons.
ACTE V, SCÈNE I. 33i
KENNBDI.
Après une longue , longue et douloureuse sépara-
tion !
IfStVIL.
Quelle malheureuse et déplorable réunion !
KENNEDI.
Dieu! . . . Vous venez. ...
MELYIL.
Recevoir de ma souveraine le dernier^ l'éternel
adieu.
KEIfNEDI.
Enfin aujourd'hui 9 le jour de sa mort, on lui ac-
corde là présence long-temps interdite de tous ses
serviteurs. Ah! cher Melvil^ je ne vous demande
pas quel a été votre sort ,. je ne vous raconte pas les
souffrances que nous avons endurées depuis qu'on
vous arracha d'auprès de nous. Hélas ! il viendra un
moment pour en parler.... Ah! Melvil! Melvil!....
nous fallait-il vivre pour voir l'aurore de ce jour?
MELVIL.
Ne nous attendrissons pas Tun l'autre.... Je pleu-
rerai tant que durera ma vie ; jamais un sourire ne
sera sur mes lèvres , jamais je ne quitterai ces som-
bres vêtemens. Toujours ma douleur durera; mais
aujourd'hui , je veux avoir de la fermeté. Promettez-
moi de modérer aussi votre douleur , et quand tous
les autres s'abandonneront sans contrainte à leur
désespoir , nous , d'une contenance ferme et mâle ,
nous la, précéderons , et dans le chemin de la mort
nous lui servirons d'appui.
33a Marie STU ART,
KENNEDI.
Melvil; TOUS êtes dans l'erreur^ si tous penses
que pour marcher à la mort aTec fermeté, la tem
a besoin de notre secours. Elle-même nous donnera
l'exemple d'une noble assurance , soyez sans crainte.
Marie Stuart mourra en reine et en héros.
MELYIL.
A-t-elle appris aTec fermeté la nouTcUe de sa
mort? On dit qu'elle n'y était pas préparée.
KENNEDI.
Non, elle ne l'était point. Une toute autre crainte
agitait ma chère maîtresse ; ce n'était pas la mort
qui l'épouTantait , c'étaient ses propres libérateurs.
Notre déliTrance nous était promise. Mortimer avait
assuré que cette nuit même il nous tirerait d'ici;
et flottant entre la crainte et l'espérance , incertaine
si elle confierait son honneur et sa royale personne
à cet audacieux jeune homme , la reine a ainsi at-
tendu jusqu'au matin A ce moment ^ nous avons
entendu du tumulte dans le château , et le bruit de
plusieurs coups de marteau a frappé notre oreille.
Nous pensions que c'étaient nos libérateurs ; l'espé-
rance entrait dans notre cœur, l'amour invincible
et involontaire de la Tie s'emparait doucement de
pous..,. La porte s'est alors ouTcrte. C'était sir Pau-
let.... Il nous annonce que des ouTriers construi-
j^aient l'échafaud au-dessous de nos pas.
( Elle se détourne saisie d'une vive douleur. )
MELVIL.
Juste Dieu! ... Ah ! dites*moi. . . . Et comment Marie
a-t-elle supporté cette terrible réTolution ?
ACTE V, SCÈNE I. 333
KENl^EBI , après un instant de silence, où elle a tâché de reprendre quelque force.
On ne se détache pas peu à peu de la vie. C'est un
coup subit f un instant rapide qui fait passer sur-le-
champ des choses terrestres aux choses éternelles ^
et Dieu a fait la grâce à ma chère maîtresse qu'elle
a pu en ce moment rejeter d'une âme ferme toute
espérance humaine^ ^et s'attacher au ciel ayec une
foi ardente; aucun symptôme de terreur, aucune
pâleur ; aucune plainte n'a abaissé notre reine....
Quand ensuite elle a appris l'infâme trahison de
lord Leicester, et le sort déplorable de ce courageux
jeune homme qui s'est sacrifié pour elle ; quand elle
à vu la profonde douleur de ce vieux chevalier , à
qui elle coûte le dernier espoir de sa famille, alors
ses larmes ont coulé. Ce n'était pas son propre sort,
mais la douleur d'autrui qui les lui arrachait.
MELVIL.
Où est-elle maintenant ? Pôuvez-vous me conduire
vers elle?
KEIïIïEDI.
Elle a passé le reste de la nuit en prières. Elle a
dit adieu par des lettres à ses plus chers amis. Elle
a écrit son testament de sa propre main. Mainte-
nant elle prend un instant de repos , et ranime ses ^
forces par un dernier sommeil.
MELVIL.
Qui est auprès d'elle ?
KENNEDI.
Le docteur Burgoyn et ses femmes.
334 MARIE STUART,
SCÈNE II.
Les précédeos; MARGUERITE KURL.
£h bien! madame^ la reine est-elle éveillée?
MARGUSRITB, MiqFant sm lantct.
EUe est déjà habillée.... Elle vous demande.
KENNEDI.
J'y vais. {A Melvil qui veut la suivre). Ne me
suives pas f je veux préparer ma maîtresse à vous
revoir.
(Elle estre ches U Reiae.)
MARGUERITE.
Melvil , le vieux gouverneur de sa maison!
MEtVIL.
Oui , c'est moi.
MARGUERITE.
Hélas I eette maison n'a plus besoin de gouyei-
neui\,.. Melvili vous venez de Londres : ne pourrez-
voud m'apprendre des nouvelles de mon mari ?
MELVIL.
Il sera mis en liberté^ dit-on^ aussitôt que...
MARGUERITE.
Aussitôt que la Reine ne sera plus!.. Oh! l'indigne!
Tinfàme traître ! U est le meurtrier de notre chère
maîtresse; c'est sur son témoignage ^ ditron, qu'elle
a été condamnée.
ACTE V, SCÈNE III. 335
MELTIL.
Il est y rai.
MARO01SRIX6.
Ah ! qae son âme en soit punie aux enfer$ ! il a
fait un faux témoignage.
MELYIL.
Milady Kurl , songez à ce que vous dites.
Oui 9 j'en jurerais derant un tribunal^ je le rëpè*
terais en sa présence ; je veux remplir le monde de
ce cri : Elle meurt innocente I
MELYIL.
Dieu le yeuille.
SCÈNE III.
Les prëcëdens, BURGOYN, puis KENNEIH.
BURGOYN, «perceTUit UéMl.
Melvil !
MELYIL, rembrassant,
Burgoy û , !
BURGOYN, à Marguerite.
Faites apprêter pour la Reine une coupe de yin.
Hâtez-Yous.
(MwgaoritsMrt.)
MELYIL.
£t quoi ! la Reine n'est-elle pas bien ?
BURGOYN.
Elle se sent de la force; son courage héroïque
l'abuse , et elle ne croit pas avoir besoin de nourri-
ture. Cependant elle a encore de rudes combats à
336 MilRIE STUART,
ëprouyer , et il ne faut pas que ses ennemis se glo-
rifient en attribuant à la crainte de la mort une
pâleur que l'abattement de ses forces pourrait ré-
pandre sur son visage.
MELVIL, k KeiuMdi, qui rentre.
Veut-elle me voir?
KÊNNEDI.
Elle-même sera bientôt ici. Vous me regardez
av^c étonnement, et votre regard me demande
pourquoi tant de pompe dans ce séjour de la mort?
Ahl Melvil^ nous avons été dans le dénûmeut
pendant la vie ^ et Tabondance nous revient au jour
de la mort.
9
SCÈNE IV.
Les prëcédens , DEUX FEMMES de Marie , aussi
vêtues de deuil ; elles éclatent en sanglots à la vue
de Melvil.
MELVIL.
Quel spectacle , quelle réunion ! Gertrude , Rosa-
monde !
LA SECONDE FEMME.
Elle nous a fait retirer; elle veut pour la dernière
fois s'entretenir seule avec Dieu.
( Deux autres femmes arrivent encore, habillées de même en ooir. Leur contenaocc ex-
prime le désespoir. )
ACTE V, SCÊ-NÈ V. ^3-
SCÈNE V.
Les précëdens ; MARGUERITE KURL , elle porte
une coupe d'or remplie de vin; elte la pose sur
une table, et pâle et tremblante elle 3 appuie sur
un fauteuil.
MELVIL.
Qu'est-ce, madame, d'où vient ce trouble?
■
MARGUERITE.
Dieu !
BUR60YN.
Qu'avesE-vous ?
MARGUERITE.
Ah ! qu'ai-je été obligée de voir !
MELVIL.
- Revenez à voué ; ditesnaous ce que c'est.
jIArguerité.
Comme pour apporter cette coupe ^ je montais le
^and escalier qui descend dans la salle . d'en bas ,
la porte s'est puverlcf et j'y ai, vu... j'ai vu.., jâ^ laotï
SieU)!
MELVIL.
Qu'avez-vous vu? remettez-vous.
MARGUERrrB.
Tous les murs sont tendus tn noir , nu |;i*and
tî'ckafaud recouvert d'un drap iiotr/est dresbéf au
m^ilieu un bloc Hoir, un coussiii, et ^ès dg ta ^am
itache récemment aiguisée. La saille iest pklne dt
^ens qui se pressent autour dé l'échafaudy êt^^pd^
1«6 féVL^ avides de tei^g, dtittMdeul k vifetime. ^ ^
ToM. III. 22
338 MARIE STUART,
LES FEMME S.^
Que Dieu accorde sa grâce à notre chère maî-
tresse.
MELVIL.
4
Remettez-vous, elle vient.
SCÈNE VL
Les pre'ce'dens ; MARIE. Elle est vêtue de blanc et
parée; un agnus Dei est suspendu à son cou par
un collier; un rosaire est attaché à sa ceinture;
elle tient un crucifix dans sa main ; un diadème
orne ses cheveux, et son grand voile noir est rejeté
derrière elle. Quand elle entre, tous se rangent des
deux cot€S de la scène , en montrant la plus Tive
douleur ; Melvii , avec une émotion involontaire,
tombe à genoux devant elle»
•MARIE, «vec un« dignité, tram^uille , jette les yeax aatour d'elle.
PoUrqiiôi gémisàez-vous? pourquoi ces pleurs? Ne
devez-vous pas plutôt vous réjouir avec moi de ce
que le terme de mes souffrances approche, de ce
que mes liens sont brisés , de ce que ma prison est
ouverte , de ce que mon âme affranchie va s'envoler
sur les ailes des anges vers l'éternelle liberté? Quand
j'étais en. la puissance d'une orgueilleuse ennemie;
qaaèd j'endurais des outrages indignes de la ma-
^esèé royale , ah ! c'était alors qu'il fallait pleurer sur
BioiLI^ mort bienfaisante et salutaii*e vient à moi
comnie un sévère ami , et sous l'abri de ses sombres
ailes je^ n'ai plus d'afik^nls à redouter; l'homiBC
ACTE V, SCÈNE VL SSg
est eiMiobli et relevé du plus profond abattement^
dès qu'il ;è^uche à son dernier moment. Je sens un
noble orgueil rentrer dans mon âme ranimée ^ et
la couronne se replace sur mon front. (Elle aisance
de quelques pas. ) Quoi ! Melvil ici î Levez-vous ,
chevalier; levez-vous : c'est au triomphé de vôtres
reine ^ non à sa mort^ que vous assistez. C'est pour
moi un bonheur^ et je ne l'avais pas espéré^ que la
mémoire de mes derniers momens ne soit pas entiè-
rement livrée aux mains de mes ennemis^ et d'a-
voir pour témoin de l'heure de ma mort un ami qui
professe la même croyance. Dites-moi , chevalier, de-
puis qu'on vous arracha d'auprès de moi , que vous
est-il arrivé sur cette* terre inhospitalière et enne-
mie? Cette inquiétude sûr votre sort a souvent
troublé mon cœur.
MEIiVIL.
Je n'ai senti d'autre malheur que mon af&iction
sur vous , et l'impuissance de vous servir.
MARIE.
Comment se porte Didier, mon vieux serviteur ?
Peut-être dort-il depuis long-temps de l'éternel
sommeil , car il était avancé en âge .
MELVIL.
Dieu ne lui a pas fait cette grâce; il vit pour voir
succomber votre jeunesse.
MARIE.
Ah! que ne puis-je ,. avant ma mort, avoir le
bonheur de presser dans mes bras quelqu'un de
ceux auxquels je tiens par les liens chéris du sang !
Mais il me faut mourir au milieu d'une terré étran*
^^^m
34o ^ MARIE STUAfiT,
g^'fij et je yerrai seulement coul^ tos larmes.
Melril , je eon&e à votre cœur fidèle mes derniers
voçax pour les «liens. Je béui^ le roi trèsM^hretien
mon beau-frère, et toute la maison royale de France;
je bënis man oncle le Cardinal , et Henri de Ouise,
mon noble cousin ; je bénis aussi notre saint i)ère;
le ^caira de Jesus-rGhrist » qui m'a donné sa béné*
•diietioQ , ef le roi catholique , qui s^est gënëreu-
aem^iit «ri&rt k être mon libérateur et mon vengeur.
Us sont tous nommés dans mon testament: ils rece-
iVront dès dons de mon amour; et tout modiques
que sont ces prësens, ils ne les estimeront pas
moins. ( Se retoumar^ vers ses serviteurs.) h vous
ai recommandés à mon frère le roi dé France;
il prendra soin de votre sort, et vous rendra une
nouvelle patrie. Si ma dernière volonté' vous est
sacrée , ne demeurez point en Angleterre ; que le
Breton ne repaisse point son cœur orgueilleux du
spectacle de vôtre malheur , qu'il ne voie pas dans
la poussière ceux qui ont été à mon service. Pro-
mettez'-moi, sur cette image de Jëçus crucifié, que
vous quitterez cette déplorable contrée dès que je
ne serai plus.
MELVIL', touch;)nt le crucifix.
NoAf^ YQ^s 1p ju;rons par oç saint nom*
MARIE. •
Tout ce qui me reste encore à moi , misérable et dé-
pouillée , ee dont je puis encore librem^al disposer,
je l'ai parta^^entrè vous, et Ion respectera, j'espère,
lues dernières volontés. Ce que je porte en mar-
<3hant a la; mort voua appartient aussi; ;- accordez-
ACTE V, SCÈNE VI. 34i
moi de m'orner encore une fois des parures de la terre,
quand je vais entrer au ciel. ( A ses femmes. ) Ma
chère Alix y Gertrtide , Rosamondé , je tous ai des-
tiné mes perles et mes vêtemens : votre jeunesse se
plaît encore à la parure. Toî , Marguerite , tu as de
plus grands droits à ma générosité , car c'est toi que
je la'isse la plu^ mallteureuâe ; mon fefelament fera
voir que je ne veux pas venger ^to toi te crime d'un
épêcil. Pour toi , mon Anna , tii attaehds peu de
ipcïjk à Vor^ à l'éclat de» pierrevie^ ,i et mon souvenir
fait ton plus précieux trésor ; prends ce induckoir ,
je l'ai de mes propres màin^ brodé pour toi pendant
\» hé«ii^9 de ma donaleterf t\ a été trempé' (te= mes
larmes : tu me banderas les yeuï àV^c ce* «Mouchoir,
quand le moment sera venu; ce dernier service, je
veius l6 recevoir de mon Anna.
î.
Ah ! Melviè,. je ne pui$ ett tant snippoipter
MAlllE.
VeAéaS totis , venez et ^eceve:^ Wiôti dernier afefiéu.
ÇÊtiëleut tèndld main et ckcwwi à sdfï Wiir é& jette
à ^s pieds et lui bahe Itt nfUiin eti scthglotant. )
Adieu, Margueritte^; Alix*, ttêàtvt. Je Vous rem^iHiie
de vos fidèles soins, Burgoyn. Ta bouche est brû-
lante, Gei^trude; j'ai été bien haie, m«is aus^' bi^n
aiftiée. I^iisse u« noble époux rendref heur^Uee* wm:
Gerfrude, car son cœur passionné a besoin d'aHM>ur«
Bertbe^ tU as pris la meilleure part, tu seras la dinste
épouse du ciel ; hâte-toi d'accomplir ton vœu j les
biens de ce monde sont trompeurs , ta reine peut te
l'apprendre. C'est assez; adieu,adieu> éternel adieu.
(Elle s'élôigp'e'ireux'. Tons se rètîrehf , hormis Melvîl.)
34» MARIE STUART,
i
•»
SCÈNE VII.
/
MARIE, MELVIL.
MARIE.
J
Maintenant j'ai réglé tous mes intérêts terrestres,
et j'espère sortir de ce inonde quitte envers les
hommes. Il ne me reste plus qu'une chose, Mehil,
qui empêche nlon âme oppressée de s'élever avec
joie et liberté.
MELVlIi.
Dites-la moi , soulagez votre cœur , confiez vos
soucis à un fidèle ami.
MARIE.
Me voici sur le bord de l'éternité , bientôt je vais
comparaître devant le souverain juge , et je n'ai pu
encore me réconcilier avec le saint des saints. Od
me refuse un prêtre de mon église; je rejette la
céleste nourriture du divin sacrement offerte par
les mains d'un faux prêti'e. Je veux mourir dans la
croyance de mon église , car elle est la seule qui
puisse conduire au bonheur éternel.
MELVIL.
Calmez votre cœur ; le désir pieux et ardent est
compté au ciel comme s'il était accompli. La puis-
saince des tyrans ne peut enchaîner que les mainS)
mais la dévotion du cœur s'élève toujours librement
vers Dieu; la lettre tue et la foi vivifie.
MARIE.
Hélas! Melvil^ le cœur ne se suffit pas à lui*
ACTE V, SCÈNE VIÎ. 343
inéme; la foi a besoin d'un gage terrestre afin de
s'approprier les choses célestes et sublimes. Cest
ainsi que J)ïe\\ s'est fait. homme et a mystérieuse**
ment renfermé les attributs célestes et invisibles
sous une forme visible. C'est l'église , l'église sainte
et sublime qui forme l'échelle entre nous et le ciel;
elle se nomme universelle , catholique, parce que la
croyance de tous fortifie la croyance de chacun.
Lorsque des milliers de fidèles sont assemblés pour la
prière et l'adoration, alors la flamme s'élève du bra-
sier et l'âme sur des ailes de feu s'élance vers le ciel.
Ah ! heureux ceux qui, réunis dans la maison du Sei-
gneur, peuvent prier dans une douce communauté.
L'autel est préparé, les flambeaux allumés, la cloche
se fait entendre , l'encens est répandu , le prélat est
revêtu de ses habillemens pontificaux , il prend le
calice , il le bénit, il annonce le miracle sublime du
changement de substance , et le peuple plein de foi
et de persuasion se prosterne devant un Dieu pré-
sent. Hélas ! je suis seule, renfermée, la bénédiction
du ciel ne pénètre pas dans ma prison.
MELVIL.
Elle pénètre jusqu'à vous, elle s'approche de
vous; confiez-vous au Tout-Puissant. La verge des-
séchée peut pousser des rameaux entre les mains de
celui qui a la foi , et celui qui fit jaillir la source du
rocher peut élever ici un autel, peut tout à coup,
pour vous, changer le breuvage terrestre de ce
calice en un céleste breuvage.
( U prend la coupe qui est sliir la tablo. )
344 MARIE SXUART,
MJIBIS.
MelvîJ , TOUS ai'-je comfMris ? Oui , je tous entends.
Ici il n'est point de prêtre, point d'ëglise, point de
sainte table. Cependant le SauTeur n a-t-il pas dit :
(c Quand d^ux personnes seront assemblées en mon
nom y je serai au milieu d'elles? » Qu^est-ce qui
fait du prêtre l'oi^ene du Seigneur? c'est un cœur
pur, une Tertu san5' tache. Ainsi, soyez pour moi,
encore que tous ne soyez pas consacre, soyez comme
un prêtre , le messager de Dieu pour m'apporter la
paix; je Teux tous faire ma dernière confession et
reccToir de TOtre bouche Fassurance du salut.
MELVIL.
Puisque Totre cœur est anime d'une telle feryeur,
sachez, reine, que Dieu peut opérer un miracle
pour TOtite consolation. Il n'est point ici de prêtre,
dites-Tous, point d'église , point d'hostie l Vous vous
trompez ;. ici est un prêtre , ici est le corps de Jésus-
Christ, (y^ ces mots il découvre sa tête , et lui montre
une hostie dans un vase dor.) Je suis un prêtre,
j'entendrai Totre dernière confession, je tous annon-
cerai la paix sur le chemin de la mort. *Ma tête a
reçu les saintes onctions , et je tous apporte cette
hostie que le saint père a consacrée pour tous.
MABIE.
Ainsi, sur le seuil même de la mort, un bonheur
céleste m'était réserTé. Telle une créature immor-
telle descend d'un nuage d'or: tel l'ange délivra
jadis l'apôtre des chaînes et de la prison ; sans
qu'aucun Tcrrou , sans que le glaiTC des gardiens
pût l'arrêter , U s'aTança sans obstacle à traTcrs les
acte: t, scène vtd. 345
portes épaisses , et parutr ra.dÂeux au milieu du ca-
chot; tel ji9 n^i^agj^r du. ciel arrive iai inott.tendii ^
tandis que tous les terrestres libérateurs m avaient
abusée. Vous ^. autrefois mon serviteur^ vous, êtes
maintenant te serviteur du Dieu tout-puissaat et
son saint organe; autrefois yaus courbiez le genou
devant môî, aujourd'hui je me prosterne à vos pieds
dans là poussière,
CBtlcr SE n>i6t'à genoux.)
MELTIL fuit sur elle té signe de la croix.
Au nom du Pèi'è et du Fife et an Saint-Esprit , .
Marie , reine, àvea-vous interroge Votre cœur, jurez-
vous et promettez-vous de confesser la vérité au
Dieu de vérité. ?
MARIE;
Mon cœoiv'est d<tt»ert devant lui etdis«mn>t vc^m. *
MBLVIL.
Farles^ quek péehés- Tans rdprecire votre* con-
science , depuis la dernière fois que vous: toiis^ étes^
réconciliée avec Dieu ?
Mion cœur fut renrpli de haine et d'envie , et des;
pensers de v^Bgeance- s'agitèrent dans, mon^ seiou...
Moi, péeheiresse, j'espérais le pardon de Bîiea, et je
ne pouvais pardonner à nlon e&nomie*
MEIJVIL.
Vous repentez-vous de votre fiante , et sentez-vous
la ferme résolution de quitter ce mondie èans res-
sentiment?
MARIB.
• Que Dieu me retire son pardun , si- je n-- y suis sin-
cèrement: résoluev
346 MARIE STiJ ART,
MELTIL.
De quel autre péché vous accuse vôtre ecteur?
MAKIE.
Hélas ! Ce n'est pas par la haine seule que j'ai of-
fensé la divine bonté de Dieu. J'ai péché plus encore
pap un amour coupable; la vanité de mon cœur
fut séduite par un homme qui m'a infidèlemeut
abandonnée et trahie.
MELVIL.
Vous repentez-vous de votre erreur? et votre cœur
a-t-il quitté la vaine idole pour retourner vers
Dieu ?
MARIE.
Ce fut un dur combat que j^eus à livrer ; mais,
enfin , le dernier lien terrestre est rompu.
MELVIL.
Quelle autre faute encore vous reproche votre
conscience ?
MARIE.
Hélas ! une sanglante faute , confessée depuis long-
temps , revient me frapper d'une nouvelle terreur,
au moment de ce dernier examen , et semble se pla-
cer comme un ange sinistre entre les portes du. ciel
et moi ; j'ai laissé frapper le roi mon épouï , j'ai ac-
cordé mon cœur et ma main à son meurtrier. J'ai
expié ce crime par les plus rigom*euses punitions de
l'église , cependant le serpent qui dévore mon cœur
n'a pu s'apaiser.
MELVIL.
Et votre cœiu* ne vous accuse d'aucune autre
faute ^ que vous n'ayez ni confessée > ni expiée?
ACTE V, SCÈNE VII. 347
MARIE.
Maintenant vous savez tout^ j'ai soulagé mon
cceur.
MELVIL.
Vous allez paraître devant celui qui sait tout,
songez-y , songez aux peines dont la sainte église
menace une confession imparfaite. C'est une faute
qui mérite la mort éternelle , car c'est pécher contre
le Saint-Esprit.
MAKIE* f,
Si je vous ai rien tu de ce que je savais , puisse
l'éternelle bonté ne pas m'accorder la victoire dans
ce dernier combat.
MELVIL.
Eh quoi ! cachez-vous à votre Dieu le crime pour
lequel les hommes vous punissent? Vous ne me dites
rien de votre sanglante participation aux complots
de Parry et de Babington? Vous perdez, pour cette"^
action, la vie terrestre : voulez-vous quelle vous
coûté'encore la vie éternelle?
MARIE.
Je. suis prête à entrer dans l'éternité.... Encore
une minute, .et je paraîtrai devant le tronc de mon
juge; cependant je le répète, je n'ai rien omis dans
ma confession.
MELVIL.
Songez-y bien? Le cœur à ses détours. Peut-être
par un double sens adroit avez-vous évité de pro-
noncer les paroles qui vous auraient rendue cou-
^pable. Mais la volonté suffit pour qu'on soit cri-
minel Sachez qu'aucun subterfuge he peut
»^
343 MARIE STUART,
échapper au regard de feu cjui lit au fond de notre
âme.
IttARIE. -
JTai imploré tous les princes pour qu'ils m'affran-
chissent d'indignes liens. Mais jamais^ ni d'eifet^ ni
de pensée, je n'ai attenté à ïa vie de mon ennçinie.
HELVIt.
Alasi, le! téfinoignage de vesr secrétaidres esA {ani?
MARIE.
Je vous ai dit la vérité.... Que Dieu jime leur té-
moignage.
Ainsi vous montez sur réchafâûd", àsisurée de
votre innocence?
IKiea me fait la gnâice d'expierv pRa* uw ttépftà hOÉ
mérité, les^ sanglaiMes fautes de ma jeunesse^.
MTÉLt^'It U bétoit.
Allez, et que îa mort vous serve d^xpiation. Vic-
time obéissante, marchez à Fautel. La peine du
sang efface le crime du sang. Vous ne fûtes coupable
(^oepafi une fragilité de femwe,. et le^ esprits bi«B-
hreu«reu3^ sa dépQuiUeni dansdeiu' gloire de' toutes le»
fiEMJ»lessi69( do rhufmanité. ie \on» aniMniice donc, en
vertu du pouvoir qui m'a été donné, de li«t et de
délier, la rémission de tous vos péchés. Allez, et
q^'il vous soit Êiit ainsi que^ vous< avez- eruw ( //
prend le.calice qui est sur la^ table, le ConMore, et
r adore en silence, puis le présente à la reine. EUe
hésite à le prendre , et le repousse^ de la main. ) Pre-
ne^M ce si^ng qui 9^ été répaudui poui? vous , prénes;^
ACTE V, SCÈITE VIII. 349
le , le pape vous accorde cette faveur. Vous pouvez
en mourant jouir de ce sublime privilège et des rois
et des pontifes. ( Elle prend le calice. ) Et de même
qu'au milieu des terrestres douleurs vous vous êtes
mystérieusement unie avec votre Dieu, de même
dans son royaume de félicité, où Ton ne voit plus ni
larmes, ni péchés, vous serez comme un ange de
lumière unie pour toujours à la divinité. ( // pose
le calice. On entend du bruit; il couvre sa tête , et va
vers la porte. Marie demeure à genoux dans un saint
recueillement. ) Il vous reste encore un rude combat
à soutenir.' Vous sentez-vous assez forte pour triom-
pher de tout sentiment de haine et d'amertume?
MARIE.
Je ne crains plu? de rechute. J'ai immolé à Dieu
ma haine et mon amour.
MÇLVIL.
Apprêtez-vous donc à recevoir les lords Leicester
et Burleigh ; ils sont ici.
SCÈNE VIIL
Les précédens; LEICESTER, BURLEIGH et PAU-
LET. Leicester reste tout-à-fait dans Féloigne-^
ment sans lever les yeux. Burleigh , qui observe
sa contenance, s'avance entre la reine et lui.
BURLEIGH.
Lady Stuart , je viens recevoir vos derniers com^-
mandemens.
HARIS.
Je vous remercie , miiord.
.^iMm
35d
MARIE STUART,
BURLEIGH.
La Tolonté de ma Reine est qu'on ne vous refuse
rien de ce qui est juste*
MARIE.
Mon testament contient mes dernières volontés.
Je l'ai mis entre les mains du chevalier Paulet^ et je
demande qu'il soit fidèlement exécute.
V
PAULBT.
Soyez en repos sur ce point.
MABIE.
Je demande qu'on laisse mes serviteurs, sans
qu'il leur soit fait aucun mal, se rendre soit en
Ecosse , soit en France , là oii ils désireront et de-
manderont d'aller.
BURLEIGH.
Cela sera fait ainsi que vous le souhaitez.
MARIE.
Et puisque mon corps ne pourra reposer en
terre sainte , je souhaite qu'on permette à ce fidèle
serviteur de porter mon cœur à mes parens en
France. Hélas ! il y a toujours été.
BURLEIGH.
Cela sera fait. N'avez-vous rien de plus?
MARIE.
Portez à la Reine d'Angleterre mes adieux
fraternels. Dites-lui que , de tout mon cœur, je lui
pardonne ma mort; je me reproche avec repentir
mon emportement d'hier. Que Dieu la conserve et
lui accorde un règne heureux.
I
ACTE V, SCÈNE a. 35i
BURLEIGH.
Dites. étes-Tous revenue à une meHleure résolu-
tion ? Rejetez-Yous encore l'assistance du doyen?
MARIE.
Je suis réconciliée avec mon Dieu. Sir Paulet, je
vous ai contre mon gré fait beaucoup de mal, je
vous ai ravi l'appui de votre vieillesse. Ah ! laissez-
moi espérer que vous ne garderez pas de moi un
souvenir de haine.
PAULET lui prend la main.
Dieu soit avec vous ! Allez en paix.
SCÈNE ik.
Les précédens ; ANNA KENNEDI et les autres
femmes de la reine entrent , et laissent voir tous
les signes^ de la terreur. Le shérif les suit, une
baguette blanche à la main ; derrière lui, on voit,
par la porte qui reste ouverte, plusieurs hommes
armés.
MARIE.
Qu'est-ce , Anna ? Oui , voici le moment; le shé-
rif vient ici pour nous conduire à la mort , il faut se
séparer; adieu, adieu. (S es femmes s^ attachent à elle
avec désespoir; elle s^ adresse à MehiL ) Vous , mon
digne ami , et ma fidèle Anna, vous m'accompagne-
rez dans ce dernier moment. Milord, TQus ne me
refuserez pas cette faveur.
BURLEIGH.
Gela n'est pas en mon pouvoir.
352 MARIE STDURT,
MAKIï!.
lEii quoi ! me re&x^etez-^ons une si petite grâce?
Qui pourrait me reiidare ies derniers services ? Ja-
mais la volonté de ma sœur n'a pu être qu'on n'eût
point d'égard à mon sexe , et que 1^ mains gros-
sières des hommes m'approchassent.
BURLEIGH.
Aucune femme ne doit entrer avec vous dans la
salle de lechafaud ; leurs gémissemens, leui*s cris...
MABIE.
Elle ne fera point entendi^e de gémissemens ; je
réponds de la fermeté d'âme de mon Anna. Soyez
bon , milord ; ne me séparez pas , quand je vais
mourir, de ma fidèle nourrice , de celle qui a pris
soin de moi ; elle me reçut danfi ses bras quand je
vins à la vie , et sa douce main me soutiendra aa
moment de la mort.
Consentez-y.
BURLEIGH.
Eh bien , soit.
MARIE.
Maintenant je n'ai plus rien à démêler avec le
monde. ( Elle prend le crucifia: et le baise. ) Mon
Sauveur, mon libérateur, de même que tu as étendu
tes bras sur la croix , étends-les vers moi pour me
recevoir. ( Elle se retourne pour partir. En ce mo-
ment elle aperçoit le comte de Leicester, qui , invo-
lontairement a été troublé par ce départ , et qui ajei^
les jeux sur elle. A cet aspect^ Marie déviera trem-
blante; ses genoux fléchissent f elle est prête à tom-
ACTE V, SCÈNE IX. 35Î
ber; alors le Comte de Leicester la saisit et la soutient
dans ses bras. Elle regarde un moment as^ec gras^ité
et en silence; il ne peut soutenir son regard; enfin elle
parle. ) Vous me tenez parole , comte de Leicester ;
vous m'aviez promis votre bras pour sortir de cette
prison , et en effet vous me le prêtez aujourd'hui.
(// demeure comme ariéanti. Elle continue dune voix
plus douce.) Oui , Leicester; et ce n'était pas seule-
ment la liberté que votre main devait me donner;
vous deviez encore me rendre plus douce cette
liberté. Heureuse du don de votre main , heureuse
de votre amour, j'aurais joui de la félicité d'une
nouvelle existence. Maintenant que je suis sur le
chemin qui conduit hors de ce monde , et prête à
devenir un esprit céleste, qu'aucun terrestre désir
ne pourra plus séduire ; maintenant , Leicester ,
j'ose sans honte et sans rougeur vous avouer ma fai-
blesse et votre victoire. Adieu, et, si vous le pouvez,
soyez heureux. Vous avez osé prétendre à la main
de deux reines ; vous avez rejeté un cœur aimant et
tendre , vous l'avez trahi afin d'obtenir un cœur or-
gueilleux ; allez aux pieds d'Elisabeth , et puissiez-
vous ne pas trouver votre punition dans la récom-
pense même que vous attendez! Adieu, je n'ai plus
maintenant aucun intérêt sur la terre.
( Elle marche, le shérif devant elle , Melvil et la nourrice k ses cÂtés ; Burleigh et Paur
let la suivent; les autres personnages la suivent des yeux, avec desespoir, «t, «{uand
Wle a disparu, ils se retirent par les autres portes. )
ToM. m. 23^
354 MAllIE STUART,
SCÈNE X.
LEICESTER demeure seul.
Je \is encore, je supporte encore de vivre !ces
voûtes ne m'ont pas encore écrasé de leur poids! un
abîme nes'ouvre pas pour engloutir le plus misérable
des hommes ! Ah ! qu ai-je perdu ! cjuel trésor j'ai re-
jeté ! quel bonheur céleste j'ai repoitôsé loin de
moi ! Elle part, telle déjà qu'un ange de lumière^et
me laisse en proie aux tourmens des damnés. Quest
devenue cette résolution que j'avais apportée ici, d'é-
touffer le sentiment et la voix du cœur , de voir
tomber sa tête avec un regard assuré ? Son aspect
a-t-il réveillé en moi la conscience de mon opprobre;
et, mourante , doit-elle exercer sur moi tout le pou-
voir de l'amour ? Ah ! réprouvé, il ne te convient plus
de t'abandonner à une pitié de femme ; il n'y a plus
pour toi: de bonheur d'amour : arme ton cœur de la
dureté du fer, que ton front soit d'airain. Si tune
veux pas perdre le salaire de ta honte , persiste ,
va jusqu'au bout ; que la pitié soit muette , que
mon œil soit de pierre; je veux la voir tomber, je
veux être témoin ... (// marche d-un pas ferme vers /fl
porte par ou Marie est sortie ; il s'arrête ffu milieu
du chemin. ) C'est en vain , c'est en vain ! une hor-
reur infernale me saisit ! Je ne puis , je ne puis con-
templer ce terrible spectacle, je ne puis la voir mou-
rir! Écoutons... Qu'est-ce ?... . ils sont en bas !... sous
mes pas s'apprête l'horrible exécution !... j'entends
des voix ! Sortons, sortons hors de ce séjour de l'ef-
ACTE V, SpÈKE XI. 355
froi et de la mort. ( // veut sortir par une des portes
de côté; il la trouve fermée , et revient. ) Quoi ! un
Dieu m'enchaîne-t-il en ce lieu ? faut-il que j'en-
tende cegque j'ai horreur de voir ?..• C'est la voix du
doyen !.. il l'exhorte; . . . elle l'interrompt ; écoutons. . .
Elle prie d'une voix haute et assurée ; . . . on se tait ;^ je
n'entends plua rien ; ... je ne distingue que des san-
glots : les femmes pleurent;... on écarte son vête-
ment... on retire le siège... elle se met à genoux sur
le coussin • • . elle pose la tête. . .
( Il prononce les derniers mots arec une angoisse toujours croissante. Il s'arrête un mo-
ment; on le Toit tout & coup , en proie à une émotion déchirante, tomber sans mou-
vement. Alors on entend le bruit sourd de voix éloignées, qui retentit long-temps. ) -
SCÈNE XL
Le théâtre représente la second appartement du quatpiëme acte.
ELISABETH entre par une porte de côté. Sa dé-
marche et ses gestes expriment une vive inquié-
tude.
Encore personne ici. . . . Aucune nouvelle edcore. . . .
La fin du jour n'arrivera point. Le soleil a-t-il donc
suspendu sa course céleste?.... Je ne puis supporter
plus long-temps cette attente , cette angoiss&w C'en
est-il fait? ou bi^n au contraire? Je frissonni^ égà-**
lement de ces deux idées ^ et jç. n'ose interroger perW
3onne. Le comte Leicester et Fnrleigh, que j'ai
choisis pour l'exécution de la sentence, ne se mon--
trent ni l'un ni l'autre.... Sont-il& partis de Londres?
S'il en est ainsi, la flèche est lancée; elle vole au
but y elle a frappé, et au prix de tout mon royaume,
je ne pourrais plus l'arrêter. Qui vient ici?
356 MARIE STUART,
SCÈNE XIL
ELISABETH , UN PAGE.
ELISABETH.
Tu viens seul.... Oîi sont les lords?
LE PAGE.
Mxlord Leicester et le grand trésorier,...
ELISABETH, avec la plus vive impatiance.
Où sont-ils?
LE PAGE.
Us ne sont pas à Londres.
ELISABETH.
i
Us n'y sont pas.... Où donc sont-ils?
LE PAGE.
I
I
Personne n'a pu me l'apprendre. Vers la pointe
du jonr^ les deux lords ont secrètement , et en toute
hâte ; quitté la ville.
ELISABETH, avec une vive explotion.
Je suis Reine d'Angleterre!... (Se promenant ça
et là avec une extjrêfne agitation. ) Va ! . . . appelle ! . . . .
Non!.... demeure !.... Elle est morte.... Maintenant
enfin y je suis au large sur la terre.... Pourquoi
trembler? D'où peuvent venir ces angoisses? Le tom-
beau a renfermé toutes mes craintes y et qui oserait
dire que c'est moi qui suis coupable ?. . . Je ne man-
querai pas de larmes pour pleurer celle qui a suc-
combé. {Au Page.) Encore ici? Que Da vison, mon
ACTE V, SCÈNE XIII. 357
secrétaire d'ëtat^ se rende sur-le-champ près de
moi.... Qu'on avertisse le comte de Schrewsbury....
Ah ! le voici lui-même.
( Le page sort. ) -
SCÈNE XIIL
ELISABETH, TALBOT,
ELISABETH.
Soyez le bienvenu, milord. Quel motif vous
amène? C'est assurément quelque soin important
qui conduit ici vos pas à une heure si tardive.
TALBOT.
> Grande Reine , entraîné par un cœur soucieux et
inquiet pour votre gloire , je suis allé aujourd'hui à
la tour, où sont renfermés Nau et Kurl , les secré-
taires de Marie; je voulais encore une fois éprouver
la vérité de leurs ténioignages ; interdit, embarrassé,
le lieutenant de la tour se refuse à me montrer les
prisonniers ; mes menaces seules me font obtenir
l'entrée.... Dieu! quel spectacle s'offre à ma vue!
La chevelure en désordre, l'œil égaré, tel qu'un
homme tourmenté par les furies, l'Écossais Kurl
gisait sur son lit.... A peine le malheureux me re-
connaît, qu'il se précipite à mes pieds, il presse
mes genoux , il se roule avec désespoir, il s'écrie et
me supplie , me conjure de lui apprendre le sort de
sa reine Et le bruit qu'elle était condamnée à
mort avait pénétré jusque dans les murs de la pri-
son. Quand je lui eus dit la vérité, ajoutant que
c'était son témoignage qui la faisait mourir iilfrs
358 MARIE STUART,
il s'est élance avec rage , s^est précipite sur son cam-
pagnon , l'a terrassé avec la force prodigieuse d'un
frénétique, et s'efforçait de l'étouffer A peine
avons-nous pu arracher le malheureux de ses mains
fui^ieuses. Alors il a tourné sa rage contre lui-même, il
s'est frappé la poitrine à coups redoublés , blasphé-
mant et maudissant et lui et son compagnon..... 11 a
fait un faux témoignage ; les malheureuses lettres
écrites à Bajbington, dont il avait juré la vérité, sont
supposées. Il a écrit d'autres paroles *4|ue celles qui
lui étaient dictées par la reine. Le misérable Nau
l'y avait incité.... Puis il a couru vers la fenêtre:
d'un bras furieux il l'a ouverte et a crié dans la rue^
devant tout le peuple assemblé , qu'il était le secré-
taire de Marie, un scélérat qui l'avait faussement
accusée, un misérable réprouvé, un faux témoin.
ELISABETH.
Vous-même dites qu'il était hors de sens : les pa-
roles d'un furieux, d'un insensé ne prouvant rien.
TALBOT.
Son égarement est la plus forte preuve. Reine!
je vous en conjure, ne précipitez rien.... Ordonnez
qu'on fasse de nouvelles recherches.
ELISABETH.
J'y consens.... puisque vous le désirez, comte;
car pour moi je ne puis croire que les pairs de la
Grande-Bretagne aient prononcé légèrement dan^
cette affaire.... Mais, pour mettre votre âme en
repos, on recommencera les recherches.*.. Heureu-
sement, il en est temps encore.... Aussi-bien, l'ton-
ACTE V, SCÈNE XIV. SSg
neur de mon trôae ne permet pas qu'on laisse sul>>
sister Fombre d'un doute.
SCÈNE XIV.
Les prëcédens; DAYISON.
ÉLISÂB£tH.
La sentence, Dayison, que j'ai remise entre vos
mains • où est-elle ?
DAYISON, avec un extrême ^tonnement.
La sentence !
ELISABETH.
Hier je tous la donnai en garde.
DAVISON.
En garde!
ELISABETH.
Le peuple ameuté exigeait que je signasse..^. J'ai
dû céder à sa yplonté.... Xai signé; mais j'ai signé
par contrainte. J'ai remis la sentence entre vos
mains ; je voulais gagner du temps.... Vous savez ce
que je vous ai dit.... Maintenant, remettez-la-moi.
TALBOT.
Remettez-la, sir Davison, les choses ont changé'
de face.... On va de nouveau examiner l'affaire.
ELISABETH.
Pourquoi réfléchir si long-tempe? où est la $€»^
tence ?
DAVISON, aiidâei^ir.
Je suis perdu, je suis mort.
36c MARIE STUART,
ELISABETH viTement.
J'espère, sir Dayison , que vous n avez pas.. «4
OAVISON.
Je suis perdu , je n'ai plus la sentence*
ELISABETH.
Comment! Eh quoi?...
TALBaT.
Ah ! juste Dieu!
D AVI SDK.
Elle est entre les mains de Burleigh.... déjà depuis
hier.
ELISABETH.
Malheureux!.... est-ce ainsi que vous m'avez
obéi?... Je vous avais sévèrement commandé de la
garder.
* DAVIS05.
Vous ne me l'avez point ordonné ^ Reine.
ELISABETH.
Oses-tu bien me démentir, misérable? Quand
vous ai-je ordonné de remettre la sentence à Bur-
leigh?
DAVISON,
Non point en termes exprès et clairs — Mais....
ELISABETH.
Scélérat!... Tu as osé interpréter mes paroles....
Tqii propre sang m'en répondra..,. Malheur à toi
s'il est advenu quelque malheur de ce que tu as
fait de ton propre mouvement ; tu le paieras de ta
vie.*..* Comte de Schrewsbury, vous voyez c(xaiM
on a abusé de mon nom.
-/
ACTE V, SCÈNE XV. 36i
TALBOT.
Oui^ je Vois.... Ah ! mon Dieu!
ELISABETH.
Que dites-vous?
TALBOT.
Si Davison a pris ce parti de son chef, et a mé-
connu son devoir ; s'il a agi sans votre aveu , il doit
être traduit devant le tribunal des pairs , pour
avoir livré votre nom à Fhorreur des siècles.
SCÈNE XV.
Les précëdens; BURLEIGH, puis KENT.
BURLEI6H, courbant le genou devant la Reine.
Dieu conserve long-temps les jours de ma souve-
raine , et puissent tous les ennemis de cette île finir
comme Marie.
( TaHwt se cache le visage. Davison se tord les mains avec désespoir. )
ELISABETH.
Répondez , milord ; est-ce de moi que vous avez
reçu Tordre de l'exécution?
BURLEIGH.
Non, Reine j je l'ai reçu de Davison.
ELISABETH.
Est-ce en mon nom que Davison vous Fa remis ?
BURLEIGH.
Non, ce n'est pas en votre nom.
36a . MARIE STUART,
ELISABETH.
Et TOUS vous êtes empressé de 1 accomplir, sans
TOUS informer d'abord de ma volonté ! La sentence
était juste, ainsi le monde ne peut nous blâmer;
mais vous appartenait-il de prévoir la clémence de
mon cœur? Vous êtes banni de ma présence. {JDa-
vison. ) Une sévère justice vous attend , vous qui
avez si criminellement excédé vos pouvoirs , qui
avez abusé du dépôt sacré de ma confiance. Qu on le
mène à la Tour ; ma volonté est qu'il soit poursuivi
pour crime capital. Mon noble Talbot, parmi mes
conseillers , il n'y a que vous que j'ai trouvé juste;
soyez désormais mon guide, mon ami.
TALBOT.
Ne bannissez point vos fidèles amis, ne jetez point
en prison ceux qui n'ont agi que pour vous , et qui
maintenant se taisent pour vous. Mais, pour moi,
grande Reine, permettez que je remette entre tos
mains les sceaux qui me furent confiés par vous
pendant douze années.
ELISABETH interdite.
Non , Schrewsbury ; vous ne m'abaadonnerez pas
maintenant, aujourd'hui...
TALBOT.
Pardonnez, je suis trop vieux; et cette main gla-
cée par l'âge ne pourrait sceller vos nouveaux actes.
ELISABETH.
Quoi ! l'homme qui m'a sauvée , qui a préserve
ma vie , voudrait m'abandonner ?
ACTE V, SCÈNE XV. 363
TALBOT.
Ce que j'ai fait est peu de chose. Je n'ai pu pré-*
server la plus noble part dé vous-même. Vivez , ré-
gnez heureuse ; votre rivale n'est plus, vous n'avez
maintenant plus rien à craindre, vous n'avez plus
besoin de rien respecter.
(Dsort.)
ÉLIS A BETH , au comte de Kent qui entre.
Que le comte de Leicester vienne ici.
KENT.
Excusez, madame, le comte vient de s'embar-
quer pour la France.
( EUe se contient, et montre une contenance affermie. La toile tombe. )
FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE.
SÉMÉLÉ,
EN DEUX SCENES.
"*" * ■^^*^*'*^^^^^^^^*********""*''"*""*'n^"*^~*'i'>il'^Tiri-|itriri(irninTinn i ViT>rtrifiiim.^m i ^wi'inrn
PERSONNAGES.
JUNON.
SÉMÉLÉ, princesse de Thy>es.
JUPITER.
IfERCURE.
L'action le poste dont le paUU* de Cadmus , à Tlièbes.
SÉMÉLÉ.
SCÈNE PREMIÈRE.
JUNON. Elle descend de son char environne d'un
nuage.
r\ETouRNEz sur les sommets nuageux du Cithéron^
oiseaux de Junon qui traînez son char aile. (Le char
et les nuages disparaissent. ) Je te salue y palais que
déteste ma colère ; je tous salue de ma haine, voûtes
odieuses y murs abhorrés ! C'est donc ici le lieu où
Jupiter 9 en présence de la chaste lumière du jour,
outrage les lois nuptiales. C'est ici qu'une femme ,
une mortelle, une créature formée de poussière, ose
ravir à mes bras le maître du tonnerre et le retenir
sur son cœur. Junon, Junon, tu demeures seule , tu
demeures abandonnée sur le trône du ciel. En vain
fument tes autels , en vain se prosternent les hu-
mains : que sont les honneurs sans l'amour? qu'est le
ciel lui-même sans l'amour ? Malheureuse l déjà, pour
humilier ta fierté , Vénus ne s'est-elle pas élevée de
l'écume de la mer , et n'a-t-elle pas séduit les
dieux et les hommes de son regard enchanteur?
malheureuse ! et pour accroître tes ennuis , il a fallu
qu'Hermione devînt féconde , et que sa fille anéantît
ton bonheur !
Ne suis^je pas la reine des dieux ^ la sœur du dieu
■■
368 SËMÉLÉ,
tonnant, 1* épouse du dieu tout-puisâant? Les cietil
ne roulent-ils pas sur leur axe à mon commande-
ment? ma tête n'est-elle pas ornée du diadème de
rOlympe?
Ah ! je le sens, dans mon immortel cœur bouillonne
le royal sang de Saturne. Vengeance! vengeance!
]Mraura-t-elle impunément bravée ? aura-t-elle im-
punément je^é le trouble parmi les dieux immortels,
et appelé la discorde dans les bienheureuses de^
meures du ciel? Femme imprudente et vaine, meurs,
et que les eaux du Styx t'enseignent la différence de
la divinité à la poussière mortelle ! Tu seras écrasée
sous ton audacieuse entreprise; ton ambition impie
te précipitera.
Le cœur enduixi parla vengeance, je descends du
haut Olympe ; je veux avec des paroles douces, flatteu-
ses, insidieuses^ introduire ici le désespoir et la mort.
J'entends ses pas; elle approche, elle approche de
sa perte certaine, elle approche du précipice...
Cachons notre divinité sous une apparence mortelle.
( Elle sort. >
9 9 9
, SEMBLE arrive sur la scène.
Le soleil baisse déjà. Accourez, jeunes filles, par'
fumez cette salle avec les doux parfums de l'amhre,
répandez-y les roses et les narcisses; n'oubliez point
les tapis couverts de broderies dorées.— Il ne vient
pas encore ! l^e soleil baisse déjà.
J^UNON , tous la forme d'une femme âgée.
Loués soient les dieux, ma fille !
SEMÊLE.
Eh quoi ! serait-ce un songe ? Dieux ! Béroé !
i
SCÈNE I. ' 369
JUNON.
Auriez-vous , Sémélé , oublié Totre vieille nour-
rice ?
Beroë ! dieux tout-puissans... laisse-moi te presser
sur mon cœur. . • C'est ta fille ! tu vis ! qui t^a conduite
yers moi , du séjour d'Épidaure ? tu yis ! n'es-^tu pas
encore^ n'es-tu pas toujours ma mère?
JUNON.
Oui, ta mère... autrefois tu me nommais ainsi,
S£nEIiEta
Oui, tu Tes encore. Tu demeureras près de moi
jusqu'à ce que tu descendes aux rires du Lëthé*
JUNON.
Bientôt Béroë ira boire l'oubli dans les flots du
Léthé ; mais la fille de Cadmus ne boira jamais les
eaux du Léthé.
S£M£Xi£«
Que dis-tu, amie? jadis tes discours n'étaient pas
ainsi obseurs et mystérieux. L'esprit prophétique
des cheveux blancs t'inspire-t-il ? Je ne boirai ja-
mais, dis-tu, dans les eaux du Léthé?
JUNON.
Oui, je le dis ainsi. Tu railles mes cheveux
blancs. Ils n'ont pas , il est vrai , enchaîné un dieu
comme a fait ta blonde chevelure.
S£]tt£Ii£*
Pardonne à des paroles légères; Comment raille-
rais-j e les cheveux blancs ? les miens flotteront-ils ton-
Tw. IIL 24
370 SÊMÉLÊ,
jours sur mes épaules en anneaux dores? Mais que
'murmurais-tu entre tes dents? Un dieu?
JUNON.
Ai-je dit... un dieu ? les dieux ne sont-ils point pr-
tout? il convient aux faibles humains de les adorer:
les dieux sont ok tu es , Sëmélë. Que me deman-
des-tu ?
SÊMKLÉ.
Esprit malicieux ! mais parle , quel motif ta
conduite d'Epidaure ici? Ce n'est pas uniquement
parce que les dieux habitent près de Séméië?
JUNOF.
Par Jupiter! c*est mon seul motif...*. Quelle mi
geur subite a colore ton visage, lorsque j'ai prononce
le nom de Jupit^^? Non , ma -fille , nul autre motif.
La contagion lait à Épidaure de terribles ravages;
chaque souffle est un mortel poison, chaque créature
exhale la mort; la mère ensevelit son fils, et Fépui
sa fiancée; la flamme des bûchers éclaire les nuitsà
l'égal du jour; des gémissemens sans fin retentissent
dans l'air; le malheur est sans bornes. Le souve-
rain des dieux regarde notre malheureux peuple
d'un œil irrité; en vain coule le sang des victimes,
en vain le prêtre se traîne à genoux vers son autel,
son oreille est sourde à nos plaintes. Cest pourquoi
ma patrie désolée m'envoie vers U fille de Cadmos,
pour obtenir d'elle ki fin tie nos maux. Béroê,
ont-ils dit , a un grand pouvoir sur Sémélé sa fiU^*
Sémélé a un grand pouvoir sur Jupiter. Je ne sais
rien de plus ^ «t ne puis comprendre ce qu'ils ont
j
SCÈNE I. 371
voulu dire en parlant du grand pouvoir de Sëmélé
sur Jupiter,
SÉMÉL^, Tivement et sans rtffleûoD.
Demain la contagion cessera.... Dis au peuple que
je suis aimée de Jupiter.... Pi^-luji que la contagion
doit cesser dès aujourd'hui.
J U fif O N , en |no^tra^t d« IVloanemeot.
Ah ! il est donc vrai ? Ce que répète la renommée
aux cents voix depuis Flda jusqu'à l'Hémus^ est donc
vrai? Jupiter t'aime? Jupiter vient à toi avec tout
cet éclat qu'il déploie aux yeux de r01ym|)e étonné^
lorsqu'il presse dans ses nras, la fille de Saturne....
Grands dieux ! vous pouvez maintenant faire des-
cendre ma vieillesse aux enfers J'ai assez vécu
Le sublime fils de Satm^ne descend dan^ sa diyine
gloire , vers celle que mon sein a autrefois Qourri^ 9 '
vers celle....
SÉMëLE.
Béroë ! Il vint sous la forme d'un beau jeune
homme ^ plus charmant que Tithon ^'échappant des
bras de l'Aurore ; plu« célesta et plus pur qu Hesr-
perus f lorsque baigné des flots de l'Êther il exhale
un doux parfum ; sa démarche était grave et ma-
jestueuse, comme celle d'Apollon , quand s^s flèches ,
son arc et son carquois résonnent sur ses épaules ;
une draperie éclatante de lumière flottait derrière
lui y telle que les vagîmes d'argent déroulées par le
zéphyr sur la surface de l'Océan . 8a vo^x était cpçime
le murmure argentin d'un clair ruisseau, et plus
ravissante que les sons de la lyjriQ d'Orphéç.
372 SÉMÉLÉ,
JDNON.
Ah ! ma fille I . . . . L'inspiration de ton cœur te
donne la verve poétique. Ah ! quel bonheur ce doit
être que de l'entendre ! Que son aspect doit être di-
vin y si un souvenir passager suffit pour te jeter dans
le ravissement de la Pythie. Mais quoi ! tu me tais ce
qui est le plus sublime. Ne veui-tu rien me dire de
la céleste pompe du fils de Saturne , de l'éclatante
majesté de sa foudre , qui brille à travers les nuages
déchirés? Deucalion ou Prométhée ont su aussi créer
des charmes séduisans.... Jupiter seul peut lancer
le tonnerre ; la foudre qu'il dépose à tes pieds , la
foudre , c'est là ce qui atteste que tu es devenue la
souveraine de l'univers.
- Comment! que dis-tu? Pourquoi parler ici delà
foudre?
JUNON, souriant.
Sémélé ! tu sais railler avec grâce.
Ah I Jupiter ; tel que je l'ai vu, est trop divin pour
ressembler à un fils de Deucalion.... Mais je ne sais
rien de la foudre.
JUNON.
Tu es jalouse de ton bonheur.
Non , Béroë ! par Jupiter.
JUNOH.
Tu me le jures ?
Oui , par Jupiter I par Jupiter adoré I
SCÈNE. I. 373
JUNON, vivement.
Tu me le jures ^ malheureuse !
s É MÊLÉ, inquiète.
Que dis-tu, Béroë?
JUNON.
Répète encore une fois cette parole ! elle fait de
toi la plus malheureuse créature de ce vaste univers !
Ce n'est point Jupiter. Tu es perdue.
9 9 9
Ce n'est point Jupiter? Ah ! quel effroi!
JUNON.
C'est quelque imposteur de l'Âttique , qui , sous
une divine apparence ^ t'a dérobé l'honneur , Tinno-
cence et la pudeur. (^Semélé s^ évanouit). Oui, tombe !
tombe pour ne te relever jamais ; qu'une nuit éter-
nelle voile tes yeux ! puisses-tu vivre dans un éter-
nel silence , et rester immobile ici comme un ro-
cher. honte! honte! la chaste lumière du jour
recule épouvantée vers le sombre royaume d'Hécate?
Dieux ! ô dieux ! Béroë devaitnelle donc , après seize
années d'une triste séparation, retrouver ainsi la
fille de Cadmus ?. . . . J'étais venue joyeuse d'Épidaure ,
dois-je retourner humiliée à Épidaure ? Y rapporter
le désespoir ? O douleur ! ô ma patrie ! la contagion
peut exercer paisiblement ses ravages jusqu'à un
second déluge ; elle peut entasser les cadavres aussi
haut que les sommets de l'OEta ; toute la Grèce peut
se changer en un vaste tombeau , avant que Sémélé
puisse apaiser la colère du dieu. Toi , la Grèce,
moi , tous , nous avons, été abusés !
374 SËMÉLÉ,
s É MÊLÉ M reUre tremblante et lui tend les hn».
Ah ! chère Béroë !
JUNON.
Ranime-toi , mon enfant ! peut-être est-ce Jupi-
ter? Cela n'est pas vraisemblable; mais cependant,
c'est peut-être Jupiter. Nous devons nous en assu-
rer. Il faut qu'il se dévoile à toi^ ou tu fuiras pour
toujours sa rencontre, et tu livreras son forfait à
la vengeance sanglante des The'bains Regarde-
moi , chère fille , regardé ta chère Béroë , lis dans
ses yeux toute ^a tendt*esiie.... Ne veux-tu pas cher-
cher à le connaître ?
Nort , ce n'est pas lui que je verrais.
Serais-tu donc moins malheureuse, en restant
dans le supplice du doute? Et si cependant il était
vrai que Jupiter....
SSME L É , cachant sod visage dans le seîn de Judod.
Hélâs ! ce n'est pas lui.
JUHOlï.
Si , avec tout l'êclàt dont il brille dans FOlympe,
il siè montrait devant toi? Alors, Se'mélé, te repcn-
tîrais-lu d'avoir tenté cette ëpreuve ?
s É MELE, avec chalear.
Ah ! s'il se dévoilait !
JUJNÔN, vtvem«bt.
Avant de te presser dans ses brafe , ii Faut qu'il se
dévoile.... Écoute, ma chère fiUe, le conseil sincèit
SCÈNE L 375
de ta fidèle nourrice. L'amour Tient de m'inspir^r
ce que Tamour doit accomplir.... Parle > dois-tu U
revoir bientôt?
SéMÉLÉ.
Il m'a promis de me revoir avant qu'ÂpoUon
descende chez Téthys.
JUNON, vivement, tt onMiantipnd^uiseinent.
Ah ! il Fa promis ? cela est*il vrai ? il doit v^uir
aujourd'hui? {Elle se re/n^^. ) Laisse-le venir, et lors-
que , dans l'ivresse de son amour il voudra te serrer
dans ses bras, alors , écoute-moi bien : tu te retire-
ras promptement et avec effroi. Combien ii sera
surpris ! Ne lui laisse pas le temps, ma fille, de re->
venir de sa surprise , et ordonne-lui , avec un oeil
glacé, de se retirer. Agité, furieux, il te pressera :
les refus d'une belle, ne sont qu'une digue opposée au
torrent de la passion, qui n'en devient que plus im-
pétueux... Tu fondras en pleurs. Il peut résister aux
géans , il peut d'un œil tranquille, regarder Typhée
aux cent bras entassant dans sa fureur Ossa sur
Olympe pour reconqu^ir le trône paternel; maifi Ju-
piter cède aux larp^es deia beauté. Tii souris. Ah ! fé-
colière en «ait plus sur cela que sa maîtresse. Alor» tu
supplies le dieu de t'accorder une faveur toute légère,
toute innocente , qui signalera et son amour et sa
divinité : il faut qu'il en jure par le Styx ; le Styx
est attesté, il ne peut se délier -de son serment.
Alors tu diras : <c Je ne puis rien Raccorder jusqu'au
M moment, oà avec le même éclat dont tu es eAvi<*
j) Tooné en embrafisant la fille 4e Saturne 1 tu te
n présenteras à la &le de Cadmug. n Ne te UkM
376 SÉHÉLÉ,
point effrtLyer, Sëmëlé, lorsque, pour te faire renon-
cer à ton souhait, il te présentera, comme ëpouTan-
tail, la majesté terrible de sa présence, les flammes
qui éclatent autour de lui , les tonnerres qui reten-
tissent k son commandement. Ce sont .de yaines
frayeurs, Sémélé, que les dieux avares de leur
splendeur excitent parmi les hommes. Demeure
invariable dans ta demande , et Junon elle-même
te verra d'un œil d'envie.
Odieuse déesse aux yeux de génisse ! il a souvent
dans ses momens de tendresse gémi près de moi de
ce qu'elle lui faisait souffrir par. ses sombres empor*
temens.
JtJNON, à part, avec chagrin et colère*
Ah I misérable ! la mort pour cet outrage !
Quoi, chère Béroë^ que murmures-tu?
JUNON, irritée.
Rien , chère fille , et moi aussi je suis d'une som^
bre humeur. Un regard sévère et pénétrant est
souvent traité par les amans de sombre emporte-
ment; et des yeux de génisse peuvent ne pas être
sans quelque charme.
S£M£L£.
Ah ! Béroë, en est-il qui puissent davantage en-
laidir une femme ? et ce visage pâlissant et jauni,
coloré par le venin de l'envie? Jupiter se plaignait
à moi que son amour importun et jaloux ne lui
laissait pas une nuit de repos , et que le tourment
SCÈNE I. 377
de ses caprices avait transporté dans l'Olympe là roue
dlzion.
JUNON troublée, et ne pouvant contenir sa eolire.
C'en est assez ! ^
s Cl H ïïià L £•
Quoi , Beroë ! pourquoi tant d'amertume ? en ai-
je dit plus que la yërité , plus que la prudence ne
permettent ?
JUNON.
Tu en as dit plus que la vérité , plus que la pru-
dence le permettent ; jeune fille , estime*toi heureuse
si le doux éclat de tes yeux bleus ne te conduit pas
bientôt dans la barque infernale. La fille de Saturne
a aussi des temples et des autels; elle descend aussi
cKez les mortels. La déesse se venge Surtout d'un
insolent dédain.
» » » ■
Sï)M£IjE««
Qu'elle descende ici et soit témoin de mon dédain^
que m'importe? Mon Jupiter adoré me protège, et Ju-
non pourrait-elle ôter un cheveu de ma tête ? Mais
n'en parlons plus , Béroë ; Jupiter paraîtra devant
moi aujourd'hui dans toute sa splendeur, et quand la
fille de Saturne en devrait de dépit prendre le che-
min des enfers. . .
JUNON, à part.
Ce chemin une autre le trouvera avant elle , si
le tonnerre du maître des dieux vient à l'atteindre...
(^A Sémélé. ) Oui , Sémélé , elle pourra bien sécher
d'envie, lorsque la fille de Cadmus, aux yeux de
toute la Grèce, s'élèvera en triomphe vers l'Olympe.
SEMELE, avec un léger sourire.
Toute la Grèce parlera de la fiille de Cadmus ! Y
penses-tu?
1
S78 SÉMÉLÉ,
JUNON.
Comme si , depuis Sidon jusqu'à Athènes , on par-
lait déjà d'autre chose ? Semélé , les dieux , les dieni
mêmes descendront du ciel , les dieux s'inclineront
devant toi ; les mortels dans un respectueux silence
se prosterneront devant la fiancée du vainqueur des
geans , et , se tenant dans un timide éloignement...
s ÉM ÉLÉ, transportée de joie , Teaibrasse.
Béroë!
JUNON.
Et l'immortalité ! Un marbre éclatant annoncen
à Van tique univers: « Ici est adorée Séraélé ; Semélé
la plus belle des femmes, qui par ses caresses attira
de rOlympe le maître du tonnerre et sut Tenchainer
sur la terre. » La renommée dans son vol bruyant
fera mille fois retentir la mer et les montagnes...
SEMÉLÉ, hors d'elle-même.
La Pythie ! Apollon ! et dès qu'il aura seulement
paru?
JUNON.
Et sur les autels fumans tu seras honorée par les
mortels comme une divinité*
SÉMÉLÉ, transportée.
Et je pourrai les exaucer ! J'apaiserai san cour*
roux par mes prières; j'éteindrai sa foudre avec
mes pleurs , je leur rendrai le bonheur.
JUNON,i|»art.
Pauvre insensée , cela ne sera jamais. (Elle ré'
Jlechit. ) Serais-je attendrie ? Non , elle a parlé de
ma laideur; non^ sans pitié! auxenfeis. {ji Sémâé)
Hâte-toi^ hâte-toi seulement , ma fille, que Jupiter
SCÈNE I. 379
ne sache rien de ceci. Fais-le long-temps attendre ,
pour accroître son ardeur.
» f /
SEMELjE.
I
Béroë , le ciel a parlé par ta bouche. bonheur !
Les dieux descendent de l'Olympe et s'inclinent
devant moi, et leà mortels dans un iTSpectueux
silence. . . Âh ! laisse*moiy laissse-moi^ je Vais te quitter.
( Ell« sort. )
JUNON , la suivant des jeux d^nn air de triomphe.
Faible et orgueilleuse femme , si facilement abu-
sée! le feu dévorant de ses yeiix t'embrasera; ses
caresses te réduiront en poudre , ses embrassemens
t'envelopperont comme la tempête ! La forme mor-
telle ne peut soutenir la présence de celui qui lance
le tonnerre. Ah ! (dans un transport de fureur )
lorsque son faible corps, pressé dans les bras du
dieu y st fondra comme la cire devant la flamme, ou
la neige devant les rayons du soleil ; lorsque le par-
jure, au lieu de sa douce éi délicate maîtresse,
n'embrassera que la mort causée par son terrible as-
pect , combien , du sommet du Cythéron, mes yeux se
repaîtront de ce spectacle ! je lui crierai: Fils de Sa-
turne, tes embrai^semens sont cruels! et la foudre
tremblera dans sa main !
( tu» tort.)
38o SEMÉ LÉ,
SCÈNE II.
ta
Une salle du palais : tout à coup une vive clarté se répand.
JUPITER^ sous la forme d'un jeune homnoie; MER-
CURE dans rëloignement.
JUPITER.
FilsdeMaïal
MERCURE , i^indinaat tt Vtittant h Ut».
Jupiter I
. JUPITER.
Allons , hâte-toi ; vole à tire d'ailes sur le rivage
du Scamandre. Là, un berger pleure sur le tombeau
de sa bergère : nul ne doit pleurer quand le Sis de
Saturne est amoureux. Rappelle la bergère à la yie.
MERCURE fertile.
Un signe de ton divin regard me le commande,
j'y vole en un instant, en un instant je reviens.
JUPITER.
Attends : en passant au-dessus d'Argos , les nuages
de fumée d'un sacrifice se sont élevés de mon temple
jusqu'à moi ; je suis satisfait des hommages que me
rend mon peuple. Élève ton vol jusqu'à Cérès^ ma
sœur; tu lui diras : Jupiter ordonne que, durant
cinquante années, les moissons des Argiens leur
rendent mille fois la semence.
MERCURE.
Père du monde ! c'est avec un zèle tremblant que
SCÈNE IL 38i
j^aecomplis les ordres de ta colère ; c'est avec joie
que j'obëis aux ordres de ta bonté ! Rendre les hom-
mes heureux, c'est le plaisir des dieux; leur cha-
grin , c'est de les punir. Mais , où te rapporterai-je
leurs actions de grâce? sera-ce là-haut, dans le sé-
jour des dieux , ou ici-bas sur la terre ?
JUPITER.
Ce sera ici, ici est le séjour des dieux, dans le pa-
lais de ma chère Sémélé. Va. ( Mercure sort. ) Elle
ne vient pas , comme autrefois, au-devant de moi;
elle ne vient pas, le cœur rempli de volupté,
recevoir le roi de l'Olynape. Pourquoi, ma chère
Sémélé ne vient-elle pas à ma rencontre? Un silence
triste , horrible , mortel règne autour de ce palais
solitaire , qui retentissait jadis du cri des bacchantes ;
pas un souffle ne se fait entendre. Junon , d'un air
de triomphe, s'est posée sur le sommet du Cythéron,
€t Sémélé ne vient pas au-devant de son cher Ju-
piter? (// continue après un moment de silence.)
Ah! l'audacieuse, se serait-elle hasardée à péné-
trer dans le sanctuaire de mon amour? La fille de
Saturne.... sur le Cythéron !... Son air de triom-
phe.... Quel pressentiment .... désespoir. ... Sé-
mélé !... Rassurons-nous, rassurons-nous. Ne suis-je
pas ton dieu? Quel téméraire oserait s'attaquer à
celle que Jupiter appelle son amante? Je méprise
toutes les ruses.... Sémélé, où es-tu? Il me tarde de
reposer sui^ ton sein ma tête chargée du soin de
l'univers , de calmer mon esprit fatigué du gouver-
nement orageux du monde , de déposer le sceptre ,
le gouvernail, les balances, et de jouir de ma féli*
38a SÉUÉLÉ,
citél ivresse du bonheur! doux enchantement des
dieux eux - mêmes I bienheureux délire! Quétes-
YOUS9 race d'Uranua? Qu'ètea-v ous , nectar et am-
broisie ^ trône deTOlympe^ sceptre doré des cieux?
Qu'étes*Tous, toutes-puissance, éternité, vie immor-
telle! Divinité, qu'étes-vous, sans l'amour? Le ber-
ger qui , au murmure du ruisseau , oublie sur le
sein de sa maîtresse le soin de ses agneaux , ne porte
aucune envie à mon tonnerre.... Elle approche! elle
vient ! O femme ! chef-d'œuvre de ma création ! Il
doit être adoré, celui qui t'a créée! C'est moi qui
t'ai créée , et je me rends hommage ; Jupiter adore
Jupiter, parce qu'il t'a formée ! Qui , dans tout Fem-
pire des êtres , pourrait me blâmer? Ah ! combien
tous mes mondes sont peu de chose ! combien sont
indignes d'attention mes étoiles étincelantes, et tout
ce système du mouvement de l'univers et cette har-
monie des sphères ! combien tout cela mérite peu le
nom d'Être ! combien tout cela est la mort , en com-
paraison d'une âme ! ( Sémélé s'approche sans le re-
garder. ) Ma gloire, mon trône , ne sont rien! Ah!
Sémélé ! (Ilsjas^ance wrs elle; elle i^eutfuir.) Tu fuis?
tu gardes le sience? Ah ! Sémélé , îu me fuis ?
• » •
S£M£L£ le repoussant.
LaîssezHthoi !
JUPITM, «prèï upm^mcnt i» surprise et àe ^»mce.
Est-ce un rêve ; la nature est-elle ébranlée sur ses
fondemens ? Sémélé me parler ainsi ! . . . Quoi ! au-
cune réponse ? Tu fuis mes bras amoureux ! Jamais
la fille d' Agénor n'a fait ainsi batti^e mon cœur ; ja-
mais je ne fus ainsi agité sur le sein de Léda; jaioais
SCÈNE II. 383
le!s baisers de la captive Danaë n'ont ainsi embrasé
mes lèvres !
SÊMEIiE»
Tais-toi , perfide î
JUPITER, ayec une téodrasM involontaire.
Sëmélë !
SËM£L£.
FuisI
JU PITER, d'un ton de majesté.
Je suis Jupiter !
SÉMÉLÉ.
Toi, Jupiter? Tremble, nouveau Salmonée ! celui
que tu as outragé viendra, terrible, t'arracher ton
éclat mensonger ! Tu n es pas Jupiter !
JUPITER, d^un ton imposant.
L'univers roule autour de moi dans son orbite
et me nomme de ce nom.
SEMELE.
Ah! blasphème!
JUPITER, oiv«« douceur.
Eh quoi! ma bien-aimée, d'où vient ce langage?
Quel serpent a détourné de moi ton cœur?
SEMEIjE*
Mon cœur est consacré à celui dont tu prends le
nom. Souvent des hommes viennent sous l'apparence
d'un dieu sufpr^:idre une femme Fuis, tu n'es
pas Jupiter.
JUPITER.
. Tu doutes?... Sémélé peut-elle encore douter de
ma divinité?
384 SÉMÉLÉ,
SÉMÊLÉ, a?ec douleur.
Ah! serais-tu Jupiter?... Aucun fils des hommes,
aucune créature d'un jour ne sera pressé dans mes
bras. Mon cœur est consacré à Jupiter.... Ah! se-
rait-il vrai que tu es Jupiter ?
JUPITER.
Tu pleures?. . . Jupiter est près de toi et tu pleures?
(// se jette à ses genoux.) Parle, demande , et la
nature soumise obéira en tremblant à la fille de
Cadmus. Ordonne , et les torrens suspendront aussi-
tôt leur cours. L'Hélicon et le Caucase , et le Cyn-
thus et l'Athos, le Mycale, le Rhodope et lePinde
ébranlés , par un signe tout-puissant de mes sour-
cils , iront combler les vallons et les pâturages , et
tomberont comme les flocons de neige dans l'air
obscurci ! Ordonne , et du nord et de l'ouest des
tourbillons de vent assailliront l'empire du puissant
Neptune , et ébranleront son trône ; la mer révoltée
s'élancera hors de ses rivages et de ses vaines digues;
réclair brillera dans la nuit; le ciel éclatera jusqu'il
ses pôles , le tonnerre retentira avec rage , TOcéan
jaillira jusque vers l'Olympe , et l'ouragan célébrera,
en ton honneur^ un chant de victoire. Ordonne, et...
Je suis une femme , une simple mortelle; com-
ment le potier s'inclinerait-t-il devant le vase qu'il a
formé? Comment l'artiste se prosternerait-t-il devant
sa statue?
JUPITEB.
Pygrnalion se courba devant son chef-d'oçuvw-
Jupiter adore sa thère Sémélé.
SCÈNE IL 385
SÉMÉLÉ, pleunnt avec sanglots.
Lère-toi!.... lève-toi!.... Ah! malheur à moi,
pauvre fille ! Jupiter possède mon cœur ; je ne puis
aimer qu'un dieu; et les dieux se rient de moi,, et
Jupiter me méprise !
JUPITEK.
Jupiter est à tes pieds.
SÉMÉLB.
Lève-toi.... Jupiter est assis sur son trône au mi-
lieu des carreaux de la foudre , et^ dans les bras de
Junou, il méprise un humble vermisseau.
JUPITER, vivement.
Ah ! . . . Sémélé et Junon ! ... un faible vermisseau. . . .
CMament ?. . .
SEMBLÉ.
»
quel serait FineiTable bonheur de la fille de
Cadmus, si tu étais Jupiter! Mais tu n'es point
Jupiter.
JUPITER se relève.
I
Je le suis. (Il étend la main et un arc-en-ciel
apparaît ; des sons mélodieux se font entendre. ) Me
reconnais-tu ?
SlSJMËIj£.
Le bras de Fhomme est puissant lorsqu'il est
protégé par les dieur; tu es sans doute chéri du fils
de Saturne, mais je ne puis aimer qu'un dieu.
JUPITER.
Encore ! Quoi , tu doutes encore si ce pouvoir est
emprunté aux dieux ou tient à la divinité? Les
dieux, Sémélé, communiquent souvent aux hommes
un pouvoir bienfaisant, mais jamais les dieux ne'
ToM. Iir. 25
386 SÉMÉLÉ/
communiquent leur majesté terrible ; la mort et la
destruction sont les signes du pouvoir divin. Le
Jupiter qui tue va se dévoiler devant toi.
(U ëtend la main* La terra tremble avec fraoat au nâlieu des flammes et de la famée.
Ces prodiges soot accompagnés de sons qui se font entendre -chaque fois «pie Japitcr
manifeste son pouToir. )
Retire ta main. Grâce ^ grâce pour les malheureux
mortels ! oui c'est Saturne qui t'a enfanté.
JDPITEB.
Ah ! imprudente. Jupiter doit-il , pour vaincre
l'obstination d'une femme, commander au soleil de
s'arrêter, et aux planètes de rebrousser leur cours?
Jupiter le fera. Souvent un fils des dieux a su faire
sortir le feu des flancs d'un rocher, mais sonpu-
voir finit aux limites de la terre. Jupiter a plus de
pouvoir.
( Il ëtend la main. Le soleil sVteint ; une nuit soudaine se rëptnd. )
SÉMEL É «se prosterne devant lui.
Ah! tout-puissant.... si tu savais aimer!
(Le jour reparaît. )
JUPITER.
La fille de Cadmus demande à Jupiter, si Jupiter
peut aimer? Un mot de toi, et il renonce à sa divi-
nité, il devient une créature àe chair et de sang, il
se soumet à la mort pour être aimé.
SÉMELÉ.
Ainsi ferait Jupiter?
^ JUPITER.
Parle, Sémélé, que veux-tu de pins? Apolloo
avouait lui-même qu'il avait vécu avec délices,
SCÈNE IL 387
homme parmi les hommes. Un signe de toi, et je
deviendrai un mortel.
s É M EL É , la serrant dans ses bras.
Jupiter ! les femmes d'Épidaure se raillent de
ta Sémëlë; comme d'une fille insensée; elles disent
que la bien-aimée du maître du tonnerre ne peut
rien obtenir de lui.
JUPITER, Tivement.
Faisons rougir les femmes d'Épidaure. Demande,
demande seulement, et je jure par le Styx dont le
pouvoir sans bornes soumet impérieusement les
dieux eux-mêmes. . . Si Jupiter tarde à t'obéir, puisse
la divinité infernale l'anéantir à l'instant même.
SEMBLE , d'un ton joyeux et anime.
Maintenant je reconnais mon Jupiter chéri ! tu
l'as juré. Le Styx t'a entendu; je veux te presser en
mes bras, brillant du même...«
JUPITE R , avec un cri d'effroi.
Malheureuse! arrête!
• __ » ?
SEMELE.
Tel que la fille de Saturne....
JUPITE R veut lui fermer la bouche.
Tais-toi !
SEMELE.
....Te reçoit dans ses bras.
. JUPITER pilit, et détourne les yeux.
Il est trop tard.... Les paroles sont prononcées l
le Styx ! tu as demandé la mort , Sémélé !
\
388 SÉMÉLÉ,
Hélas. Est-ce ainsi qu'aime Jupiter?
JUPITEB.
Je renoncerais au ciel, pour t'avoir donne une
moindre preuve d'amour. (// la regarde ai^ec déses-
poir. ) Tu es perdue.
o]!iH£]j£.
Jupiter !
JUPITSB «t«c fureur, et se piirlaat à liû-m^me.
Ah I Junon , je m'explique maintenant ton air de
triomphe ! infernale jalousie I Cette rose Ta mou-
rir ; hëlas ! si belle ! malheur I l'Acheron Ta
posséder un tel trésor.
SEMEIjK.
Tu n'es avare que de ta majesté.
JUPITEB.
Maudite soit cette majesté qui t'a éblouie ! maudite
soit ma grandeur qui te met en poudre ! malédic-
tion, malédiction sur moi, qui avais fondé mon
bonheur sur une poussière périssable !
SEMBLÉ.
Ce sont de vaines frayeurs, Jupiter j je ne suis point
troublée par tes menaces.
JUPITEB.
Enfant insensé! va, va recueillirlesdernîers adieux
de tes compagnes. Rien, rien ne peut te sauver.-
Sémélé, je suis ton Jupiter.... et cela aussi va
finir... i Va.
SCÈNE II. 389
»
SÊMELE.
Tu es jaloux de ta puissance; mais tu as juré le
Styx^ tu ne peux t'en dégager.
(Elle sort.)
JUPITER.
Non ! tu ne triompheras points Junon ! Tremble...
Ce pouvoir qui donne la mort , qui soumet la terre
et le ciel à me servir de marchepied , saura saisir la
perfide, et la clouçr avec des chaînes de diamant
aux rochers escarpés de la Thrace; et ce serment...
( Mercure parait dans Véloignement. ) Qui t'amène
ici d'un vol rapide ?
MERCURE.
Je t'apporte les actions de grâce des malheureux
consolés.
JUPITER.
Replonge-les dans l'infortune.
MERCURE, étoxoié.
Jupiter ! . . .
JUPITER.
Personne n^ doit être heureux ; elle va mourir.
( La toile tombe. )
FIH DE SÉHÉLÉ ET DU TOME TROISIÈME.
\
■
V
V
\
[